Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 21 Ottobre 2004

Sentenza 26 settembre 1996, n.18748/91

Richiesta n. 18748/91

26/09/1996 Corte Sentenza Accoglimento 94
En l’affaire Manoussakis et autres c. Grèce (1),

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée,
conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (“la Convention”)
et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre
composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président,
R. Macdonald,
N. Valticos,
S.K. Martens,
A.N. Loizou,
Sir John Freeland,
MM. L. Wildhaber,
D. Gotchev,
P. Kuris,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier
adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 mai et
29 août 1996,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier

1. L’affaire porte le n° 59/1995/565/651. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur
celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour
avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et,
depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par
ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le
1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
_______________

PROCEDURE

1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne
des Droits de l’Homme (“la Commission”) le 5 juillet 1995, dans le
délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la
Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête
(n° 18748/91) dirigée contre la République hellénique et dont
quatre ressortissants de cet Etat, MM. Titos Manoussakis,
Constantinos Makridakis, Kyriakos Baxevanis et Vassilios Hadjakis,
avaient saisi la Commission le 7 août 1991 en vertu de l’article 25
(art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration grecque reconnaissant la
juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour
objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la
cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de
l’article 9 de la Convention (art. 9).

2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du
règlement A, les requérants ont exprimé le désir de participer à
l’instance et désigné leurs conseils (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit
M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la
Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour
(article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 13 juillet 1995, le
président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des
sept autres membres, à savoir MM. B. Walsh, R. Macdonald, S.K. Martens,
A.N. Loizou, F. Bigi, L. Wildhaber et D. Gotchev, en présence du
greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du
règlement A) (art. 43). Ultérieurement, Sir John Freeland et
M. P. Kuris, suppléants, ont remplacé respectivement M. Bigi, décédé,
et M. Walsh, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du
règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier,
l’agent du gouvernement grec (“le Gouvernement”), les avocats des
requérants et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation
de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Le mémoire du Gouvernement
est parvenu au greffe le 13 mars 1996, celui des requérants le 14. Le
15 avril, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué
n’entendait pas formuler d’observations écrites.

5. Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont
déroulés en public le 20 mai 1996, au Palais des Droits de l’Homme à
Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

– pour le Gouvernement

MM. L. Papidas, président
du Conseil juridique de l’Etat, agent,
A. Marinos, vice-président du Conseil d’Etat,
P. Kamarineas, conseiller
auprès du Conseil juridique de l’Etat,
V. Kondolaimos, assesseur
auprès du Conseil juridique de l’Etat conseils;

– pour la Commission

M. C.L. Rozakis, délégué;

– pour les requérants

Mes A. Garay, avocat à la cour d’appel de Paris,
P. Vegleris, avocat honoraire et professeur
honoraire à l’université d’Athènes,
P. Bitsaxis, avocat au barreau d’Athènes, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Rozakis,
Me Vegleris, Me Garay, Me Bitsaxis, M. Marinos et M. Kamarineas, ainsi
qu’en leurs réponses à sa question et à celle d’un juge.

EN FAIT

I. Les circonstances de l’espèce

A. La genèse de l’affaire

6. Les requérants sont tous témoins de Jéhovah et domiciliés en
Crète.

7. Le 30 mars 1983, M. Manoussakis loua, par contrat sous seing
privé, une salle de 88 m2 dans un immeuble sis dans la commune de Ghazi
à Héraklion (Crète). Le contrat stipulait que la salle serait utilisée
“pour toute sorte de réunions, mariages, etc., de chrétiens témoins de
Jéhovah”.

8. Le 2 juin 1983, il déposa auprès de l’hôtel de police
d’Héraklion une plainte contre X car la veille des inconnus avaient
cassé les vitres de cette salle. Le 26 septembre 1983, il déposa une
nouvelle plainte pour un fait analogue survenu le 23 septembre.

9. Par une requête du 28 juin 1983 adressée au ministre de
l’Education nationale et des Cultes, les requérants sollicitèrent une
autorisation pour utiliser cette salle comme maison de prière. Le même
jour, ils se rendirent auprès du président de la commune de Ghazi pour
lui demander de certifier leurs signatures apposées sur la requête.
Toutefois, ce dernier refusa de le faire au motif que les intéressés
n’habitaient pas sa commune et qu’ils avaient évité de lui montrer le
document sur lequel figuraient leurs signatures. Après l’intervention
du préfet d’Héraklion, du ministre adjoint de l’Intérieur et du
président du Parlement grec, le président de la commune revint sur son
refus et accepta de certifier les signatures sur une nouvelle demande
déposée le 18 octobre 1983.

10. Le 30 juillet 1983, l’église paroissiale orthodoxe de Ghazi
avertissait les autorités de police d’Héraklion du fonctionnement sans
autorisation d’une maison de prière de témoins de Jéhovah et des
démarches des requérants auprès du ministre; elle les invitait à
effectuer un contrôle sur place, à sanctionner les responsables et
surtout à interdire toute réunion jusqu’à ce que le ministre ait
accordé son autorisation.

11. A cinq reprises, à savoir le 25 novembre 1983 et les
17 février, 17 avril, 17 juin, 16 août et 10 décembre 1984, le
ministère de l’Education nationale et des Cultes écrivit aux intéressés
pour les informer qu’il n’était pas encore en mesure de prendre une
décision car il n’avait pas reçu des autres services compétents toutes
les informations nécessaires à cette fin.

12. Le 3 mars 1986, le parquet d’Héraklion entama des poursuites
contre les requérants, sur le fondement de l’article 1 de la
loi (anagastikos nomos) n° 1363/1938, modifiée par la loi n° 1672/1939
(paragraphe 21 ci-dessous). En particulier, il leur reprochait d’avoir
“créé et desservi une maison de prière pour des réunions et des
cérémonies religieuses des adeptes d’une autre confession et notamment
de celle des témoins de Jéhovah sans l’autorisation de l’autorité
ecclésiastique reconnue et du ministre de l’Education nationale et des
Cultes, autorisation exigée pour la construction et la desserte d’un
temple de tout dogme”.

B. La procédure devant le tribunal correctionnel de
première instance d’Héraklion

13. Le 6 octobre 1987, le tribunal correctionnel de
première instance d’Héraklion formé d’un juge unique
(Monomeles Plimmeliodikeio) acquitta les requérants au motif que “la
réunion des adeptes de tout dogme, en l’absence d’actes de
prosélytisme, est libre même lorsqu’elle a lieu sans autorisation”.

C. La procédure devant le tribunal correctionnel d’Héraklion
siégeant en appel

14. Estimant que le tribunal correctionnel avait mal apprécié les
éléments de fait, le parquet d’Héraklion interjeta appel du jugement
du 6 octobre 1987.

15. Le 15 février 1990, le tribunal correctionnel d’Héraklion,
siégeant en appel et formé de trois juges (Trimeles Plimmeliodikeio),
condamna chacun des inculpés à trois mois d’emprisonnement,
convertibles en 400 drachmes par jour de détention, et à
20 000 drachmes d’amende. Il releva notamment:

“(…) les accusés avaient transformé la salle qu’ils
avaient louée en maison de prière, c’est-à-dire en un temple
de petite taille destiné à servir comme lieu d’adoration de
Dieu pour un cercle restreint d’hommes, par opposition à un
édifice public consacré au culte de Dieu par tous les hommes
sans distinction. Ainsi, ils ont créé ce lieu le
30 juillet 1983 et l’ont rendu accessible (…) à d’autres,
notamment à leurs coreligionnaires témoins de Jéhovah de la
région (cercle restreint d’hommes), sans l’autorisation de
l’autorité ecclésiastique reconnue et du ministère de
l’Education nationale et des Cultes. Dans ce lieu, ils
s’adonnaient au culte de Dieu par des actes de prière et
d’adoration (prédication, lecture de l’Ecriture sainte,
louanges et prières) et ne se limitaient pas à de simples
réunions de disciples et à la lecture de l’Evangile (…)”

D. La procédure devant la Cour de cassation

16. Le 5 mars 1990, les requérants se pourvurent en cassation; ils
soutenaient, entre autres, que les dispositions de l’article 1 de la
loi n° 1363/1938, en particulier l’obligation de solliciter une
autorisation pour pouvoir créer une maison de prière, étaient
contraires aux articles 11 et 13 de la Constitution grecque ainsi
qu’aux articles 9 et 11 de la Convention européenne (art. 9, art. 11).

17. Par un arrêt du 19 mars 1991, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi en se fondant sur les motifs suivants:

“Les dispositions de l’article 1 de la loi n° 1363/1938 et
du décret royal des 20 mai/2 juin 1939 adopté en exécution de
cette loi ne sont contraires ni à l’article 11 ni à
l’article 13 de la Constitution de 1975, car le droit à la
liberté de la conscience religieuse n’est pas sans limites
mais peut être soumis à un contrôle. En effet, l’exercice de
ce droit est soumis à certaines conditions prévues par la
Constitution et par la loi: ainsi faut-il qu’il s’agisse d’une
religion connue et non d’une religion occulte; il faut
qu’aucune atteinte ne soit portée à l’ordre public et à la
morale; il faut encore qu’il n’y ait pas d’actes de
prosélytisme, qui sont expressément prohibés par les deuxième
et troisième phrases du paragraphe 2 de l’article 13 de la
Constitution. Par ailleurs, ces dispositions sont conformes
à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des
Libertés fondamentales (…) dont l’article 9 (art. 9)
consacre la liberté religieuse mais qui autorise par son
paragraphe 2 (art. 9-2) que des restrictions, prévues par la
loi, soient imposées lorsqu’elles sont nécessaires dans une
société démocratique à la sûreté publique, à la défense de
l’ordre public, à la protection de la santé ou de la morale ou
pour la protection des droits d’autrui.

Les dispositions susmentionnées (…) chargeant le
ministre de l’Education nationale et des Cultes – qui exerce
sa tutelle sur toutes les confessions et les dogmes – de
procéder à une enquête pour contrôler si les conditions
susmentionnées sont réunies, ne sont pas contraires à la
Constitution de 1975 ni à l’article 9 de la Convention
(art. 9) (…), qui n’interdisent aucunement une telle
enquête; d’ailleurs celle-ci n’a pour objectif que la
constatation des conditions légales pour l’octroi de
l’autorisation sollicitée; en effet, si ces conditions sont
réunies le ministre est tenu d’accorder l’autorisation pour la
création d’une maison de prière.”

18. Selon l’opinion dissidente d’un de ses membres, la
Cour de cassation aurait dû censurer l’arrêt attaqué, en ce qu’aucun
acte punissable ne pouvait être retenu à l’encontre des intéressés,
l’article 1 de la loi étant contraire à l’article 13 de la
Constitution de 1975.

19. Le 20 septembre 1993, la police d’Héraklion apposa des scellés
sur la porte d’entrée de la salle louée par les requérants.

II. Le droit interne pertinent

A. La Constitution

20. Les articles pertinents de la Constitution de 1975 se lisent
ainsi:

Article 3

“1. La religion dominante en Grèce est celle de
l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise orthodoxe de
Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ,
est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise
de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la
même foi (homodoxi), observant immuablement, comme les autres
Eglises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi
que les saintes traditions. Elle est autocéphale et
administrée par le Saint-Synode, composé de tous les évêques
en fonctions, et par le Saint-Synode permanent qui, dérivant
de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la
Charte statutaire de l’Eglise et conformément aux dispositions
du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du
4 septembre 1928.

2. Le régime ecclésiastique établi dans certaines régions
de l’Etat n’est pas contraire aux dispositions du paragraphe
précédent.

3. Le texte des Saintes Ecritures est inaltérable. Sa
traduction officielle en une autre forme de langage, sans le
consentement préalable de l’Eglise autocéphale de Grèce et de
la Grande Eglise du Christ à Constantinople, est interdite.”

Article 13

“1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable.
La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend
pas des croyances religieuses de chacun.

2. Toute religion connue est libre; les pratiques de son
culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois.
L’exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l’ordre
public ou aux bonnes moeurs. Le prosélytisme est interdit.

3. Les ministres de toutes les religions connues sont
soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux
mêmes obligations envers lui que ceux de la religion
dominante.

4. Nul ne peut être dispensé de l’accomplissement de ses
devoirs envers l’Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en
raison de ses convictions religieuses.

5. Aucun serment ne peut être imposé qu’en vertu d’une loi
qui en détermine aussi la formule.”

B. La loi n° 1363/1938

21. L’article 1 de la loi n° 1363/1938 (modifiée par la
loi n° 1672/1939) dispose:

“L’érection ou la desserte de temples de quelque
confession que ce soit est soumise à l’autorisation de
l’autorité ecclésiastique reconnue et du ministère de
l’Education nationale et des Cultes, à accorder selon les
modalités précisées dans le décret royal qui sera adopté sur
proposition du ministre de l’Education nationale et des
Cultes.

A partir de la publication du décret royal cité à l’alinéa
précédent, les temples ou autres maisons de prière qui seront
érigés ou desservis sans que les dispositions dudit décret
soient respectées (…) seront fermés et placés sous scellés
par les autorités de police et leur fonctionnement sera
interdit; ceux qui les ont érigés ou desservis seront punis
d’une amende jusqu’à 50 000 drachmes et d’une peine
d’emprisonnement de deux à six mois, non convertible en
sanction pécuniaire.

(…)

Le terme “temple” au sens de la présente loi (…)
comprend toute sorte d’édifice public consacré au culte d’une
divinité (paroissial ou non, chapelles et autels).”

22. La Cour de cassation a jugé que les termes “maison de prière”
au sens de ces dispositions signifient “un temple d’une taille
relativement petite, établi dans un immeuble privé et destiné à
fonctionner comme lieu de culte de Dieu pour un cercle restreint
d’hommes, par opposition à un édifice public consacré au culte de Dieu
par tous les hommes sans distinction. Par desserte d’un temple ou
d’une maison de prière on entend, selon ces mêmes dispositions, le
comportement humain par lequel le temple ou la maison de prière se rend
accessible aux autres pour le culte de Dieu” (arrêt n° 1107/1985,
Poinika Khronika, vol. 56, 1986).

C. Le décret royal des 20 mai/2 juin 1939

23. L’article 1 par. 3 du décret royal des 20 mai/2 juin 1939
prévoit qu’il appartient au ministre de l’Education nationale et des
Cultes de vérifier l’existence “des raisons essentielles” justifiant
l’octroi de l’autorisation d’ériger ou de desservir une maison de
prière. A cette fin, les intéressés doivent formuler, par
l’intermédiaire de leur ministre du culte, une demande sur laquelle
figurent leurs adresses et leurs signatures certifiées par le maire ou
le président de la commune de leur lieu de résidence. Plus
particulièrement, l’article 1 dudit décret est ainsi libellé:

“1. Pour la délivrance d’une autorisation de construire ou
de desservir des temples non soumis aux dispositions de la
législation sur les temples et les prêtres de paroisses
appartenant à l’Eglise orthodoxe de Grèce, telle qu’elle est
prévue par l’article 1 de la loi (réf. 1672/1939), sont
exigés:

a) Une demande présentée par au moins cinquante familles,
plus ou moins du même voisinage et vivant dans une région
située à une grande distance d’un temple de la même
confession, étant supposé que l’accomplissement de leurs
obligations religieuses est rendu difficile par la distance
les séparant du temple existant. La limitation à cinquante du
nombre de familles ne s’applique pas aux faubourgs ou aux
villages.

b) La demande est adressée aux autorités ecclésiastiques
locales et doit être signée par les chefs de famille, qui
indiquent leurs adresses respectives. L’authenticité de leurs
signatures est certifiée par le bureau de police local qui,
après une enquête sur le terrain, atteste de la réunion des
conditions mentionnées dans le sous-paragraphe précédent
(…).

c) Un avis motivé sur la demande émis par la police locale.
Ensuite, elle la transmet, avec son avis, au ministère de
l’Education nationale et des Cultes qui peut accepter ou
rejeter la demande s’il estime que la construction ou
l’utilisation d’un nouveau temple ne se justifie pas ou que
les dispositions du présent décret n’ont pas été observées.

2. (…)

3. En ce qui concerne la délivrance d’une autorisation de
construire ou de desservir une maison de prière, les
dispositions du paragraphe 1 a) et b) du présent décret ne
s’appliquent pas; il appartient au
ministre de l’Education nationale et des Cultes, d’apprécier
l’existence des raisons essentielles justifiant la délivrance
d’une telle autorisation. A cet égard, les intéressés
adressent au ministère de l’Education nationale et des Cultes,
par l’intermédiaire de leur ministre du culte, une demande
signée et certifiée quant à l’authenticité de signatures par
le maire ou le président de la commune. Les adresses des
intéressés figurent aussi sur la demande.(…)”

D. La jurisprudence

24. Le Gouvernement a communiqué à la Cour une série d’arrêts du
Conseil d’Etat concernant l’autorisation d’ériger ou de desservir des
temples ou des maisons de prière.

Il ressort de ces arrêts que le Conseil d’Etat a annulé à
plusieurs reprises des décisions du ministre de l’Education nationale
et des Cultes par lesquelles celui-ci refusait une telle autorisation
au motif que les témoins de Jéhovah en général se livraient au
prosélytisme (arrêt n° 2484/1980) ou que certains de ceux qui avaient
sollicité une autorisation avaient fait l’objet de poursuites pour
prosélytisme (arrêt n° 4260/1985); ou encore en raison de la proximité
de la maison de prière avec une église orthodoxe (4 km dans la même
ville) (arrêt n° 4636/1977) et du nombre limité d’adeptes (8) sur le
total de la population de la commune (938) (arrêt n° 381/1980).

25. En outre, le Conseil d’Etat a jugé que l’exigence de
certification des signatures par l’autorité municipale compétente
(décret royal des 20 mai/2 juin 1939 – paragraphe 23 ci-dessus) ne
constitue pas une restriction du droit à la liberté de religion garanti
par la Constitution grecque et la Convention européenne
(arrêt n° 4305/1986); en revanche, le non-respect de celle-ci par les
intéressés justifie un refus d’autorisation (arrêt n° 1211/1986).
Enfin, le silence du ministre de l’Education nationale et des Cultes
pendant plus de trois mois à partir du dépôt d’une demande
d’autorisation constitue une omission de l’administration de se
prononcer conformément à la loi et équivaut à une décision implicite
de rejet, laquelle se prête à un recours en annulation
(arrêt n° 3456/1985).

Quant à l’autorisation du métropolite local, elle est exigée
seulement pour l’érection ou la desserte de temples et non pour celles
de maisons de prière.

26. Dans son arrêt (n° 721/1969) du 4 février 1969,
l’assemblée plénière du Conseil d’Etat a affirmé que l’article 13 de
la Constitution n’exclut pas la vérification préalable par
l’administration de la réunion des conditions requises par cet article
pour la pratique d’un culte; toutefois, cette vérification revêt
seulement un caractère déclaratoire. L’octroi de l’autorisation est
obligatoire en cas de réunion de ces conditions, l’administration ne
disposant pas d’un pouvoir discrétionnaire dans ce domaine. L’accord
préalable du métropolite local pour l’érection d’un temple
(paragraphe 25 ci-dessus) n’est pas un “acte administratif exécutoire”
mais “une action préparatoire de constat” de la part de l’organe de la
religion dominante qui se trouve en contact avec les réalités
religieuses locales. Le pouvoir de décision appartient au
ministre de l’Education nationale et des Cultes qui peut passer outre
l’appréciation du métropolite s’il estime que celle-ci n’est pas
légalement motivée.

Le Conseil d’Etat a ultérieurement confirmé cette jurisprudence
en déclarant notamment que “l’autorisation” du métropolite local est
un simple avis qui ne lie pas le ministre de l’Education nationale et
des Cultes (arrêt n° 1444/1991 du 28 janvier 1991).

E. Le recours en annulation devant le Conseil d’Etat

27. Les articles 45, 46 et 50 du décret présidentiel n° 18/1989
codifiant les dispositions légales relatives au Conseil d’Etat, des
30 décembre/9 janvier 1989, régissent le recours en annulation contre
les actes ou omissions de l’administration:

Article 45

Actes incriminés

“1. Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou
violation de la loi est permis uniquement contre les actes
exécutoires des autorités administratives et des personnes
morales de droit public qui ne sont susceptibles de recours
devant aucune autre juridiction.

(…)

4. Dans les cas où la loi impose à une autorité de régler
une question déterminée en édictant un acte exécutoire soumis
aux dispositions du paragraphe 1, le recours en annulation est
recevable même contre la carence de cette autorité pour
édicter un tel acte.

L’autorité est présumée refuser d’édicter ledit acte soit
lorsque le délai spécial fixé le cas échéant par la loi arrive
à expiration soit après l’écoulement d’un délai de trois mois
à partir du dépôt de la requête auprès de l’administration qui
est tenue de délivrer un accusé de réception (…) indiquant
le jour dudit dépôt. Le recours en annulation exercé avant
les délais susmentionnés est irrecevable.

Le recours en annulation valablement introduit contre un
refus implicite [de l’administration] vaut également recours
contre l’acte négatif qui serait le cas échéant adopté
ultérieurement par l’administration; toutefois, cet acte peut
aussi être attaqué séparément.

(…)”

Article 46

Délai

“1. Sauf disposition contraire, le recours en annulation
doit être exercé dans un délai de soixante jours à compter du
lendemain de la date de notification de l’acte attaqué ou de
la date de sa publication (…), ou, autrement, à compter du
lendemain du jour où le requérant a pris connaissance de
l’acte. Dans les cas des paragraphes 2, 3 et 4 de
l’article 45 le délai commence à courir après l’écoulement des
délais fixés par ces dispositions.

(…)”

Article 50

Conséquences de la décision

“1. La décision qui fait droit au recours en annulation
prononce l’annulation de l’acte attaqué, ce qui entraîne sa
suppression légale à l’égard de tous, qu’il s’agisse d’un acte
réglementaire ou d’un acte individuel.

2. Le rejet du recours n’exclut pas l’exercice d’un nouveau
recours contre le même acte par une autre personne ayant
qualité pour agir.

3. Dans les cas de carence, lorsque le Conseil d’Etat
accueille le recours, il renvoie l’affaire devant l’autorité
compétente pour que celle-ci accomplisse ce qui devait
l’être.”

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

28. Les requérants ont saisi la Commission le 7 août 1991. Ils
alléguaient des violations des articles 3, 5, 6 combiné avec
l’article 14, 8, 9, 10 et 11 de la Convention et 1 du Protocole n° 1
(art. 3, art. 5, art. 14+6, art. 8, art. 9, art. 10, art. 11, P1-1).

29. Le 10 octobre 1994, la Commission a retenu la requête
(n° 18748/91) quant au grief tiré de l’article 9 (art. 9), et l’a
déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 25 mai 1995
(article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu
violation de cet article (art. 9). Le texte intégral de son avis
figure en annexe au présent arrêt (1).
_______________
Note du greffier

1. Pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans
l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), mais
chacun peut se le procurer auprès du greffe.
_______________

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

30. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour

“à titre principal, à déclarer la requête irrecevable pour
défaut d’épuisement des voies de recours prévues par le droit
interne, lesquelles sont parfaitement effectives, comme la
pratique l’a toujours prouvé; à titre subsidiaire, à rejeter
la requête pour défaut de fondement, dès lors que, ainsi qu’il
a été établi, les dispositions de l’article 1 de la
loi n° 1363/1938 et du décret d’application de celle-ci se
concilient avec le droit protégé par l’article 9 (art. 9) de
la Convention européenne des Droits de l’Homme, eu égard au
paragraphe 2 de cet article (art. 9-2) – in abstracto en
l’espèce -, et que, de surcroît, la répression par la loi
(appliquée aux requérants en l’espèce) des violations de ces
dispositions par des sanctions douces est proportionnée aux
fins poursuivies dans le cadre dudit paragraphe (art. 9-2)”.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

31. Le Gouvernement soutient en ordre principal comme déjà devant
la Commission, que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours
internes, faute à deux reprises d’avoir saisi – en vertu des
articles 45 paras. 1 et 4 et 46 par. 1 du décret n° 18/1989
(paragraphe 27 ci-dessus) – le Conseil d’Etat du refus tacite du
ministre de l’Education nationale et des Cultes de leur accorder
l’autorisation sollicitée. Or le silence du ministre équivaut, au bout
de trois mois, à une décision implicite de rejet susceptible de recours
pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat. Le délai pour
introduire ce recours ainsi que le point de départ de celui-ci sont
fixés avec précision par la loi et étaient donc parfaitement connus des
intéressés. Si ces derniers avaient saisi le Conseil d’Etat, ils
auraient certainement obtenu l’autorisation et aucun tribunal ne les
aurait alors condamnés. Toutefois, ils auraient délibérément omis de
le faire car leur but véritable était d’attaquer devant les organes de
la Convention la législation nationale pertinente.

32. Les requérants allèguent que même s’ils avaient exercé un
recours pour excès de pouvoir, la procédure concernant l’établissement
de leur maison de prière n’aurait pas abouti.

33. La Cour note, en premier lieu, que dans leur pourvoi en
cassation, les requérants se fondaient exclusivement sur
l’incompatibilité de l’article 1 de la loi n° 1363/1938, qui avait
servi de base à leur condamnation, avec les articles 9 de la Convention
(art. 9) et 13 de la Constitution grecque. La Cour de cassation rejeta
ce grief en estimant que le tribunal correctionnel d’Héraklion siégeant
en appel avait correctement interprété et appliqué la disposition
susmentionnée (paragraphe 17 ci-dessus). Les requérants avaient donc
épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne leur
condamnation.

En outre, à aucun moment, ni devant les juridictions nationales
ni devant la Commission, les intéressés ne se sont plaints de
l’inaction de l’administration quant à l’accueil ou au rejet de leurs
demandes des 28 juin et 18 octobre 1983 (paragraphe 9 ci-dessus). Le
ministre de l’Education nationale et des Cultes leur avait, à
cinq reprises, répondu par écrit qu’il était en train d’instruire le
dossier (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour constate qu’il n’y a jamais
eu ni décision explicite ni silence de l’administration ouvrant le
délai prévu à l’article 46 par. 1 du décret n° 18/1989 et les
requérants restèrent dans l’expectative depuis le 18 octobre 1983.

La Cour rappelle que l’article 26 de la Convention (art. 26)
n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs
aux violations incriminées (arrêts Ciulla c. Italie du 22 février 1989,
série A n° 148, p. 15, par. 31, et
Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande du 29 novembre 1991,
série A n° 222, p. 22, par. 48). Du reste, celui qui a exercé un
recours de nature à remédier directement à la situation litigieuse –
et non de façon détournée – n’est pas tenu d’en engager d’autres qui
lui eussent été ouverts mais dont l’efficacité est improbable.

Or la Cour relève qu’un doute quant au point de départ des
délais prévus aux articles 45 par. 4 et 46 par. 1 du décret n° 18/1989
(paragraphe 27 ci-dessus) pouvait exister dans l’esprit des requérants:
en effet, après la seconde demande d’autorisation des intéressés, du
18 octobre 1983, le ministre de l’Education nationale et des Cultes
répondit à ceux-ci le 25 novembre 1983, donc avant l’expiration des
trois mois à partir du dépôt de ladite demande (article 45 par. 4 du
décret susmentionné); il n’y avait pas alors silence de
l’administration équivalant à un refus tacite d’accorder l’autorisation
sollicitée.

La Cour estime aussi que, à supposer même que les intéressés
eussent saisi avec succès le Conseil d’Etat, rien ne permet de penser
qu’ils auraient obtenu l’autorisation sollicitée, l’administration ne
se pliant pas toujours dans la pratique aux arrêts du Conseil d’Etat.
L’exemple cité par les requérants dans leur mémoire à propos de l’arrêt
du 29 octobre 1985 (n° 4260/1985) du Conseil d’Etat est significatif
à cet égard: le Conseil d’Etat avait annulé une décision du
ministre de l’Education nationale et des Cultes refusant à des témoins
de Jéhovah l’autorisation de desservir une maison de prière et avait
renvoyé l’affaire à l’administration afin que celle-ci recherchât si
les conditions posées par la loi pour l’octroi d’une telle autorisation
se trouvaient réunies. Le 7 janvier 1986, les intéressés déposèrent
auprès dudit ministre une nouvelle demande à laquelle ils avaient joint
une copie de l’arrêt du Conseil d’Etat. Le 3 juillet 1986, le ministre
les informa qu’il n’était pas “en mesure de leur accorder
l’autorisation sollicitée”. Une deuxième demande, du 20 janvier 1987,
fut derechef rejetée par le ministre en ces termes: “(…) nous
persistons dans la réponse précédemment donnée par nous dans la lettre
(…) du 3 juillet 1986.”

34. Dans ces conditions un recours contre le prétendu refus
implicite de l’administration ne saurait passer pour effectif. Les
intéressés ayant épuisé les voies de recours internes, il échet de
rejeter l’exception.

II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
(art. 9)

35. Les requérants soutiennent que leur condamnation par le
tribunal correctionnel d’Héraklion siégeant en appel enfreint
l’article 9 de la Convention (art. 9), aux termes duquel:

“1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion; ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou
collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions
ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité publique, à la
protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques,
ou à la protection des droits et libertés d’autrui.”

A. Existence d’une ingérence

36. Nul ne conteste la validité du contrat sous seing privé conclu
par les requérants le 30 mars 1983 (paragraphe 7 ci-dessus).

La condamnation des intéressés prononcée par le tribunal
correctionnel d’Héraklion siégeant en appel pour s’être servis de la
salle qu’ils avaient louée sans l’autorisation préalable exigée par la
loi n° 1363/1938 s’analyse donc en une ingérence dans l’exercice de
leur droit à la “liberté de manifester [leur] religion (…) par le
culte (…) et l’accomplissement des rites”. Pareille immixtion
méconnaît l’article 9 (art. 9) sauf si elle est “prévue par la loi”,
dirigée vers un ou des objectifs légitimes au regard du paragraphe 2
(art. 9-2) et “nécessaire dans une société démocratique”, pour les
atteindre.

B. Justification de l’ingérence

1. “Prévue par la loi”

37. Selon les requérants, la loi n° 1363/1938 et son décret
d’application des 20 mai/2 juin 1939 énoncent une interdiction générale
et permanente de l’établissement d’une église ou maison de prière de
toute religion – la loi utilise le terme “dogme” – autre que la
religion orthodoxe. Cette interdiction, seul un acte formel ou spécial
discrétionnaire pourrait la lever.

Ce pouvoir discrétionnaire découle nettement de l’article 1 de
la loi n° 1363/1938, lequel permet au gouvernement d’accorder ou de
refuser l’autorisation, ou de garder le silence sur la demande dûment
présentée, sans prévoir aucune limitation de délai ni condition de
fond.

Or une loi qui soumet l’exercice d’un culte à l’octroi
préalable et pénalement sanctionné d’une autorisation, constitue une
“entrave” à ce culte et ne peut passer pour une loi protectrice de la
liberté de religion, au sens de l’article 13 de la Constitution; sur
le plan de la liberté de la religion et des cultes, celle-ci
s’affirmerait plus protectrice, ou du moins autant que la Convention
car elle n’indique comme motifs de restriction à l’exercice de toute
“religion connue” que l'”ordre public” et les “bonnes moeurs”
(paragraphe 20 ci-dessus).

En outre, les requérants soulignent le caractère insolite en
droit public et administratif grec de la procédure instituée par la
loi n° 1363/1938 pour la construction ou la desserte d’un lieu de
culte; elle serait la seule à prévoir l’intervention combinée des
deux autorités: administrative et religieuse. Ils critiquent en outre
la manière dont le Conseil d’Etat interprète cette loi, à savoir dans
le cadre des limitations, suggestions et directives de la Constitution,
ainsi que l’attachement de celui-ci à l’observation des conditions
posées par le décret royal des 20 mai/2 juin 1939 pour la présentation
régulière des demandes d’autorisation avec tout ce qu’elles comportent
d’inquisitorial et de malaisé à obtenir; les termes de ce décret
confèrent et accumulent des pouvoirs discrétionnaires divers, dont
chacun serait suffisant pour peser défavorablement sur la demande.

38. La Cour note que les requérants se plaignent moins du
traitement dont ils ont été eux-mêmes victimes en l’espèce que de
l’obstruction générale faite aux témoins de Jéhovah lorsque ceux-ci
souhaitent établir une église ou un lieu de culte. Ils attaquent donc
pour l’essentiel les dispositions de la législation interne pertinente.

Cependant, la Cour ne juge pas nécessaire en l’occurrence de
trancher la question de savoir si l’ingérence litigieuse était “prévue
par la loi”, car de toute manière ladite ingérence se révèle
incompatible avec l’article 9 (art. 9) à d’autres égards
(voir, mutatis mutandis, l’arrêt Funke c. France du 25 février 1993,
série A n° 256-A, p. 23, par. 51) (paragraphe 53 ci-dessous).

2. But légitime

39. D’après le Gouvernement, la peine infligée aux requérants
tendait à la défense de l’ordre et à la protection des droits et
libertés d’autrui. En premier lieu, si la notion d’ordre public
présente des caractéristiques communes dans les sociétés démocratiques
de l’Europe, elle n’a pas un contenu identique partout, en raison des
particularités et caractéristiques nationales. En Grèce, pratiquement
la totalité de la population est de confession chrétienne orthodoxe,
laquelle est étroitement liée à des moments importants de l’histoire
de la nation grecque; l’Eglise orthodoxe préserva la conscience
nationale et le patriotisme des Grecs pendant les périodes d’occupation
étrangère. En deuxième lieu, diverses sectes tentent, par toute une
série de moyens “illégaux et malhonnêtes”, de manifester leurs idées
et doctrines; l’intervention régulatrice de l’Etat pour la protection
de ceux dont les droits et libertés sont affectés par l’activité des
sectes socialement dangereuses serait indispensable pour garantir
l’ordre public sur le territoire grec.

40. Avec les requérants, la Cour reconnaît que les Etats disposent
du pouvoir de contrôler si un mouvement ou une association poursuit,
à des fins prétendument religieuses, des activités nuisibles à la
population. Toutefois, elle rappelle que la confession des témoins de
Jéhovah remplit, dans l’ordre juridique grec, les conditions d’une
“religion connue” (arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A
n° 260-A, p. 15, par. 23); le Gouvernement l’admet du reste.

Eu égard cependant aux circonstances de la cause et à l’instar
de la Commission, la Cour considère que la mesure incriminée
poursuivait un but légitime sous l’angle de l’article 9 par. 2
(art. 9-2): la protection de l’ordre.

3. “Nécessaire dans une société démocratique”

41. D’une manière générale, les requérants soutiennent que les
restrictions imposées aux témoins de Jéhovah par le gouvernement grec
aboutissent à nier l’exercice par les intéressés de leur droit à la
liberté de religion. D’un point de vue légal et administratif, leur
religion ne jouirait pas, en Grèce, des garanties dont elle bénéficie
dans tous les autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Ainsi, le
“pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il
n’est pas de société démocratique” seraient gravement compromis en
Grèce.

La religion des témoins de Jéhovah serait une religion qui par
présomption – même en la supposant réfragable -, respecterait certaines
règles morales et ne contreviendrait pas en elle-même à l’ordre public;
son dogme et ses rites observeraient et exalteraient l’ordre social et
la moralité individuelle; il faudrait alors admettre que l’autorité
politique ne devrait intervenir que s’il y avait abus ou déviation du
dogme ou des rites, de manière répressive et non pas préventive.

Plus particulièrement, leur condamnation serait vexatoire,
injustifiée et non nécessaire dans une société démocratique, car elle
aurait été “fabriquée” par l’Etat. Celui-ci aurait forcé les
requérants à commettre une infraction et à en subir les conséquences
uniquement à cause de leur foi religieuse. L’exigence prétendument
innocente d’une autorisation pour desservir un lieu de culte, d’une
simple formalité se serait transformée en une arme létale contre le
droit à la liberté de religion. Le terme “dilatoire” utilisé par la
Commission pour qualifier le comportement du
ministre de l’Education nationale et des Cultes à l’égard de leur
demande d’autorisation serait euphémique.

La lutte pour la survie menée par certaines communautés
religieuses autres que l’Eglise orthodoxe orientale, et par les
témoins de Jéhovah plus précisément, s’inscrit dans un climat d’entrave
et d’oppression par l’Etat et l’Eglise dominante, si bien que
l’article 9 de la Convention (art. 9) deviendrait lettre morte. Cet
article (art. 9) ferait souvent l’objet d’une méconnaissance patente
visant à supprimer la liberté de religion. Les requérants en veulent
pour preuve la pratique existant en Grèce, qu’ils illustrent par de
nombreux cas. Ils invitent la Cour à apprécier ceux-ci en corrélation
avec leurs griefs.

42. D’après le Gouvernement, il convient, afin de trancher la
question de la nécessité de la condamnation des requérants, d’examiner
d’abord la nécessité du système de l’autorisation préalable dont
l’existence s’expliquerait par des considérations historiques; l’une
présupposerait l’autre. Le but véritable des requérants serait non pas
de se plaindre de leur condamnation mais de lutter pour l’abolition de
ladite autorisation.

Des impératifs d’ordre public justifieraient que la création
d’un lieu de culte soit soumise au contrôle de l’Etat. Ce contrôle
s’exerce en Grèce à l’égard de toutes les confessions, sans quoi il
serait à la fois inconstitutionnel et contraire à la Convention. Or
les témoins de Jéhovah ne sont pas dispensés des impératifs d’une loi
qui concerne la population tout entière. La création d’une église ou
d’une maison de prière en Grèce serait souvent utilisée comme mode de
prosélytisme, notamment par les témoins de Jéhovah qui exercent un
prosélytisme intensif enfreignant ainsi la loi que la Cour elle-même
avait jugée conforme à la Convention (arrêt Kokkinakis précité).

Quant à la sanction infligée aux requérants, elle serait légère
et aurait pour cause non la manifestation par les intéressés de leur
religion, mais leur désobéissance à la loi et la méconnaissance d’une
procédure administrative. Elle serait due à la négligence coupable de
ceux-ci d’exercer le recours que leur offrait le système juridique
grec.

Enfin, le Gouvernement mentionne l’existence des législations
de certains Etats parties à la Convention qui contiennent des
restrictions analogues à celles édictées en Grèce en la matière.

43. La Commission estime que le système d’autorisation instauré par
la loi n° 1363/1938 peut paraître sujet à caution: d’une part,
l’intervention de l’Eglise orthodoxe grecque dans la procédure soulève
un problème délicat au regard du paragraphe 2 de l’article 9
(art. 9-2); d’autre part, le fait d’ériger en infraction pénale la
desserte d’un lieu de culte sans l’autorisation préalable de
l’administration est disproportionné au but légitime poursuivi, surtout
lorsque, comme en l’espèce, la condamnation des requérants a pour
origine l’attitude dilatoire des autorités compétentes.

44. Selon sa jurisprudence constante, la Cour reconnaît aux
Etats parties à la Convention une certaine marge d’appréciation pour
juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité d’une ingérence,
mais elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur
la loi et sur les décisions qui l’appliquent. La tâche de la Cour
consiste à rechercher si les mesures prises au niveau national se
justifient dans leur principe et sont proportionnées.

Pour délimiter l’ampleur de la marge d’appréciation en
l’espèce, la Cour doit tenir compte de l’enjeu, à savoir la nécessité
de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion
de société démocratique (arrêt Kokkinakis précité, p. 17, par. 31).
De même, il convient d’accorder un grand poids à cette nécessité
lorsqu’il s’agit de déterminer, comme l’exige le paragraphe 2 de
l’article 9 (art. 9-2), si la restriction était proportionnée au but
légitime poursuivi. Les limitations apportées à la liberté de
manifester sa religion par les dispositions de la loi n° 1363/1938 et
du décret des 20 mai/2 juin 1939 appellent de la part de la Cour
l’examen le plus scrupuleux.

45. La Cour note, en premier lieu, que la loi n° 1363/1938 ainsi
que le décret des 20 mai/2 juin 1939 – qui vise les églises et maisons
de prière ne relevant pas de l’Eglise orthodoxe grecque – permettent
une ingérence profonde des autorités politiques, administratives et
ecclésiastiques dans l’exercice de la liberté religieuse. Aux
nombreuses conditions de forme prescrites par l’article 1 paras. 1 et
3 du décret, dont certaines confèrent à l’autorité de police, au maire
et au président de la commune un très large pouvoir d’appréciation,
s’ajoute la possibilité offerte en pratique au
ministre de l’Education nationale et des Cultes de différer
indéfiniment sa réponse – le décret ne prévoyant aucun délai – ou de
refuser son autorisation sans explication ou raison valable. A cet
égard, la Cour relève que le décret habilite le ministre – surtout
lorsqu’il s’agit de vérifier si le nombre de ceux qui sollicitent une
autorisation correspond à celui mentionné dans le décret (article 1
par. 1 a)) – à apprécier l’existence d’un “besoin réel” de la
communauté religieuse demanderesse d’établir une église. Or ce critère
peut constituer un fondement autonome de refus, indépendant des
conditions de l’article 13 par. 2 de la Constitution.

46. Le Gouvernement affirme que le pouvoir du ministre de
l’Education nationale et des Cultes d’accorder ou de refuser
l’autorisation sollicitée n’est pas discrétionnaire: celui-ci est tenu
de l’accorder s’il constate que les trois conditions posées par
l’article 13 par. 2 de la Constitution se trouvent remplies, à savoir
s’il s’agit d’une religion connue et s’il n’y a pas risque d’atteinte
à l’ordre public ou aux bonnes moeurs et d’actes de prosélytisme.

47. La Cour constate qu’en contrôlant la légalité des refus
d’autorisation, le Conseil d’Etat a élaboré une jurisprudence qui
limite le pouvoir du ministre en la matière et attribue à l’autorité
ecclésiastique locale un rôle purement consultatif (paragraphe 26
ci-dessus).

Le droit à la liberté de religion tel que l’entend la
Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la
légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression
de celles-ci. Partant, la Cour estime que le système de l’autorisation
institué par la loi n° 1363/1938 et le décret des 20 mai/2 juin 1939
ne cadre avec l’article 9 de la Convention (art. 9) que dans la mesure
où il vise à assurer un contrôle du ministre sur la réunion des
conditions formelles énoncées par ceux-ci.

48. Or il ressort du dossier, ainsi que de nombreux cas rapportés
par les requérants et non contestés par le Gouvernement, que l’Etat
tend à se servir des potentialités des dispositions susmentionnées de
manière à imposer des conditions rigides ou mêmes prohibitives à
l’exercice de certains cultes non orthodoxes, notamment celui des
témoins de Jéhovah. Certes, le Conseil d’Etat annule pour absence de
motifs tout refus injustifié d’autorisation, mais l’abondante
jurisprudence en la matière semble manifester une nette tendance des
autorités administratives et ecclésiastiques à utiliser les
potentialités de ces dispositions en vue de limiter les activités des
confessions non orthodoxes.

49. En l’espèce, les requérants ont été poursuivis et condamnés
pour avoir desservi un lieu de culte sans avoir au préalable obtenu les
autorisations requises par la loi.

50. Dans son mémoire, le Gouvernement affirme que d’après
l’article 1 par. 1 du décret des 20 mai/2 juin 1939, une autorisation
de l’évêque local n’est nécessaire que pour la construction et la
desserte d’une église et non pour celles d’une maison de prière comme
en l’espèce; la simple demande auprès du
ministre de l’Education nationale et des Cultes, comme les requérants
l’ont du reste présentée, suffisait.

51. La Cour note, toutefois, que tant le parquet d’Héraklion,
lorsqu’il poursuivit les requérants (paragraphe 12 ci-dessus), que le
tribunal correctionnel d’Héraklion siégeant en appel, dans son arrêt
du 15 février 1990 (paragraphe 15 ci-dessus), se fondèrent
explicitement sur l’absence d’autorisation de l’évêque en sus de celle
du ministre de l’Education nationale et des Cultes. Or celui-ci,
sollicité à cinq reprises par les requérants, du 25 octobre 1983 au
10 décembre 1984, répondit qu’il examinait leur dossier. A ce jour,
à la connaissance de la Cour, les intéressés n’ont pas reçu de réponse
expresse. Du reste, à l’audience, un représentant du Gouvernement
lui-même a qualifié le comportement du ministre de déloyal et l’a
attribué à une difficulté éventuelle de celui-ci à motiver légalement
une décision expresse de refus ou à la crainte de donner aux intéressés
la possibilité d’attaquer devant le Conseil d’Etat un acte
administratif explicite.

52. Dans ces conditions, la Cour estime que le Gouvernement ne
saurait exciper de l’insubordination des requérants à une formalité de
la loi pour justifier la condamnation infligée à ceux-ci. Le taux de
la peine importe peu.

53. A l’instar de la Commission, la Cour estime que la condamnation
litigieuse affecte si directement la liberté religieuse des requérants
qu’elle ne peut passer pour proportionnée au but légitime poursuivi ni,
partant, nécessaire dans une société démocratique.

En conclusion, il y a eu violation de l’article 9 (art. 9).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (art. 50)

54. Aux termes de l’article 50 de la Convention (art. 50),

“Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou
une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre
autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou
partiellement en opposition avec des obligations découlant de
la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie
ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de
cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour
accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction
équitable.”

A. Dommage moral

55. Les requérants sollicitent d’abord une indemnité de
6 000 000 drachmes pour tort moral.

56. Ni le Gouvernement ni le délégué de la Commission ne prennent
position sur cette demande.

57. La Cour considère que les intéressés ont subi un tort moral,
mais que le constat de manquement à l’article 9 (art. 9) suffit à les
en dédommager.

B. Frais et dépens

58. Pour les frais et dépens afférents aux instances suivies en
Grèce puis à Strasbourg, les intéressés réclament une somme de
4 030 100 drachmes, dont ils fournissent le détail.

59. D’après le Gouvernement, l’indemnité sous ce titre ne devrait
couvrir que les dépenses engagées à l’occasion des poursuites pénales
et celles liées à la procédure devant les organes de la Convention.
Toutefois, ces dépenses seraient la conséquence du comportement
coupable et illégal des requérants en l’espèce, et de la violation
délibérée de la législation nationale.

60. Le délégué de la Commission ne se prononce pas.

61. Eu égard à sa décision relative à l’article 9 (art. 9)
(paragraphe 53 ci-dessus), la Cour considère la demande comme
raisonnable, en conséquence de quoi elle l’accueille en entier.

C. Intérêts moratoires

62. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal
applicable en Grèce à la date d’adoption du présent arrêt était de
6 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITÉ,

1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention
(art. 9);

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une
satisfaction équitable pour le préjudice moral allégué;

4. Dit que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les
trois mois,
4 030 100 (quatre millions trente mille cent) drachmes pour
frais et dépens, montant à majorer d’un intérêt non
capitalisable de 6 % l’an à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le
26 septembre 1996.

Signé: Rudolf BERNHARDT
Président

Signé: Herbert PETZOLD
Greffier

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51
par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 53 par. 2 du règlement A,
l’exposé de l’opinion concordante de M. Martens.

Paraphé: R. B.

Paraphé: H. P.

OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MARTENS

(Traduction)

1. Je partage totalement les vues exprimées dans l’arrêt de la
Cour, mais j’aurais préféré me prononcer au fond sur la base de
l’exigence “prévue par la loi”, c’est-à-dire résoudre la question que
la Cour ne tranche pas (paragraphe 38 de l’arrêt).

2. La condition “nécessaire dans une société démocratique” appelle
en substance à mettre en balance les éléments du cas individuel dont
il s’agit. Toutefois, comme il ressort du paragraphe 38 de l’arrêt de
la Cour, les griefs des requérants ne visent pas en définitive une
injustice d’essence individuelle, mais une injustice générale: ils se
plaignent moins, au fond, du harcèlement dont ils ont été l’objet que
de l’obstruction générale faite aux témoins de Jéhovah lorsque ceux-ci
souhaitent ériger une chapelle. La condition “prévue par la loi”
permet donc davantage de reconnaître le bien-fondé de ce qui constitue
– c’est aussi l’avis du Gouvernement – la thèse principale des
requérants, à savoir que la loi n° 1363/1938 est incompatible avec
l’article 9 (art. 9), en soi ou en tout cas telle que les autorités
compétentes l’appliquent régulièrement.

3. Pour moi, cette manière de voir, quoique peut-être un peu
novatrice, est dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour selon
laquelle celle-ci a en partie pour tâche, s’agissant de la condition
“prévue par la loi”, d’évaluer la qualité de la loi invoquée pour
justifier l’ingérence dénoncée.

4. Pour en venir à la thèse des requérants d’après laquelle la
loi n° 1363/1938 est incompatible avec l’article 9 (art. 9), j’admets
avec le conseil du Gouvernement que la première question à envisager
est de savoir si l’article 9 (art. 9) permet tant soit peu une
“restriction préalable” consistant ici à subordonner la construction
ou la desserte d’un lieu de culte à l’autorisation préalable de l’Etat,
et d’ériger en infraction pénale une telle construction ou desserte
sans autorisation.

5. Comme pour le domaine relevant de l’article 10 (art. 10), je
suis opposé à une réponse carrément négative. On peut concevoir que
la desserte – et a fortiori la construction – d’un lieu de culte dans
un endroit donné puisse soulever de graves questions d’ordre public et
cette possibilité justifie selon moi de ne pas totalement exclure que
la desserte ou la construction puisse dépendre de l’autorisation
préalable de l’Etat.

6. Je pense néanmoins qu’ici, où la liberté de religion se trouve
en jeu – encore plus que dans le domaine relevant de l’article 10
(art. 10) – la question est très délicate car des arguments d’ordre
public peuvent aisément masquer une intolérance. Elle l’est d’autant
plus lorsque l’Etat a une religion officielle. En pareil cas, le
libellé de la loi en cause comme son application pratique doivent
laisser apparaître très clairement que la condition de l’autorisation
préalable ne tend aucunement à permettre aux autorités d'”évaluer” les
dogmes de la communauté requérante. Par principe, il faudrait toujours
accorder l’autorisation sollicitée, à moins de motifs d’ordre public
tout à fait exceptionnels, objectifs et incontournables.

7. Le Gouvernement a cherché à nous convaincre que la
loi n° 1363/1938 remplit ces conditions, certes strictes; en vain. Le
conseil du Gouvernement a affirmé que cette loi ne laisse pas place au
pouvoir discrétionnaire, mais il a en même temps précisé qu’elle
commandait aux autorités d’examiner de près si la demande tenait à de
véritables besoins religieux ou avait pour finalité le prosélytisme et,
de surcroît, si les dogmes de la communauté requérante sont
acceptables. De fait, l’exigence qu’au moins cinquante familles plus
ou moins du même voisinage soient concernées montre qu’il y a largement
place pour un pouvoir discrétionnaire et aussi que la loi n° 1363/1938
va beaucoup plus loin que ce qu’on peut permettre en matière de
restriction préalable à la liberté de religion. A cela s’ajoute que
les autorités ecclésiastiques de la religion dominante interviennent
dans la procédure d’autorisation, ce qui – même si elles devaient n’y
jouer qu’un rôle purement consultatif (ce dont je doute) – implique en
soi que la loi dont il s’agit ne remplit pas les conditions strictes
précitées et est incompatible avec l’article 9 (art. 9).

8. En conclusion, j’estime que les requérants disent à juste titre
que la loi n° 1363/1938 est en soi incompatible avec l’article 9
(art. 9).