Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 13 Ottobre 2004

Sentenza 09 gennaio 2001, n.26161/95

Corte Europea dei Diritti dell’Uomo

26161/95
18/05/1998 Commissione Decisione Ricevibile 164 SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 26161/95 présentée par Vincenzo NATOLI contre l’Italie
La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en
chambre du conseil le 18 mai 1998 en présence de
MM. S. TRECHSEL, Président
J.-C. GEUS
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
L. LOUCAIDES
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
J. MUCHA
D. SVÁBY
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
P. LORENZEN
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV

M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;

Vu l’article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 4 septembre 1994 par Vincenzo NATOLI
contre l’Italie et enregistrée le 10 janvier 1995 sous le N° de
dossier 26161/95 ;

Vu les rapports prévus à l’article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
18 juillet 1996 et les observations en réponse présentées par le
requérant les 7 octobre 1996, 20 et 26 juin 1997 et 18 décembre
1997 ;

Vu les observations complémentaires présentées par le
Gouvernement défendeur le 7 avril 1998 ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant italien, né en 1950 et résidant
à Milan. Il est détenu à la prison de Spoleto.

Devant la Commission, le requérant est représenté par
Maître Silvia Egidi, avocate au barreau de Perugia.

Les faits, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent
se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Le requérant purge une peine d’emprisonnement à perpétuité qui
lui a été infligée par décision de cumul des peines du 5 décembre 1994,
suite aux condamnations par la cour d’assises d’appel de Milan du
11 juillet 1989 et du 11 juin 1991 (définitive le 11 mai 1992), en
raison de graves infractions (association de malfaiteurs, une série
d’homicides aggravés, enlèvement, violation de domicile, trafic de
stupéfiants). Il ressort du dossier que le requérant fut arrêté en date
du 27 octobre 1984.

Le décret-loi n° 306 du 8 juin 1992, converti en la loi n° 356
du 1er août 1992, introduisit un régime spécial pour les détenus ayant
été condamnés pour des infractions graves (énumérés à l’article 4 bis
de la loi sur l’administration pénitentiaire), en dérogeant aux
conditions fixées par la loi sur le traitement pénitentiaire.

a) Les décrets d’application du régime 41 bis

– Par décret du 20 juillet 1992, le Ministre de la Justice ordonna
que le requérant fût soumis au régime spécial de détention pour une
période d’un an. Ce décret était motivé par des raisons d’ordre public
et de sécurité compte tenu de la dangerosité du phénomène mafieux, de
celle du requérant dans la mesure où celui-ci, selon des rapports de
police, est présumé maintenir un lien permanent avec le milieu criminel
d’origine et compte tenu du prosélytisme exercé par le requérant auprès
d’autres détenus. Par ailleurs, ce décret, dérogeant à la loi sur
l’administration pénitentiaire, imposait les restrictions suivantes :

a. interdiction d’utiliser le téléphone
b. interdiction de correspondre avec d’autres détenus
c. censure sur toute la correspondance
d. interdiction des entrevues avec des tiers (art. 18)
e. limitation des entrevues avec des membres de la famille : maximum
d’une par mois d’une durée d’une heure
f. interdiction de recevoir ou d’envoyer vers l’extérieur des sommes
d’argent au delà d’un montant déterminé
g. possibilité de ne recevoir que des paquets contenant du linge
h. interdiction d’organiser des activités culturelles, récréatives
et sportives
i. interdiction d’élire et d’être élu comme membre représentant des
détenus
l. interdiction d’exercer des activités artisanales (travail en
cellule ex art. 20,8 O.P.)
m. interdiction d’acheter des aliments nécessitant cuisson
n. interdiction de passer plus de deux heures en plein air.

Il ressort du dossier que le requérant introduisit un recours
devant le tribunal d’application des peines de Turin. Il contestait
l’appréciation de dangerosité à son égard et demandait l’annulation du
décret ministériel. L’issue de ce recours n’est pas connue.

Par décret du 16 juillet 1993, le Ministre de la Justice ordonna
que le requérant soit soumis ultérieurement au régime spécial de
détention, à savoir du 31 juillet 1993 au 31 janvier 1994, étant donné
que les conditions justifiant la soumission à ce type de traitement
persistaient. Quant au contenu de ce traitement, les restrictions
imposées étaient identiques à celles imposées par le décret antérieur.

Par décret du 30 janvier 1994, le Ministre de la Justice ordonna
que le régime de détention spécial soit prorogé jusqu’au 31 juillet
1994, au motif que les conditions justifiant un tel régime
persistaient. Il ressort du décret que plusieurs rapports de police et
un rapport du Procureur contre la Mafia près le tribunal de Palerme
faisaient état de la dangerosité du requérant. Par ailleurs, il
apparaissait indispensable de couper tout lien entre le monde extérieur
et le requérant étant donné que l’action criminelle de la mafia s’était
intensifiée. En effet, dans certains cas, un régime normal de détention
n’avait pu empêcher que des détenus organisent depuis la prison des
crimes accomplis à l’extérieur. En outre, aucun élément n’indiquait que
le requérant avait coupé les liens avec son milieu criminel d’origine.

Ce décret imposait les mêmes restrictions que les décrets
précédents, à l’exception de la censure de la correspondance qui
dorénavant devait être soumise à autorisation préalable de la
juridiction compétente.

Contre les décrets du 16 juillet 1993 et du 30 janvier 1994, le
requérant introduisit un recours devant le tribunal d’application des
peines de Milan. Il contestait l’application du régime spécial à son
encontre et se plaignait de son caractère vexatoire.

Par ordonnance du 5 mai 1994, le tribunal d’application des
peines de Milan rejeta le recours. Le tribunal affirma d’abord sa
compétence à connaître du recours et rappela que, d’après la Cour
constitutionnelle (arrêt n° 349 de 1993), il était appelé à vérifier
si le décret du Ministre était dûment motivé et si les restrictions
imposées aboutissaient à un traitement inhumain. Par conséquent, le
tribunal rechercha les motivations qui avaient conduit à l’application
du régime spécial de détention et estima que celles-ci étaient fondées.
Il estima ensuite que les modalités d’exécution du régime infligé
n’étaient pas intolérables, qu’elles respectaient les exigences
fondamentales de vie du requérant et n’étaient pas disproportionnées
par rapport à l’exigence d’ordre public et de répression des
organisations mafieuses.

Contre cette ordonnance, le requérant se pourvut en cassation en
date du 30 juin 1994. Il faisait valoir, d’une part, qu’il n’avait pas
été condamné pour association de type mafieux mais seulement pour des
homicides ; d’autre part, il contestait l’appréciation de dangerosité
à son égard. Quant aux conditions de détention, le requérant se
plaignait de l’interdiction de téléphoner aux membres de sa famille,
de ce que les entrevues avec ces derniers étaient limitées à une par
mois et de l’interdiction d’acheter des aliments nécessitant cuisson.

Par décision de la Cour de cassation du 7 novembre 1994, le
recours du requérant fut déclaré irrecevable par manque d’intérêt pour
agir, étant donné que le décret du 30 janvier 1994 avait entre-temps
expiré.

Contre le décret du 30 janvier 1994, le requérant avait également
introduit un recours devant le tribunal d’application des peines de
Turin. Par décision du 27 février 1994, le tribunal de Turin rejeta le
recours estimant que le décret ministériel ne pouvait pas faire l’objet
de recours. Le requérant se pourvut en cassation.

Par arrêt du 6 juillet 1994, la Cour de cassation accueillit le
recours du requérant, annula la décision attaquée et renvoya l’affaire
au tribunal d’application des peines de Turin. L’issue de ce recours
n’est pas connue.

Par décret du 1er août 1994, le Ministère de la Justice ordonna
que le régime spécial de détention soit prorogé jusqu’au 31 janvier
1995. Il ressort du décret que, d’après les rapports de police, le
requérant était affilié au clan mafieux sicilien des “Cursoti” et
devait encore être considéré comme dangereux. Le décret rappelait la
jurisprudence de la Cour de cassation, d’après laquelle le lien d’un
affilié avec son clan mafieux ne pouvait pas se considérer comme étant
coupé du fait qu’il était détenu, puisque les organisations mafieuses
arrivent à organiser et à diriger leurs activités criminelles de
l’intérieur des prisons.

Ce décret imposait les mêmes restrictions que celui du 30 janvier
1994, sauf que, au lieu d’interdire la correspondance avec d’autres
détenus, toute correspondance devait être soumise à la censure, sur la
base d’une autorisation de l’autorité judiciaire.

Le 16 août 1994, le requérant introduisit un recours devant le
tribunal d’application des peines d’Ancône.

Par ordonnance du 16 novembre 1994, le tribunal d’application des
peines d’Ancône accueillit partiellement le recours du requérant. Le
tribunal estima que l’application du régime spécial de détention à
l’encontre du requérant était justifiée et que le décret attaqué était
suffisamment motivé. S’agissant des restrictions imposées par ce
décret, le tribunal estima que la liste des conditions minimales de
détention, fixée à l’article 14 quater de la loi sur l’administration
pénitentiaire, devait s’appliquer en ce qui concerne les entrevues avec
les membres de la famille. Par conséquent, le tribunal annula
l’interdiction de recevoir plus d’une seule visite familiale par mois
et déclara que le requérant avait droit à quatre visites familiales par
mois.

Le 24 novembre 1994, le requérant se pourvut en cassation. Il
contestait l’existence des conditions justifiant le régime spécial de
détention à son encontre. Quant aux restrictions, le requérant se
plaignait qu’il ne pouvait pas participer à la messe, ne pouvait pas
utiliser la radio, ne pouvait pas cuisiner, ne pouvait pas travailler
ni recevoir un enseignement scolaire.

Par décision du 14 mars 1995, la Cour de cassation déclara le
recours irrecevable pour manque d’intérêt pour agir, étant donné que
le décret du 1er août 1994 avait entre-temps expiré.

Par décret du 4 février 1995, le Ministre de la Justice ordonna
que le requérant fût soumis au régime spécial de détention pour une
période allant jusqu’à la fin de la vigueur de la loi sur le
régime 41 bis, à savoir jusqu’au 31 décembre 1999. Ce décret était
motivé de manière similaire au précédent. Les restrictions imposées par
ce décret étaient les mêmes que celles prévues par le décret précédent.
Quant au contrôle de la correspondance du requérant, celui-ci pouvait
être effectué sur la base d’une autorisation préalable de l’autorité
judiciaire.

Le requérant introduisit un recours devant le tribunal
d’application des peines de Perugia. Il se plaignait notamment de ce
que l’application du régime 41 bis avait été ordonnée jusqu’en 1999 et
contestait les restrictions suivantes : fréquences des visites
familiales, interdiction de colloques avec des tiers, heures de
promenade limitées, restrictions des paquets provenant de l’extérieur.

Par décision du 29 mai 1995, le tribunal d’application des peines
de Perugia rejeta le recours du requérant.

Le requérant se pourvut en cassation.

Par ordonnance du 25 mars 1996, la Cour de cassation annula la
décision attaquée, estimant que le décret ministériel avait une
efficacité limitée à six mois.

Entre-temps, par décret du 5 août 1995, le Ministre de la Justice
avait ordonné que le requérant fût soumis au régime spécial de
détention pour une période de six mois. Les motivations de ce décret
étaient similaires à celles du décret précédent. Ce décret imposait les
mêmes restrictions que le décret précédent.

Le requérant introduisit un recours devant le tribunal
d’application des peines de Perugia. Il se plaignait de l’application
du régime 41 bis à son encontre, des restrictions portant sur les
heures de promenade, les colloques, les aliments et de ce qu’il ne
bénéficiait pas d’un enseignement scolaire.

Par décision du 12 mars 1996, le tribunal d’application des
peines de Perugia déclara le recours irrecevable au motif qu’entre-
temps le décret attaqué avait expiré.

Entre-temps, le 13 décembre 1995, le requérant avait adressé un
document au Ministre de la Justice, par lequel il déclarait s’être
dissocié de son milieu criminel.

Par décret du 8 février 1996, le Ministre de la Justice ordonna
que le requérant fût soumis au régime spécial de détention pour une
période de six mois. Les motivations de ce décret et les restrictions
imposées étaient les mêmes que celles du décret précédent.

Le requérant introduisit un recours devant le tribunal
d’application des peines de Perugia. Il se plaignait de l’appréciation
de dangerosité à son égard, des restrictions portant sur les aliments
et les colloques et de l’absence d’enseignement scolaire. Par ailleurs,
le requérant se plaignait que la déclaration par laquelle il entendait
se dissocier de son milieu criminel d’origine n’avait pas été prise en
compte.

Par décision du 9 août 1996, le tribunal d’application des peines
de Perugia rejeta le recours du requérant, au motif que le décret
attaqué avait entre-temps expiré.

Par décret du 7 août 1996, le Ministre de la Justice ordonna que
le requérant fût soumis au régime spécial de détention pour une période
de six mois. Les motivations de ce décret et les restrictions imposées
étaient les mêmes que celles du décret précédent.

Le requérant introduisit un recours devant le tribunal
d’application des peines de Perugia. En même temps, il demanda à la
cour d’appel de Perugia la récusation des membres du tribunal. Suite
à cette demande, l’audience fixée pour le 7 janvier 1997 fut reportée.
L’issue du recours n’est pas connue.

A partir du 12 février 1997, le requérant n’a plus été soumis au
régime de détention prévu par l’article 41 bis. Il se trouve
actuellement détenu à prison de Spoleto, section 1er niveau de
sécurité. Le requérant expose que les restrictions dont il a fait
l’objet ont été allégées. Cependant, sa correspondance serait encore
soumise au visa de censure, il serait encore fouillé chaque fois qu’il
doit sortir de la prison et n’aurait pas encore obtenu le transfert
dans une prison plus proche de sa famille. Le requérant, sans fournir
plus de précisions, expose avoir commencé à travailler régulièrement.
Dans ses observations du 18 décembre 1997, le requérant s’est plaint
que l’argent déposé sur son compte à la prison a été bloqué et qu’il
ne travaillait plus.

Il ressort du dossier que les lettres ainsi que les observations
que le requérant a adressées au Secrétariat de la Commission, pendant
et après l’application du régime 41 bis, ont un visa de censure de
l’administration pénitentiaire.

Par ailleurs, le requérant expose avoir introduit plusieurs
demandes tendant à obtenir des autorisations de sortie, sa libération
anticipée, le transfert dans une prison plus proche de son domicile.
Ses demandes n’ont pas eu de suite. En 1996, suite au décès de son
père, le requérant a été autorisé à se rendre en Sicile pour rendre
visite à sa mère. A cette occasion, le requérant portait des menottes
et était escorté par des policiers.

b) Renseignements fournis par l’administration pénitentiaire

Il ressort du dossier que, à partir de la date d’application du
régime 41 bis, le requérant a été détenu dans les prisons de Cuneo,
Catania, Milan, Ascoli Piceno, Pisa et Spoleto. Le Gouvernement a fait
parvenir les notes rédigées par l’administration de ces prisons.

Selon la note de l’administration pénitentiaire de Milan, le
requérant n’avait pas la possibilité de travailler ; il pouvait aller
à la messe et parler à l’aumônier ; il pouvait rencontrer les membres
de sa famille une fois par mois, séparé par une vitre de protection ;
il faisait l’objet de perquisitions à l’aide de détecteurs ; il pouvait
regarder la télévision, acheter des journaux et lire les livres de la
bibliothèque ; la correspondance du requérant n’avait pas été
contrôlée.

Selon la note de l’administration pénitentiaire de Cuneo, le
requérant n’avait jamais été dans une situation d’isolement total ; il
disposait de radio, télévision, journaux, livres de la bibliothèque ;
il avait rencontré les membres de sa famille une fois par mois, dans
une salle équipée d’une vitre de protection ; il avait été soumis à des
fouilles corporelles, avec l’obligation de se déshabiller ; il n’avait
pas travaillé ; il n’avait jamais été empêché d’aller à la messe ni de
parler à l’aumônier ; la correspondance avait été contrôlée.

Selon la note de l’administration pénitentiaire de Catania, le
requérant n’était pas isolé ; il partageait sa cellule et se promenait
avec d’autres détenus également soumis au régime spécial ; il avait
accès aux journaux, aux livres de la bibliothèque, à la télévision et,
avec des difficultés, disposait d’une radio ; il pouvait parler à
l’aumônier et participer à la messe organisée dans la section de haute
sécurité ; il avait une entrevue par mois avec les membres de sa
famille, dans une salle équipée de vitre de protection ; il avait été
soumis à des fouilles corporelles ; la correspondance avait été
contrôlée.

Selon la note de l’administration pénitentiaire d’Ascoli Piceno,
le requérant n’était pas isolé et rencontrait régulièrement d’autres
détenus pendant les heures de promenade ; il disposait d’une radio,
avait accès aux journaux et aux livres de la bibliothèque ; une fois
par mois il avait droit à une entrevue avec les membres de sa famille ;
il était fouillé avant et après les entrevues ; il n’avait pas
travaillé et n’avait pas eu de cours de scolarisation puisque soumis
au régime spécial de détention ; son courrier était soumis à un visa
de censure.

Dans une autre note de la même administration pénitentiaire il
est dit que le requérant n’avait pu travailler faute de places
disponibles, qu’il avait eu la possibilité d’aller à la messe et de
parler à l’aumônier de la prison.

Il ressort de la note de l’administration pénitentiaire de Pisa
que les restrictions appliquées au requérant étaient celles ordonnées
par le décret ministériel.

Selon la note de l’administration pénitentiaire de Spoleto, le
requérant ne pouvait pas avoir de contacts avec les détenus soumis à
un régime normal de détention ; il avait accès aux moyens
d’information, tels que les journaux, les livres de la bibliothèque,
la télévision, la radio ; l’aumônier de la prison assurait la messe
même dans les sections de haute sécurité, qui étaient équipées d’une
chapelle.

B. Droit interne applicable

L’article 41 bis de la loi n° 354 de 1975

L’article 41 bis deuxième alinéa de la loi sur l’administration
pénitentiaire (loi n° 354 du 26 juillet 1975), tel qu’il a été modifié
par la loi n° 356 du 7 août 1992, attribue au Ministre de la Justice
le pouvoir de suspendre l’application du traitement normal des détenus
(tel que prévu par la loi n° 354 de 1975), par décret motivé et
contrôlable par l’autorité judiciaire ordinaire, pour des raisons
d’ordre et de sécurité publique, lorsque le régime normal de la
détention serait en conflit avec ces dernières exigences. Le régime
prévu par l’article 41 bis peut être appliqué uniquement à l’égard des
détenus poursuivis ou condamnés pour les délits indiqués à
l’article 4 bis de la même loi parmi lesquels figurent notamment des
délits liés aux activités de la mafia. Il est prévu que la disposition
demeure en vigueur jusqu’en 1999.

En pratique, l’article 41 bis impose un régime de détention
particulièrement sévère et poursuit notamment le but de couper tout
lien entre la personne concernée et son milieux criminel d’origine.

L’article 41 bis ne contient aucune liste des restrictions
autorisées, qui doit être établie par décret du Ministre de la Justice.
Au début de son application, cette disposition a été interprétée comme
attribuant également, au Ministre de la Justice, le pouvoir
d’appliquer un visa de censure sur la correspondance du détenu.

La Cour constitutionnelle italienne a été saisie sur le point de
savoir si le principe du domaine réservé au législateur avait été
respecté. La Cour constitutionnelle (dans ses arrêts n° 349 et n° 410
de 1993) a estimé que l’article 41 bis est compatible avec la
Constitution, parce que, s’il est vrai que le régime spécial de
détention est concrètement déterminé par le Ministre, le décret du
Ministre peut néanmoins être attaqué devant les juges d’application des
peines, qui exercent un contrôle tant sur l’opportunité d’infliger le
régime spécial que sur le contenu de ce régime, à savoir les
restrictions, qui ne peuvent jamais aboutir à un traitement inhumain
et, en vertu du principe du domaine réservé, ne peuvent modifier la
peine et doivent se limiter à suspendre les règles du régime normal des
détenus tel que prévues par la loi sur l’administration pénitentiaire.

Se fondant sur l’article 15 de la Constitution qui prévoit
notamment que les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu
uniquement sur la base d’un acte motivé de l’autorité judiciaire, la
Cour constitutionnelle a tout de même précisé que le pouvoir de
soumettre la correspondance d’un détenu à un visa de censure appartient
exclusivement à l’autorité judiciaire. Par conséquent, l’article 41 bis
ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le Ministre de
la Justice, de prendre des mesures à l’égard de la correspondance des
détenus.

Quant à l’ampleur du contrôle des juges sur les restrictions
ordonnées par le décret du Ministre de la Justice, si les tribunaux
d’application des peines allaient jusqu’au contrôle de la conformité
de chaque mesure concrète par rapport au but poursuivi par
l’administration, d’autre part la Cour de cassation avait considéré que
le contrôle devait se limiter à la légitimité en tant que telle du
décret de l’administration, sans que le juge puisse se substituer à
l’administration dans le choix des modalités d’application concrètes
de la mesure. Par conséquent, souvent les décisions des tribunaux
d’application des peines sont restées inexécutées.

Ce n’est que par arrêt n° 351 des 14-18 octobre 1996 que la Cour
constitutionnelle a établi que le pouvoir de contrôle des tribunaux
d’application des peines s’étend aux modalités concrètes d’application
de la mesure, à la fois par rapport au but poursuivi et à la lumière
des droits fondamentaux garantis par la Constitution. La Cour de
cassation avait d’ailleurs changé d’orientation à cet égard avant même
l’arrêt de la Cour constitutionnelle, en admettant la possibilité pour
le juge d’application des peines de révoquer l’application, totalement
ou partiellement, des mesures illégitimes (voir arrêts n° 6873 du
12 février 1996 et 684 du 1er mars 1996).

Par arrêt n° 376 de 1997, la Cour constitutionnelle s’est à
nouveau exprimée favorablement sur la question de savoir si le
régime 41 bis est compatible avec la Constitution.

Dispositions pertinentes en matière de contrôle de la
correspondance

Selon l’article 18 de la loi n° 354 du 26 juillet 1975, tel qu’il
a été modifié par l’article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977,
l’autorité compétente à décider en matière de visa de censure et de
restrictions à la correspondance des détenus est le juge d’application
des peines lorsque l’intéressé est détenu après condamnation. Cette
disposition prévoit que le magistrat compétent peut ordonner le
contrôle de la correspondance d’un détenu par décision motivée, sans
toutefois préciser les cas dans lesquels une telle décision peut être
prise.

Le visa de censure dont se plaint le requérant consiste
concrètement en l’interception et la lecture de toute la correspondance
du détenu qui fait l’objet d’une telle mesure, ainsi qu’en l’apposition
d’un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit
contrôle (voir également l’article 36 du Règlement d’exécution de la
loi n° 354 ci-dessus, émis par le D.P.R. n° 431 du 29 avril 1976).
Cette mesure de contrôle ne peut pas résulter en l’effacement de mots
ou de phrases, mais peut aboutir à une non-remise du courrier. Dans ce
cas, le détenu doit en être informé aussitôt.

Les restrictions à la correspondance dont le requérant se plaint
consistent en l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus,
notamment son frère, détenu dans une autre prison. L’article 18 de la
loi n° 354 prévoit que l’autorité judiciaire peut limiter la
correspondance des détenus. Ni la loi n° 354 ni le Règlement
d’exécution relatif ne précisent les cas dans lesquels une telle
décision peut être prise.

GRIEFS

1. Le requérant allègue que les conditions de sa détention
constituent un traitement inhumain. Il invoque l’article 3 de la
Convention ainsi que la Convention européenne pour la prévention de la
torture, la Convention de New York pour la prévention de la torture et
la recommandation du Conseil de l’Europe R (87) 3 en matière de règles
pénitentiaires.

2. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint
de l’obligation de se déshabiller et de se soumettre à une fouille
corporelle chaque fois qu’il a une entrevue avec un visiteur.

3. Invoquant l’article 60 de la Convention, le requérant se plaint
de l’impossibilité pour lui de travailler. Il fait valoir que d’après
le code pénal italien une personne condamnée à la prison à vie doit
travailler.

4. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint
qu’il ne peut avoir qu’une entrevue par mois de la durée d’une heure
avec les membres de sa famille et que lors de ces entrevues une vitre
le sépare des visiteurs.

5. Invoquant l’article 9 de la Convention, le requérant se plaint
de ce qu’il ne peut pas participer à la messe.

6. Invoquant l’article 2 du Protocole N° 1, le requérant se plaint
de ce qu’il ne peut bénéficier d’un enseignement scolaire, alors qu’il
a arrêté ses études à l’école élémentaire.

7. Invoquant les articles 5 par. 4 et 6 de la Convention, le
requérant se plaint de l’absence de recours efficaces lui permettant
de mettre en cause l’application du régime 41 bis et les conditions de
sa détention. Il fait valoir que ses recours devant le tribunal
d’application des peines ou devant la Cour de cassation ont été souvent
rejetés pour manque d’intérêt à agir, au motif que l’audience de
discussion était fixée après l’expiration du décret attaqué.

8. Le requérant se plaint que sa correspondance est soumise à la
censure et de ce qu’il lui a été interdit de correspondre avec son
frère, détenu dans une autre prison. Il allègue la violation de
l’article 8 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 14 septembre 1994 et enregistrée
le 10 janvier 1995.

Le 13 mai 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la
connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter des
observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 18 juillet 1996.
Le requérant y a répondu les 7 octobre 1996, 20 et 26 juin 1997,
18 décembre 1997. Le Gouvernement a présenté des observations
complémentaires en date du 7 avril 1998.

Par ailleurs, le 24 janvier 1997, la Commission a décidé
d’accorder au requérant le bénéfice de l’assistance judiciaire.

EN DROIT

1. Le requérant allègue que les conditions de sa détention
constituent un traitement inhumain. Il se plaint également de
l’obligation de se déshabiller et de se soumettre à une fouille
corporelle chaque fois qu’il a une entrevue avec un visiteur ainsi que
de l’impossibilité pour lui de travailler.

Le requérant invoque les articles 3 et 60 (art. 3, 60) de la
Convention. A l’appui de ces griefs, le requérant invoque également la
Convention européenne pour la prévention de la torture, la Convention
internationale de New York pour la prévention de la torture ainsi que
la recommandation du Conseil de l’Europe R (87)3.

La Commission rappelle qu’elle a pour seule tâche conformément
à l’article 19 (art. 19) de la Convention, d’assurer le respect des
engagements résultant de la Convention pour les parties contractantes.
Elle n’est pas compétente pour examiner une requête relative à
l’application d’autres instruments juridiques internationaux ou des
dispositions de droit national.

La Commission estime que cette partie de la requête doit être
examinée uniquement sous l’angle de l’article 3 (art. 3) de la
Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants. »

Le Gouvernement fait d’emblée observer que le régime de détention
prévu par le deuxième alinéa de l’article 41 bis poursuit des buts
légitimes, à savoir la défense de l’ordre et de la sûreté publique face
au danger provenant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des
prisons. Ce régime tend à couper les liens existant entre la personne
concernée et son milieu criminel d’origine et permet de combattre
efficacement la criminalité organisée, notamment la mafia. Ce régime
s’applique aux personnes ayant commis l’une des infractions prévues par
l’article 4 bis et qui, suivant les renseignements recueillis par les
organes de police et par l’autorité judiciaire, revêtent un rôle
important au sein de l’organisation criminelle, soit qu’elles semblent
avoir maintenu des rapports avec celle-ci, soit qu’elles sont
potentiellement utilisables par celle-ci.

Le Gouvernement fait observer que la Cour constitutionnelle a
estimé que le régime au sens de l’article 41 bis est compatible avec
la Constitution, pourvu que les restrictions ordonnées par l’autorité
administrative visent uniquement le régime de détention et non pas la
peine ou la liberté personnelle de l’intéressé et qu’elles soient déjà
prévues par la loi sur l’administration pénitentiaire. En outre, toute
mesure adoptée par l’administration peut faire l’objet d’un recours
devant les juridictions compétentes.

S’agissant spécifiquement du requérant, le Gouvernement fait
observer que celui-ci a été condamné pour association de malfaiteurs,
trafic de stupéfiants, nombreux homicides et séquestration de personne.
Le requérant peut donc faire l’objet d’un régime de détention spéciale
au sens des articles 41 bis et 4 bis de la loi n° 354 de 1975.

Les décrets du Ministre de la Justice adoptés dans le cas du
requérant se fondent, à la fois, sur la dangerosité des organisations
criminelles et sur la dangerosité du requérant. En effet, il ressort
des informations recueillies par les organes de police, que le
requérant avait fait partie d’une organisation criminelle active dans
le trafic de stupéfiants et avait commis différents homicides pour le
compte d’organisations mafieuses. Pendant toute la période où le
requérant a été soumis au régime spécial, sa dangerosité persistait,
étant donné qu’il n’y avait pas d’élément faisant penser qu’il n’avait
plus de contacts avec les organisations criminelles. En même temps, le
danger provenant de l’extérieur persistait, et les organisations
criminelles accomplissaient de féroces actions criminelles.

S’agissant des restrictions auxquelles le requérant a été soumis,
le Gouvernement souligne que le régime spécial entraîne l’interdiction
de contacts avec des détenus non soumis au même régime. Le Gouvernement
fait observer que le requérant ne s’est jamais trouvé dans une
situation d’isolement social total. Il a au contraire eu des contacts
réguliers avec d’autres détenus soumis au même régime, avec lesquels
il a passé les heures de promenade. Le Gouvernement soutient que le
requérant a toujours eu la possibilité de demander des entrevues avec
l’aumônier des différentes prisons et qu’il a la possibilité de
participer à la messe. Ensuite, le requérant a toujours eu accès aux
différents moyens d’information : télévision et radio installées dans
sa cellule, journaux et livres vendus dans la prison, livres de la
bibliothèque. Le requérant a toujours eu la possibilité de rencontrer
les membres de sa famille une fois par mois. S’agissant des fouilles
corporelles auxquelles le requérant a été soumis à l’occasion
d’entretiens avec des visiteurs, le Gouvernement fait observer que
celles-ci poursuivaient l’objectif légitime de la défense de la sûreté.
Elles ont été effectuées dans le plus grand respect de la personne. A
Spoleto la perquisition est effectuée à l’aide d’un détecteur. En ce
qui concerne l’impossibilité pour le requérant de travailler, le
Gouvernement fait observer que les postes disponibles sont attribués
à tour de rôle aux détenus qui en ont fait demande. Le Gouvernement
soutient que le requérant a parfois refusé le travail qui lui avait été
proposé. Le Gouvernement a indiqué que le requérant a travaillé comme
serveur à la prison de Catania.

En conclusion, en se référant aux arrêts de la Cour dans les
affaires Irlande c. Royaume-Uni et Tyrer c. Royaume-Uni ainsi qu’à la
décision de la Commission dans l’affaire Kröcher-Möller c. Suisse, le
Gouvernement fait observer que les conditions de détention auxquelles
le requérant est soumis ne peuvent être assimilées ni à une torture,
ni à un traitement inhumain ou dégradant. Le Gouvernement demande que
cette partie de requête soit déclarée manifestement mal fondée.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement.

Il soutient que l’objectif du régime dont il fait l’objet serait
celui d’infliger un traitement inhumain à une catégorie de détenus
ayant commis certains crimes pour les pousser à se repentir et à
dénoncer des complices, en dépit de la finalité de rééducation que
toute peine doit poursuivre. Le requérant fait valoir qu’il n’a pas de
complices à dénoncer, puisqu’il a quitté le clan mafieux en 1983, avant
son arrestation. Faute de sa coopération, le requérant est présumé ne
jamais avoir coupé ses liens avec son milieu criminel d’origine.

Le requérant souligne que ses conditions de détention étaient
très dures également dans la période qui a précédé l’application du
régime 41 bis. Il fait notamment valoir que pendant cette période, il
a été détenu à l’isolement à la prison de Milan.

Le requérant fait observer que l’application du régime 41 bis
entraîne son isolement social total. Cet isolement découlerait d’abord
du fait de la détention à l’isolement dans une cellule, dans des
prisons de haute sécurité, souvent éloignées du domicile. Le requérant
expose ensuite avoir passé les heures de promenade en solitaire ou tout
au plus avec un autre détenu s’il l’avait demandé. En outre, dans
certaines prisons, par exemple à Ascoli Piceno, les détenus ne
pouvaient pas parler d’une cellule à l’autre. L’isolement du requérant
découlerait ensuite des contacts limités avec les membres de la
famille, qui ont eu lieu une fois par mois, dans des salles équipées
de vitre de séparation et de caméras de surveillance ; de
l’interdiction des visites d’autres personnes ; de l’interdiction de
téléphoner ; du contrôle de la correspondance ; de l’interdiction de
correspondre avec d’autres détenus. Le requérant conteste l’allégation
du Gouvernement, selon laquelle il lui aurait été possible d’avoir des
entrevues avec l’aumônier de la prison. Le requérant fait ensuite
observer qu’il n’a pas eu de poste radio à Cuneo, Ascoli Piceno, Milan.
A Spoleto il dispose d’une radio mais il ne peut pas choisir le
programme. Le requérant fait ensuite observer qu’il a accès uniquement
aux livres de la bibliothèque et ne peut pas se rendre matériellement
dans les locaux de la bibliothèque. Il fait valoir que sa demande de
pouvoir lire certaines publications, parmi lesquelles la Revue des
droits de l’Homme, n’a pas eu de suite.

Quant au travail dans les prisons, le requérant conteste
l’allégation du Gouvernement selon laquelle il aurait refusé parfois
de travailler. Il fait observer qu’à la prison de Spoleto seulement
deux postes de travail sont prévues. Le requérant expose avoir
travaillé comme serveur à la prison de Catane et qu’il a été mal
rétribué.

Le requérant fait observer que toute autorisation de sortie lui
a été refusée. A l’occasion de la mort de son père, en 1996, il a pu
se rendre en Sicile chez sa mère ; toutefois, il considère que cette
visite a eu lieu dans des conditions humiliantes, puisqu’il portait des
menottes et était entouré de policiers.

a) A titre préliminaire, la Commission observe que le requérant a
fait l’objet du régime spécial de détention 41 bis à partir de juillet
1992. Elle estime que l’application de ce régime s’analyse en une
situation continue. Dans la mesure où les griefs du requérant se
réfèrent à une période antérieure, la Commission estime que ceux-ci
sont tardifs, au sens des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de
la Convention, la requête ayant été introduite le 14 septembre 1994,
soit plus de six mois plus tard.

La Commission rappelle que pour tomber sous le coup de
l’article 3 (art. 3), un traitement doit atteindre un minimum de
gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle
dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature
et du contexte du traitement ainsi que de sa durée, de ses effets
physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état
de santé de la personne concernée (Cour eur. D.H., arrêt Irlande c.
Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 65, par. 162 et arrêt
Tyrer du 25 avril 1978, série A n° 26, pp. 14-15, par. 29-30). Dans
cette perspective, il ne suffit pas que le traitement comporte des
aspects désagréables (Cour eur. D.H., arrêt Guzzardi du 6 novembre
1980, série A n° 39, p. 40, par. 107).

La Commission relève que le requérant a été soumis à des mesures
sévères, en raison des infractions très graves pour lesquelles il a été
condamné et dans le but d’assurer la défense de l’ordre et de la sûreté
publique. La Commission est consciente du fait que les organisations
criminelles, notamment celles de type mafieux, représentent un danger
très grave pour la collectivité et que l’incarcération d’un criminel
n’exclut pas en tant que telle le risque que celui-ci garde des
contacts avec son milieu d’origine. A la lumière de ces considérations,
la Commission estime qu’il existait en l’espèce des raisons sérieuses
de soumettre le requérant à un régime sévère visant à couper les liens
avec son milieu criminel d’origine.

La Commission observe que dans de nombreux Etats parties à la
Convention, il existe des régimes de plus grande sécurité à l’égard des
détenus dangereux. Ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la
communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles.

S’agissant de l’exclusion d’un détenu de la collectivité
carcérale, la Commission rappelle que l’interdiction de contacts avec
d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline ou de
protection ne constitue pas en elle-même une forme de peine ou
traitement inhumains. Toutefois, un isolement cellulaire prolongé n’est
guère souhaitable (voir entre autres Dhoest c. Belgique, rapport
Comm. 14.5.87, par. 116, D.R. 55 pp. 6 et 42 ; N° 10486/83, Hauschildt
c. Danemark, déc. 9.10.86, D.R. 49 pp. 87 et 116 ; Kröcher et Möller
c. Suisse, rapport Comm. 16.12.82, par. 60, D.R. 26 p. 24 ;
Nos. 7572/76, 7586/76 et 7587/76, déc. 8.7.78, D.R. 14 p. 64).

La Commission observe d’emblée que le requérant n’a pas été
soumis à un isolement sensoriel ni à un isolement social absolu. Le
requérant disposait pratiquement en permanence d’un poste radio ou de
télévision, de journaux et de livres. Il pouvait se promener
quotidiennement à l’air libre, en compagnie d’autres détenus soumis au
même type de régime. Le requérant n’était pas davantage soumis à une
surveillance directe et permanente.

En revanche, le requérant a été soumis à un isolement social
relatif, découlant de l’interdiction de voir des détenus soumis à un
régime de détention différent, de l’interdiction de recevoir des
visites de personnes autres que les membres de sa famille et de
l’interdiction de téléphoner. Si ses possibilités de contacts étaient
ainsi limitées, on ne saurait toutefois parler à ce propos d’isolement.
En outre, le requérant n’a pas démontré qu’il lui a été impossible
d’avoir des entrevues avec l’aumônier des différentes prisons.

Par ailleurs, la Commission note que les mesures ont été allégées
après février 1997, date à laquelle le régime de détention 41 bis n’a
plus été appliqué à l’encontre du requérant.

S’agissant de l’impossibilité de travailler, la Commission note
d’une part que le requérant a travaillé périodiquement, dans la mesure
des places disponibles. Par ailleurs, dans les circonstances de
l’espèce l’on ne saurait pas parler d’inactivité forcée prolongée,
compte tenu également de ce que le requérant a eu la possibilité de
rencontrer d’autres détenus, de se promener, d’écouter la radio ou
regarder la télévision et de lire.

Au vu de ce qui précède, la Commission conclut que le traitement
dont se plaint le requérant n’atteint pas le minimum nécessaire de
gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 (art. 3) de la
Convention, de sorte que cette partie de la requête est manifestement
mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

b) Dans la mesure où le requérant se plaint des fouilles corporelles
et de l’obligation de se déshabiller, la Commission relève que ces
fouilles ont lieu à l’occasion de visites. S’il est hors de doute que
nombre de détenus trouvent ces procédures humiliantes, la Commission
est d’avis que dans les circonstances de l’espèce le niveau de
souffrance morale n’est pas tel qu’il constitue un traitement inhumain.
De même, elle n’estime pas que le degré d’avilissement ou d’humiliation
qu’elles supposent, atteint le niveau de rigueur nécessaire pour
pouvoir constituer un traitement dégradant.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être
rejeté en application de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la
Convention.

c) Dans la mesure où le requérant se plaint de ne pouvoir bénéficier
d’autorisations de sortie et de ce que ses demandes de libération
anticipée n’ont pas eu de suite, la Commission rappelle que ce droit
n’est pas garanti en tant que tel par la Convention (voir N° 16266/90,
déc. 7.5.1990, D.R. 65 pp. 337, 347).

Il s’ensuit que ce grief est incompatible avec les dispositions
de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

d) Dans la mesure où le requérant se plaint des circonstances dans
lesquelles s’est déroulée sa visite en Sicile en 1996, la Commission
est d’avis qu’en l’espèce, le degré d’avilissement ou d’humiliation
n’atteint pas le niveau de rigueur nécessaire pour pouvoir constituer
un traitement inhumain ou dégradant.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être
rejeté en application de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la
Convention.

e) Dans la mesure où le grief du requérant tiré de l’absence de
poste radio dans certaines prisons, de l’impossibilité de choisir
librement le programme radio dans d’autres prisons et de ce que
certaines publications n’ont pas été mises à sa disposition par
l’autorité pénitentiaire pourrait relever de l’article 10 (art. 10) de
la Convention, la Commission rappelle que le droit de recevoir des
informations vise essentiellement à interdire à un Etat d’empêcher
quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent
consentir à lui fournir (voir Cour eur. D.H., arrêt Leander c. Suède
du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 29, par. 74).

Or, la Commission note que le requérant, qui a toujours eu la
possibilité de lire les journaux et les publications disponibles à la
bibliothèque, n’a pas montré que son droit d’accès à des sources
ouvertes d’information a été affecté. Par conséquent, la Commission
estime que les faits allégués par le requérant ne constituent pas une
ingérence disproportionnée dans le droit protégé par l’article 10
(art. 10) de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être
rejeté conformément à l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

2. Invoquant l’article 8 (art. 8) de la Convention, le requérant se
plaint que sa vie familiale pendant sa détention a été grièvement
affectée. En effet, le régime de détention auquel il était soumis ne
lui permettait de voir sa famille qu’une seule fois par mois et pendant
uniquement une heure. En outre, certaines rencontres étaient rendues
extrêmement difficiles et pénibles par la présence d’une vitre.

Aux termes de l’article 8 (art. 8) de la Convention,

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans
l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d’autrui. »

Le Gouvernement soutient que les mesures en question étaient
totalement conformes aux exigences de l’article 8 (art. 8) de la
Convention. Se référant aux arguments avancés pour les griefs sous
l’angle de l’article 3 (art. 3) de la Convention, le Gouvernement fait
observer que ces mesures étaient prévues par la loi, poursuivaient les
buts légitimes d’assurer la défense de l’ordre et de sécurité publique
et de la prévention des infractions pénales et étaient nécessaires dans
une société démocratique.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement. Il fait
notamment observer que la fréquence très limitée de visites de la part
des membres de sa famille combinée avec l’existence d’une vitre de
séparation et le fait qu’il est loin de sa ville a fortement affecté
sa vie familiale.

La Commission rappelle d’abord que la Convention n’accorde pas
aux détenus le droit de choisir le lieu de détention et que la
séparation et l’éloignement du détenu de sa famille constituent des
conséquences inévitables de la détention (voir par exemple n° 5229/71,
déc. 5.10.72, Recueil 42 p. 14, et 5712/72, déc. 15.7.74, Recueil 46
p. 112). Néanmoins, le fait de détenir une personne dans une prison
éloignée de sa famille à tel point que toute visite s’avère en fait
très difficile, voire impossible, peut dans des circonstances
exceptionnelles constituer une ingérence dans sa vie familiale, la
possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu
étant un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale (voir
n° 7819/77, déc. 6.5.78, D.R. 14 p. 186).

La Commission relève ensuite qu’en l’espèce, le droit du
requérant de recevoir les visites des membres de sa famille n’a pas été
totalement supprimé, mais a fait l’objet de certaines restrictions. Ces
restrictions s’analysent, cependant, en une ingérence d’une autorité
publique dans l’exercice d’un droit garanti par le paragraphe 1 de
l’article 8 (art. 8).

Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention, si elle est
« prévue par la loi », vise un ou des buts légitimes au regard du
paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2) et peut passer pour une mesure
« nécessaire dans une société démocratique ».

La Commission note que les mesures de sécurité ont été ordonnées
à l’encontre du requérant en conformité avec l’article 41 bis de la loi
n° 354 de 1975. La Commission considère que les mesures en cause
poursuivaient des objectifs légitimes sous l’angle du paragraphe 2 de
l’article 8 (art. 8) de la Convention, à savoir la défense de l’ordre
et de la sûreté publique, ainsi que la prévention des infractions
pénales.

Quant à la nécessité de l’ingérence dans le droit du requérant
au respect de sa vie familiale, la Commission rappelle que pour revêtir
un caractère nécessaire « dans une société démocratique », une
ingérence doit se fonder sur un besoin social impérieux et notamment
demeurer proportionnée au but légitime recherché (voir, en dernier
lieu, Cour eur. D.H., arrêt C. c. Belgique du 7 août 1996, Recueil
1996-III n° 12, p. 924, par. 31). La Commission relève qu’en l’espèce,
les restrictions du droit de visite des membres de la famille du
requérant étaient dictées par le risque de voir utiliser les contacts
personnels du requérant pour continuer à communiquer avec les
structures des organisations criminelles avec lesquelles le requérant
avait eu des liens. De l’avis de la Commission, le requérant n’a pas
démontré que le point de vue des autorités était sans fondement ou
déraisonnable, compte tenu de la nature spécifique du phénomène de la
criminalité organisée et notamment de type mafieux, où les relations
familiales jouent souvent un rôle primordial.

D’autre part, compte tenu des considérations qui précèdent et
face aux graves exigences des enquêtes en matière de mafia menées par
les autorités italiennes après le meurtre de deux hauts magistrats, on
ne saurait reprocher au Gouvernement de ne s’être conformé à la
décision du tribunal d’application des peines d’Ancône prévoyant la
révocation des restrictions en cause, étant donné qu’après une
jurisprudence contraire de la Cour de cassation, ce n’est qu’en 1996
que la Cour constitutionnelle a établi que les décisions des tribunaux
d’application des peines en la matière lient le ministère de la
Justice.

Par ailleurs, ces restrictions ont été allégées par la suite, à
partir de février 1997, étant donné que le requérant n’est plus soumis
au régime 41 bis.

A la lumière de ces considérations, la Commission estime que les
restrictions du droit de visite du requérant ne sont pas allées au-delà
de ce qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la défense
de l’ordre et de la sûreté publique et à la prévention des infractions
pénales, au sens de l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention.

Il s’ensuit que, sur ce point, la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée en application de l’article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

3. Le requérant se plaint en outre de la violation de son droit à
la liberté de religion, tel que garanti par l’article 9 (art. 9) de la
Convention.

Le Gouvernement a fait observer que le requérant pouvait
participer à la messe à la prison de Spoleto. Le Gouvernement soutient
en outre que le requérant a toujours eu la possibilité de demander des
entrevues avec l’aumônier à l’administration pénitentiaire. Il n’y a
pas de preuve qu’il ait introduit de telles demandes ni qu’on les lui
ait refusées.

Le requérant conteste les allégations du Gouvernement. Il fait
observer qu’à la prison d’Ascoli Piceno il lui a été impossible de
participer à la messe ainsi que d’avoir des entrevues avec l’aumônier
de la prison.

La Commission note que le 24 novembre 1994, le requérant s’est
plaint devant la Cour de cassation de l’impossibilité pour lui de
participer à la messe.

A supposer même que pendant un certain temps le requérant n’ait
pas pu participer à la messe, puisque, par exemple, détenu dans des
prisons non équipées d’une chapelle dans le secteur de haute sécurité,
la Commission estime que cette partie de la requête est manifestement
mal fondée pour les motifs suivants.

La Commission rappelle que l’article 9 (art. 9) de la Convention
garantit à toute personne le droit à la liberté de religion, lequel
implique le droit de manifester sa religion par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (N°
5947/72, déc. 5.3.76, D.R. 5 pp. 8, 9).

La Commission estime que l’impossibilité d’aller à la messe en
tant que telle ne prive pas l’intéressé de la possibilité de pratiquer
sa religion, moyennant la prière, ou de participer au culte catholique,
grâce à des entrevues avec un aumônier, ce dernier pouvant assurer
l’assistance religieuse et donner des sacrements, tel que
l’eucharistie.

Or, la Commission relève que le requérant n’a pas prouvé avoir
jamais demandé à voir un aumônier et que ses demandes aient été
refusées. Dans ces circonstances, la Commission est d’avis que le
requérant ne s’est pas prévalu des moyens à sa disposition pour
participer à son culte.

En outre, dans la mesure où le requérant a eu à sa disposition
une télévision, le requérant a eu la possibilité de suivre la messe
télédiffusée.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée en application de l’article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

4. Invoquant l’article 2 du Protocole N° 1 (P1-2), le requérant se
plaint de ce qu’il ne peut bénéficier de cours de formation pour
améliorer son niveau d’instruction.

Aux termes de la première phrase de cet article, « nul ne peut
se voir refuser le droit à l’instruction ».

Le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour, d’après
laquelle cette disposition garantit uniquement l’accès aux
établissements scolaires existants et n’oblige pas les Etats à en
instituer.

Le Gouvernement fait ensuite observer que le régime de
l’article 41 bis n’exclut pas qu’un détenu puisse bénéficier d’un cours
de formation, pourvu que celui-ci ait été institué dans le secteur
prévu des prisons pour ce type de détenus. Un cours ne peut pourtant
être institué que si un nombre suffisant de demandes parviennent à
l’administration pénitentiaire. Le Gouvernement soutient qu’en raison
du nombre insuffisant de demandes, un cours tel que celui souhaité par
le requérant n’a jamais été institué.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement. Il soutient
qu’en août 1996, l’administration pénitentiaire de Spoleto lui a parlé
de la possibilité d’organiser un cours de formation. A ce jour, cette
promesse n’a pas été réalisée malgré les nombreuses demandes des
détenus.

La Commission rappelle que l’article 2 du Protocole N° 1 (P1-2)
n’oblige pas les Etats à créer un système d’enseignement particulier.
Il garantit toutefois aux personnes placées sous la juridiction des
Parties Contractantes un droit d’accès aux établissements scolaires
existant à un moment donné. Les organes de la Convention ont reconnu
que le droit à l’instruction appelle une réglementation par l’Etat,
réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en
fonction des besoins et des ressources de la communauté et des
individus (Cour eur. D.H., arrêt du 23 juillet 1968 en l’affaire
« linguistique belge », série A n° 6, pp. 30-32, par. 3-5).

La Commission relève que l’argument avancé par le Gouvernement
se fonde sur le manque de demandes suffisantes pour que
l’administration pénitentiaire organise un cours de scolarisation de
base. La Commission estime que, dans un Etat comme l’Italie où
l’analphabétisme primaire a désormais disparu, le cas d’une personne
n’ayant pas complété sa formation élémentaire doit être considéré comme
très rare. Il est donc tout à fait compréhensible que dans les
établissements pénitentiaires ne soient pas institués d’habitude des
cours de formation élémentaire.

La Commission estime que l’on ne saurait déduire de la
disposition invoquée l’obligation pour l’administration pénitentiaire
d’organiser un cours ad hoc pour le requérant.

Au vu de ces circonstances, la Commission n’estime pas que les
autorités pénitentiaires aient manqué de se conformer aux obligations
résultant de l’article 2 (art. 2).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée en application de l’article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.

5. Invoquant les articles 5 par. 4 et 6 (art. 5-4, 6) de la
Convention, le requérant se plaint de l’absence de recours efficaces
lui permettant de mettre en cause l’application du régime 41 bis et les
conditions de sa détention.

L’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention dispose :

« (…)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou
détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal,
afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention
et ordonne sa libération si la détention est illégale. (…) »

L’article 6 (art. 6) de la Convention dispose :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière
pénale dirigée contre elle. (…) »

La Commission relève que les recours introduits par le requérant
devant les tribunaux d’application des peines ne visent ni la légalité
de sa détention ni une accusation pénale portée contre lui.

Par conséquent, la Commission estime que les articles 5 par. 4
et 6 (art. 5-4, 6) de la Convention ne trouvent pas à s’appliquer en
l’espèce (voir mutatis mutandis N° 16266/90, déc. 7.5.90, D.R. 65 pp.
337, 347).

La Commission estime que ce grief doit être examiné sous l’angle
de l’article 13 (art. 13) de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la
présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un
recours effectif devant une instance nationale, alors même que
la violation aurait été commise par des personnes agissant dans
l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement fait observer que les recours introduits par le
requérant devant les tribunaux d’application des peines ont été tous
examinés et que parfois les décisions rendues par les juges ont modifié
les restrictions telles qu’ordonnées par le ministre (par exemple le
tribunal d’Ancône par sa décision du 16 novembre 1994).

Quant aux recours en cassation introduits par le requérant, le
Gouvernement admet qu’ils ont été souvent déclarés irrecevables pour
manque d’intérêt à agir, le décret ministériel attaqué ayant entre-
temps expiré. Le Gouvernement fait observer que la Cour de cassation
n’aurait en tout cas pas pu annuler les décrets ministériels ; elle
aurait pu uniquement annuler la décision du tribunal d’application des
peines.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement. Il fait
observer qu’uniquement trois décrets ministériels ont été examinés par
les tribunaux d’application des peines et qu’un seul a été examiné par
la Cour de cassation.

La Commission rappelle que l’application de l’article 13
(art. 13) exige que le grief selon lequel il y a eu violation d’une
disposition de la Convention doit être plausible (voir par exemple
Boyle et Rice, rapport Comm., 7.5.1986, par. 74, Cour eur. D.H., arrêt
du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 40).

La Commission se réfère à ses constatations selon lesquelles les
conditions de la détention du requérant ne constituent pas un
traitement inhumain ou dégradant ainsi qu’aux conclusions tirées pour
les autres griefs qui précèdent. Elle en conclut que ce grief du
requérant n’est pas défendable.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est aussi
manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de
l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

6. Le requérant se plaint enfin des mesures visant sa
correspondance, à savoir le visa de censure et l’interdiction de
correspondre avec d’autres détenus. Il allègue la violation de
l’article 8 (art. 8) de la Convention.

L’article 8 (art. 8) de la Convention garantit notamment le droit
de toute personne au respect de sa correspondance aux conditions
rappelées au point n° 2 ci-dessus.

Le Gouvernement fait observer que le contrôle de la
correspondance du requérant a été effectué par l’administration
pénitentiaire sur la base des ordres délivrés par l’autorité
judiciaire. Le Gouvernement fait ensuite observer qu’une telle mesure
est prévue par l’article 41 bis de la loi pénitentiaire et qu’il s’agit
d’une mesure indispensable dans une société démocratique, qui a été
appliquée dans le but légitime de défendre l’ordre et la sûreté ainsi
que de prévenir les infractions pénales. Le Gouvernement soutient que
l’apposition d’un visa de censure représente une mesure proportionnée
aux buts poursuivis.

Quant aux lettres et aux observations que le requérant a
adressées à la Commission sur lesquelles figure un tampon de censure,
le Gouvernement n’a pas présenté d’observations spécifiques.

Le requérant fait observer que son courrier au départ n’a pas été
noté dans un registre et que le courrier en entrée a été noté s’il
s’agissait de recommandés ou télégrammes. Le requérant fait observer
qu’uniquement les premiers décrets ministériels ordonnaient une
restriction sur la correspondance ; cependant son courrier a continué
de faire l’objet de censure, même après la fin de la période
d’application du régime 41 bis. Le requérant fait ensuite observer
qu’en tout état de cause la correspondance avec la Commission n’aurait
pas dû être soumise à censure.

La Commission a examiné les arguments des parties. Elle estime
que sur ce point la requête soulève des questions de fait et de droit
complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la
requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de
la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en
application de l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

DECLARE LA REQUETE RECEVABLE quant au grief tiré des mesures
visant la correspondance du requérant, tous moyens de fond
réservés ;

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

M. DE SALVIA S. TRECHSEL
Secrétaire Président
de la Commission de la Commission

20/10/1998 Commissione Rapporto Accoglimento 180

COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
Requête N° 26161/95
Vincenzo Natoli
contre
Italie
RAPPORT DE LA COMMISSION
(adopté le 20 octobre 1998)

26161/95 – i –

TABLE DES MATIERES

Page

I. INTRODUCTION
(par. 1 – 16) 1

A. La requête
(par. 2 – 4) 1

B. La procédure
(par. 5 – 11) 1

C. Le présent rapport
(par. 12 – 16) 2

II. ETABLISSEMENT DES FAITS
(par. 17 – 32) 3

A. Circonstances particulières de l’affaire
(par. 17 – 25) 3

B. Eléments de droit interne
(par. 26 – 32) 4

a) Dispositions pertinentes en matière de contrôle
de la correspondance 4

b) L’incidence de l’article 41 bis de la loi n° 354
de 1975 sur le contrôle de la correspondance 4

III. AVIS DE LA COMMISSION
(par. 33 – 43) 6

A. Grief déclaré recevable
(par. 33) 6

B. Point en litige
(par. 34) 6

C. Sur la violation de l’article 8 de la Convention
(par. 35 – 42) 6

CONCLUSION
(par. 43) 7

ANNEXE : DECISION DE LA COMMISSION SUR LA
RECEVABILITE DE LA REQUETE 8

I. INTRODUCTION

1. On trouvera ci-après un résumé des faits, tels qu’ils ont été exposés par les parties à la Commission européenne des Droits de l’Homme, ainsi qu’une description de la procédure.

A. La requête

2. Le requérant, de nationalité italienne, né en 1950, est détenu à la prison de Spoleto. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Maître Silvia Egidi, avocat au barreau de Perugia.

3. La requête est dirigée contre l’Italie. Le Gouvernement défendeur a été représenté, en qualité d’Agent, par M. Umberto Leanza, Chef du service du Contentieux diplomatique au ministère des Affaires étrangères.

4. La requête porte sur le contrôle de la correspondance du requérant mis en place par l’administration pénitentiaire. Le requérant invoque à cet égard l’article 8 de la Convention.

B. La procédure

5. La présente requête a été introduite le 14 septembre 1994 et enregistrée le 10 janvier 1995.

6. Le 13 mai 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en application de l’article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d’inviter les parties à présenter des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

7. Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité de la requête le 18 juillet 1996. Le requérant y a répondu les 7 octobre 1996, 20 et 26 juin 1997, 18 décembre 1997. Le Gouvernement a présenté des observations complémentaires en date du 7 avril 1998. Le requérant a présenté des observations complémentaires le 16 mai 1998.

8. Par ailleurs, le 24 janvier 1997, la Commission a décidé d’accorder au requérant le bénéfice de l’assistance judiciaire.

9. Le 18 mai 1998, la Commission a déclaré recevable le grief du requérant concernant les mesures de contrôle de sa correspondance (article 8 de la Convention).

10. Le 28 mai 1998, la Commission a adressé aux parties le texte de sa décision sur la recevabilité de la requête et les a invitées à lui soumettre les éléments ou observations complémentaires sur le bien-fondé de la requête qu’elles souhaiteraient présenter. Les parties n’ont pas présenté d’observations complémentaires.

11. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission, conformément à l’article 28 par. 1 b) de la Convention, s’est mise à la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire. Vu l’attitude adoptée par les parties, la Commission constate qu’il n’existe aucune base permettant d’obtenir un tel règlement.

C. Le présent rapport

12. Le présent rapport a été établi par la Commission, conformément à l’article 31 de la Convention, après délibérations et votes en présence des membres suivants :

MM. S. TRECHSEL, Président
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
B. MARXER
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
D. ŠVÁBY
G. RESS
A. PERENIČ
C. BÎRSAN
P. LORENZEN
K. HERNDL
E. BIELIŪNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV

13. Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le 20 octobre 1998 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, conformément à l’article 31 par. 2 de la Convention.

14. Ce rapport a pour objet, conformément à l’article 31 par. 1 de la Convention :

(i) d’établir les faits, et

(ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent de la part du Gouvernement défendeur une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.

15. La décision de la Commission sur la recevabilité de la requête est jointe au présent rapport.

16. Le texte intégral de l’argumentation des parties ainsi que les pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la Commission.

II. ETABLISSEMENT DES FAITS

A. Circonstances particulières de l’affaire

17. Le requérant a été arrêté en date du 27 octobre 1984. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité qui concerne notamment les condamnations qui lui ont été infligées par la cour d’assises d’appel de Milan le 11 juillet 1989 et le 11 juin 1991 pour association de malfaiteurs, meurtres, enlèvement, violation de domicile, trafic de stupéfiants. L’ensemble des peines qui lui ont été infligées a fait l’objet d’une décision de cumul des peines par le procureur général près la cour d’appel de Milan en date du 5 décembre 1994.

18. Le décret-loi n° 306 du 8 juin 1992, converti en la loi n° 356 du 1er août 1992, introduisit un régime spécial pour les détenus ayant été condamnés pour des infractions graves (énumérés à l’article 4 bis de la loi n° 354 de 1975 sur l’administration pénitentiaire), en dérogeant aux conditions fixées par la loi sur l’administration pénitentiaire.

19. Le 20 juillet 1992, le ministre de la Justice prit un arrêté imposant au requérant, jusqu’au 20 juillet 1993, le régime spécial de détention prévu par l’article 41 bis de la loi n° 354 de 1975 (ci-après loi n° 354). Le ministre considéra que pareille mesure s’imposait notamment pour des raisons d’ordre public et de sécurité compte tenu de la dangerosité du phénomène mafieux, de celle du requérant dans la mesure où celui-ci, selon des rapports de police, était présumé maintenir un lien permanent avec le milieu criminel d’origine et compte tenu du prosélytisme exercé par le requérant auprès d’autres détenus.

20. A l’égard du requérant, la mesure en question entraînait en particulier :

a. l’interdiction d’utiliser le téléphone
b. l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus
c. la censure sur toute la correspondance
d. l’interdiction d’entretiens avec des tierces personnes
e. la limitation des entretiens avec des membres de la famille à une seule fois par mois et à une seule heure à la fois
f. l’interdiction de recevoir ou d’envoyer vers l’extérieur des sommes d’argent au delà d’un montant déterminé
g. l’interdiction de recevoir des paquets de l’extérieur, sauf ceux contenant du linge
h. l’interdiction d’organiser des activités culturelles, récréatives et sportives
i. l’interdiction de participer à la nomination ou aux activités des représentants des détenus
l. l’interdiction d’exercer des activités artisanales
m. l’interdiction d’acheter des aliments destinés à la cuisson
n. la limitation de la promenade à deux heures par jour.

21. Ces mesures furent par la suite prorogées de six mois en six mois jusqu’au 12 février 1997, à l’exception de l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus, qui ne fut plus ordonnée à partir du 1er août 1994.

22. Quant à la censure de la correspondance du requérant, à partir du 30 janvier 1994 les arrêtés ministériels soumirent l’application de cette mesure à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire compétente. Il ressort du dossier que, par décret du 13 janvier 1995, le juge d’application des peines de Spoleto ordonna la censure de la correspondance du requérant.

23. Après la fin de la période d’application de l’article 41 bis à l’égard du requérant, à savoir après le 12 février 1997, la censure de sa correspondance a été maintenue. En effet, le juge d’application des peines de Spoleto n’a pas révoqué sa décision du 13 janvier 1995.

24. Les lettres ainsi que les observations que le requérant a adressées au Secrétariat de la Commission, pendant et après l’application de l’article 41 bis à l’égard de celui-ci, ont un visa de censure de l’administration pénitentiaire.

25. Il ressort du dossier que deux courriers envoyés au requérant par sa fille respectivement le 31 octobre 1995 et le 12 juillet 1996 ont un visa de censure de la prison de Spoleto.

B. Eléments de droit interne

a) Dispositions pertinentes en matière de contrôle de la correspondance

26. Selon l’article 18 de la loi n° 354 du 26 juillet 1975, tel que modifié par l’article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977, l’autorité compétente à décider en matière de visa de censure et de restrictions à la correspondance des détenus est le juge d’application des peines lorsque l’intéressé est détenu après condamnation. Cette disposition prévoit également que le magistrat compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d’un détenu par décision motivée, mais ne précise pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.

27. La censure dont se plaint le requérant consiste concrètement en l’interception et la lecture par l’autorité judiciaire qui l’a ordonnée, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du détenu qui fait l’objet d’une telle mesure, ainsi qu’en l’apposition d’un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle (voir également l’article 36 du décret d’application de la loi n° 354 ci-dessus, D.P.R. n° 431 du 29 avril 1976). Cette mesure de contrôle ne peut pas résulter en l’effacement de mots ou de phrases, mais suite au contrôle l’autorité judiciaire peut ordonner qu’une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en donner communication à l’autorité judiciaire.

28. Enfin, quant aux recours disponibles contre la mesure incriminée, la Cour de cassation italienne a soutenu dans plusieurs décisions que la mesure litigieuse constitue en effet un acte de nature administrative. Elle a par ailleurs affirmé, dans une jurisprudence constante et bien établie, que la loi italienne ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, la mesure en question ne pouvant non plus faire l’objet d’un recours en cassation, car elle ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation italienne : arrêts n° 3141 du 14 février 1990 et 4687 du 4 février 1992).

b. L’incidence de l’article 41 bis de la loi n° 354 de 1975 sur le contrôle de la correspondance

29. L’article 41 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire (loi n° 354 du 26 juillet 1975), dans sa teneur modifiée par la loi n° 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l’application du régime pénitentiaire ordinaire, tel que prévu par la loi n° 354 de 1975, par arrêté motivé et contrôlable par l’autorité judiciaire, pour des raisons d’ordre et de sûreté publics, lorsque le régime ordinaire de la détention serait en conflit avec ces dernières exigences. Pareille disposition peut être appliquée uniquement à l’égard des détenus poursuivis ou condamnés pour les délits indiqués à l’article 4 bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia. Il est prévu que la disposition en question demeure en vigueur jusqu’en 1999.

30. En pratique, l’article 41 bis impose un régime de détention particulièrement sévère et poursuit notamment le but de couper tout lien entre la personne concernée et son milieu mafieux ou criminel d’origine. En effet, il est arrivé à plusieurs reprises que des chefs mafieux aient continué à communiquer avec l’extérieur et à transmettre des ordres même en étant détenus. Cette disposition constitue actuellement l’un des principaux instruments à la disposition des autorités italiennes dans la lutte contre la mafia.

31. L’article 41 bis ne contient aucune liste des restrictions autorisées, qui doit être établie par arrêté du ministre de la Justice. Au début de son application, cette disposition a été interprétée comme attribuant également, au ministre de la Justice, le pouvoir d’appliquer un visa de censure sur la correspondance du détenu.

32. La Cour constitutionnelle italienne a été saisie de la question de savoir si le principe du domaine réservé au législateur est respecté par un tel système. La Cour constitutionnelle (dans ses arrêts n° 349 et 410 de 1993) a estimé que l’article 41 bis est compatible avec la Constitution. Cependant, se fondant sur l’article 15 de la Constitution, qui prévoit notamment que les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement par acte motivé de l’autorité judiciaire, elle a précisé que le pouvoir de soumettre la correspondance d’un détenu à un visa de censure appartient exclusivement à l’autorité judiciaire. Par conséquent, l’article 41 bis ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le ministre de la Justice, de prendre des mesures à l’égard de la correspondance des détenus.

III. AVIS DE LA COMMISSION

A. Grief déclaré recevable

33. La Commission a déclaré recevable le grief du requérant portant sur le contrôle de sa correspondance.

B. Point en litige

34. La Commission est appelée à rechercher s’il y a eu en l’occurrence violation de l’article 8 de la Convention.

C. Sur la violation de l’article 8 de la Convention

35. L’article 8 de la Convention dispose :

“1. Toute personne a droit au respect (…) de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.”

36. Le requérant se plaint des mesures visant sa correspondance, à savoir l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus et le visa de censure. Il soutient que son courrier au départ n’a pas été noté dans un registre et que le courrier en entrée a été noté s’il s’agissait de lettres recommandées ou de télégrammes. Le requérant fait observer que seuls les premiers arrêtés ministériels ont prévu des mesures visant la correspondance ; cependant, son courrier a continué de faire l’objet de censure, même après la fin de la période d’application de l’article 41 bis de la loi n° 354 à son égard. Le requérant souligne qu’en tout état de cause la correspondance avec la Commission n’aurait pas dû être soumise à censure.

37. Le Gouvernement fait observer que le contrôle de la correspondance est prévu par l’article 41 bis de la loi n° 354 et qu’il s’agit d’une mesure indispensable dans une société démocratique, qui a été appliquée dans le but légitime de défendre l’ordre et la sûreté ainsi que de prévenir les infractions pénales. Le Gouvernement fait ensuite observer que le contrôle de la correspondance du requérant a été effectué par l’administration pénitentiaire sur la base de décisions prises par l’autorité judiciaire. Le Gouvernement a précisé que cette mesure n’a pas été révoquée après la fin de la période d’application de l’article 41 bis à l’égard du requérant.

38. La Commission rappelle qu’à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention, les mesures visant la correspondance d’un détenu s’analysent en une “ingérence d’une autorité publique” dans l’exercice de son droit au respect de la correspondance, garanti par le paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention (voir Cour eur. D.H., arrêt Schönenberger et Durmaz c. Suisse du 20 juin 1988, série A n° 137, pp. 13-14, par. 24-30).

39. La Commission est donc appelée à rechercher si cette ingérence relève de l’une des exceptions prévues par le paragraphe 2 de l’article 8 et, notamment, si elle était prévue par la loi, si elle poursuivait un but légitime et si elle était nécessaire dans une société démocratique.

40. La Commission tient à rappeler d’emblée pour ce qui est contrôle de la correspondance adressée par le requérant à la Commission, que la pratique consistant à décacheter les lettres adressées à la Commission, avec ou sans lecture, s’analyse en une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance, ingérence qui n’est pas nécessaire dans une société démocratique (voir Cour eur. D.H., arrêt Campbell c. Royaume-Uni du 25 mars 1992, série A n° 233, p. 21, par. 57 ; affaire Diana c. Italie, Rapp. Comm. du 28 février 1995, par. 37, Recueil 1996, p. 1784 ; N° 27019/95, déc. 8.12.97, non publiée).

41. Pour ce qui est des autres mesures de contrôle visant la correspondance, la Commission n’estime pas nécessaire de trancher la question de savoir si les mesures litigieuses poursuivaient un but légitime et étaient nécessaires dans une société démocratique, au sens de l’article 8 par. 2 de la Convention. En effet, à supposer même que ces deux conditions aient été remplies, la Commission estime que les mesures visant la correspondance du requérant n’ont été à aucun moment “prévues par la loi”.

Ainsi, les mesures en cause ont été ordonnées par l’autorité judiciaire ou par le Ministre de la justice sur la base de l’article 18 de la loi n° 354 de 1975 – la seule disposition légale prévoyant le visa de censure et la possibilité d’interdire la correspondance. Or, cette disposition, selon la jurisprudence de la Cour, ne constitue pas une base légale précise et suffisante (voir Cour eur. D.H., arrêts Diana et Domenichini c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996, respectivement pp. 1775 et 1799).

42. Il est vrai que l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus et la censure de la correspondance ont été ordonnées par arrêté ministériel en application de l’article 41 bis de la loi n° 354, respectivement dans la période allant de juillet 1992 à juillet 1994 et dans la période allant de juillet 1992 à fin 1993. Cependant, à partir de janvier 1994, le Ministre de la Justice a ordonné à l’administration pénitentiaire concernée de demander une autorisation préalable de l’autorité judiciaire et cela par effet de la décision de la Cour constitutionnelle (voir droit interne par. 32) précisant que toute mesure de contrôle de la correspondance relève de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Après la fin de la période d’application de l’article 41 bis à l’égard du requérant, cette mesure a été maintenue, la décision prise par l’autorité judiciaire n’ayant pas été révoquée.

Par conséquent, les mesures visant la correspondance du requérant ont été appliquées pour l’essentiel sur pied de l’article 18 de la loi n° 354 précité.

CONCLUSION

43. La Commission conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Convention.

M. de SALVIA S. TRECHSEL
Secrétaire Président
de la Commission de la Commission

09/01/2001 Corte Sentenza Accoglimento 185

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE NATOLI c. ITALIE

(Requête n° 26161/95)

ARRÊT

STRASBOURG

9 janvier 2001

En l’affaire Natoli c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes E. PALM, présidente,
W. THOMASSEN,
MM. L. FERRARI BRAVO,
R. TÜRMEN,
J. CASADEVALL,
B. ZUPANCIC,
T. PANTIRU, juges,
et de M. M. O’BOYLE, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 décembre 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1025. L’affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« la Convention »), par M. Vincenzo Natoli (« le requérant »), le 8 avril 1999.
1026. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 26161/95) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 14 septembre 1994, en vertu de l’ancien article 25 de la Convention. Le requérant soulevait plusieurs griefs portant sur les conditions de sa détention et alléguait la violation des articles 3, 5 § 4, 6, 8, 9 et 60 de la Convention ainsi que de l’article 2 du Protocole n° 1. La Commission a déclaré la requête partiellement recevable le 18 mai 1998 quant au grief tiré du contrôle de la correspondance du requérant et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 20 octobre 1998 (ancien article 31 de la Convention) , elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du contrôle de la correspondance du requérant.
1027. Devant la Cour, le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Mes Silvia Egidi et Antonietta Confalonieri, avocates au barreau de Perugia. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Umberto Leanza, et son co-agent, M. Vitaliano Esposito.
1028. Le 7 juillet 1999, le collège de la Grande Chambre a décidé que l’affaire devait être examinée par une des sections de la Cour (article 100 du règlement de la Cour (« le règlement »). Le Président de la Cour a attribué l’affaire à la première section. M. B. Conforti, juge élu au titre de l’Italie, qui avait pris part à l’examen de la cause au sein de la Commission, s’est déporté (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. L. Ferrari Bravo, juge élu au titre de Saint-Marin, pour siéger à sa place (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
1029. La Cour ayant décidé, après consultation des parties, qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience (article 59 § 2 in fine du règlement), les parties ont soumis des mémoires écrits.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
1030. Le requérant a été arrêté en date du 27 octobre 1984. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité qui concerne notamment les condamnations qui lui ont été infligées par la cour d’assises d’appel de Milan le 11 juillet 1989 et le 11 juin 1991 pour association de malfaiteurs, meurtres, enlèvement, violation de domicile, trafic de stupéfiants. L’ensemble des peines qui lui ont été infligées a fait l’objet d’une décision de cumul des peines par le procureur général près la cour d’appel de Milan en date du 5 décembre 1994.
1031. Le décret-loi n 306 du 8 juin 1992, converti en la loi n 356 du 1er août 1992, a introduit dans la loi sur l’administration pénitentiaire (loi n 354 de 1975) l’article 41 bis. Cette disposition prévoit un régime spécial pour les détenus ayant été condamnés pour des infractions graves, qui déroge aux conditions fixées par la loi sur l’administration pénitentiaire.
1032. Le 20 juillet 1992, le ministre de la Justice prit un arrêté imposant au requérant, jusqu’au 20 juillet 1993, le régime spécial de détention prévu par l’article 41 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire. Le ministre considéra que pareille mesure s’imposait notamment pour des raisons d’ordre public et de sécurité compte tenu de la dangerosité du phénomène mafieux, de celle du requérant dans la mesure où celui-ci, selon des rapports de police, était présumé maintenir un lien permanent avec le milieu criminel d’origine et compte tenu du prosélytisme exercé par le requérant auprès d’autres détenus. A l’égard du requérant, la mesure en question entraînait en particulier l’interdiction de correspondre avec d’autres détenus et la censure sur toute la correspondance.
1033. Le régime spécial de détention fut prorogé de six mois en six mois jusqu’au 12 février 1997.
1034. L’interdiction de correspondre avec d’autres détenus ne fut plus ordonnée à partir du 1er août 1994.
1035. Quant à la censure de la correspondance du requérant, à partir du 30 janvier 1994, les arrêtés ministériels soumirent l’application de cette mesure à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire compétente.
1036. Il ressort du dossier que, par un décret du 13 janvier 1995, le juge d’application des peines de Spoleto ordonna que toute la correspondance du requérant fût soumise au visa de censure, au sens de l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire.
1037. Après la fin de la période d’application de l’article 41 bis à l’égard du requérant, à savoir après le 12 février 1997, la censure de sa correspondance a été maintenue. En effet, le juge d’application des peines de Spoleto n’a pas révoqué sa décision du 13 janvier 1995.
1038. Les lettres ainsi que les observations que le requérant a adressées au Secrétariat de la Commission, pendant et après l’application de l’article 41 bis à l’égard de celui-ci, sont décachetées et ont un visa de censure de l’administration pénitentiaire.
1039. Il ressort du dossier que deux courriers envoyés au requérant par sa fille respectivement les 31 octobre 1995 et 12 juillet 1996 ont un visa de censure de la prison de Spoleto. Enfin, un visa de censure apparaît sur deux courriers, datés respectivement des 5 et 14 octobre 1999, que le requérant a échangés avec les avocates qui le représentent devant la Cour.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le régime spécial de détention et son incidence sur le contrôle de la correspondance
1040. L’article 41 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire (loi n° 354 du 26 juillet 1975), dans sa teneur modifiée par la loi n° 356 du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de suspendre complètement ou partiellement l’application du régime pénitentiaire ordinaire, tel que prévu par la loi n° 354 de 1975, par arrêté motivé et contrôlable par l’autorité judiciaire, pour des raisons d’ordre et de sûreté publics, lorsque le régime ordinaire de détention serait en conflit avec ces dernières exigences.
1041. Le régime spécial découlant de l’article 41 bis peut être appliqué uniquement à l’égard des détenus poursuivis ou condamnés pour les délits visés à l’article 4 bis de la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de la mafia.
1042. Il est prévu que l’article 41 bis demeure en vigueur jusqu’au 31 décembre 2000.
1043. L’article 41 bis ne contient aucune liste des restrictions autorisées, celle-ci devant être établie par arrêté du ministre de la Justice. Au début de son application, cette disposition a été interprétée comme attribuant également, au ministre de la Justice, le pouvoir d’ordonner le contrôle de la correspondance du détenu.
1044. Toutefois, la Cour constitutionnelle italienne (voir les arrêts no 349 et 410 de 1993), se fondant sur l’article 15 de la Constitution – qui prévoit notamment que les restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement sur décision motivée de l’autorité judiciaire – a précisé que le pouvoir de soumettre la correspondance d’un détenu à un visa de censure appartient exclusivement à l’autorité judiciaire. Par conséquent, l’article 41 bis ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le ministre de la Justice, de prendre des mesures à l’égard de la correspondance des détenus. De ce fait, il revient à l’autorité judiciaire d’ordonner le contrôle de la correspondance, mesure qui est prévue par l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire.
B. Dispositions pertinentes en matière de contrôle de la correspondance
1045. Selon l’article 18 de la loi n° 354 du 26 juillet 1975, tel que modifié par l’article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977, l’autorité habilitée à décider de soumettre la correspondance des détenus à un visa de censure est le juge saisi de l’affaire (qu’il s’agisse de la juridiction d’instruction ou de la juridiction de jugement) jusqu’à la décision de première instance, et le juge d’application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Cette disposition prévoit également que le magistrat compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d’un détenu par décision motivée, mais ne précise pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.
1046. Le visa de censure en question consiste concrètement en l’interception et la lecture par l’autorité judiciaire qui l’a ordonnée, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du détenu qui fait l’objet d’une telle mesure, ainsi qu’en l’apposition d’un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle (voir également l’article 36 du décret du président de la République n° 431 du 29 avril 1976, d’application de la loi n° 354 ci-dessus). Cette mesure de contrôle ne peut pas résulter en l’effacement de mots ou de phrases mais, après le contrôle, l’autorité judiciaire peut ordonner qu’une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en informer l’autorité judiciaire.
1047. Enfin, quant aux recours disponibles contre la mesure incriminée, la Cour de cassation a indiqué dans plusieurs décisions que la mesure litigieuse constitue un acte de nature administrative. Elle a par ailleurs affirmé, dans une jurisprudence constante et bien établie, que la loi italienne ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, la mesure en question ne pouvant pas non plus faire l’objet d’un pourvoi en cassation, car elle ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation : arrêts n° 3141 du 14 février 1990 et n° 4687 du 4 février 1992).
1048. L’article 35 de la loi sur l’administration pénitentiaire prévoit que les détenus peuvent adresser des demandes ou réclamations sous pli scellé aux autorités suivantes :
– le directeur du pénitencier, les inspecteurs, le directeur général des établissements pénitentiaires et le ministre de la Justice ;
– le juge d’application des peines ;
– les autorités judiciaires et sanitaires qui inspectent le pénitencier ;
– le président du conseil régional ;
– le président de la République.
1049. Dans le souci de rendre la législation italienne conforme aux principes développés par la Cour dans les affaires Diana et Domenichini (arrêts Diana c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1765-1779, et Domenichini c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1789-1803), le 23 juillet 1999, le ministre de la Justice a présenté au Sénat un projet de loi visant la modification de la loi sur l’administration pénitentiaire sur deux points.
1050. En premier lieu, le projet de loi proposait une modification de l’article 35 de cette loi, dans le sens d’inclure la Cour parmi les autorités auxquelles les détenus peuvent adresser des plis scellés.
1051. En deuxième lieu, ce projet de loi prévoyait l’insertion d’un article (18 ter) disposant que toute correspondance des détenus, mise à part celle adressée aux autorités mentionnées à l’article 35, pouvait être soumise à un visa de censure, pour des périodes non supérieures à six mois, dans le but d’éviter la commission d’infractions ou de protéger la sûreté des établissements pénitenciers ou le secret des investigations judiciaires.
1052. Selon les informations dont la Cour dispose à ce jour, le projet de loi en cause n’a pas été approuvé par le Parlement italien.
1053. Par ailleurs, par un décret entré en vigueur le 6 septembre 2000, le Président de la République a adopté un nouveau règlement des établissements pénitenciers. A son article 38, ce décret prévoit notamment que la correspondance adressée par un détenu à des organisations internationales visant la protection des droits de l’homme ne peut être soumise à visa de censure.
EN DROIT
i. SUR L’OBJET DU LITIGE
1054. Dans sa requête à la Cour et dans son mémoire, le requérant réitère l’ensemble des griefs qu’il avait déjà soumis à la Commission.
1055. Le Gouvernement fait observer que le seul grief déclaré recevable par la Commission est celui qui porte sur le contrôle de la correspondance du requérant. Par conséquent, le Gouvernement soutient que la Cour ne pourra pas examiner les griefs déclarés irrecevables.
1056. La Cour rappelle que l’objet du litige qui lui est déféré se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité. Dès lors, elle n’a pas compétence pour faire revivre des doléances déclarées irrecevables (arrêt Süssmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1169, § 29 ; arrêt Leutscher c. Pays-Bas du 26 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 434, § 22).
1057. Or, la Commission a retenu, le 18 mai 1998, « tous moyens de fond réservés », le grief du requérant concernant le contrôle de sa correspondance (article 8 de la Convention), puis elle a formulé, le 20 octobre 1998, l’avis qu’il y avait eu violation de cette disposition.
1058. Par conséquent, la Cour peut connaître uniquement du grief tiré du contrôle de la correspondance du requérant.
iI. SUR La violation de l’article 8 de la Convention
1059. Le requérant se plaint au titre de l’article 8 de la Convention du contrôle que les autorités pénitentiaires ont exercé sur sa correspondance avec sa famille, avec la Commission et avec l’avocate qui le représente devant la Cour.
1060. L’article 8 de la Convention dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1061. Le requérant observe que sa correspondance a été censurée pendant et après la période d’application du régime spécial. Il soutient qu’à aucun moment cette ingérence ne s’est fondée sur une base légale, dans la mesure où, au début de la période d’application du régime spécial de détention, le contrôle de la correspondance a été ordonné par le ministre et non pas par l’autorité judiciaire, et cela a été reconnu comme étant illégal par la Cour constitutionnelle. Ensuite, le requérant fait observer que l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire a déjà été jugé par la Cour comme ne constituant pas une base légale précise et suffisante. Enfin, se référant à l’arrêt Campbell, le requérant indique que sa correspondance avec la Commission et l’avocate qui le représente devant la Cour a été décachetée et soumise au visa de censure. De surcroît, le requérant soutient que cette ingérence n’est pas justifiée au sens de l’article 8 § 2 de la Convention et n’est pas nécessaire dans une société démocratique.
1062. Le Gouvernement, sans reconnaître une violation de la Convention, a indiqué que, le 23 juillet 1999, un projet visant la modification des articles 18 et 35 de la loi sur l’administration pénitentiaire a été présenté au Sénat (§§ 25-27 ci-dessus). En outre, des circulaires, dont la plus récente date du 19 juillet 1999, ont été diffusées auprès des administrations pénitentiaires, afin d’éviter que le courrier adressé à la Cour soit décacheté et soumis à un visa de censure. Le Gouvernement estime par conséquent que des mesures opportunes pour résoudre les affaires concernant la correspondance des détenus ont été adoptées.
1063. La Commission a exprimé à l’unanimité l’avis que l’article 8 de la Convention avait été violé en l’espèce, au motif que le contrôle de la correspondance du requérant n’était pas « prévu par la loi ».
1064. La Cour estime qu’il y a eu « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit du requérant au respect de sa correspondance garanti par le paragraphe 1 de l’article 8.
1065. Pareille ingérence méconnaît cette disposition sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre (Labita c. Italie [GC], n° 26772/94, § 179, à paraître dans ECHR 2000).
1066. Quant à la légalité de l’ingérence, dans la période initiale d’application du régime spécial de détention, à savoir du 20 juillet 1992 au 30 janvier 1994, la Cour constate que le contrôle de la correspondance du requérant se fondait sur l’arrêté du ministre de la Justice pris en application de l’article 41 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire (§§ 8-11 ci- dessus).
1067. La Cour note que la Cour constitutionnelle italienne a dit que le ministre de la Justice n’est pas compétent pour prendre des mesures concernant la correspondance des détenus, et avait donc dépassé ses compétences au sens du droit italien (§ 20 ci-dessus). Le contrôle de la correspondance du requérant dans la période en question n’était donc pas « prévu par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention.
1068. Pour ce qui est de la période postérieure, la Cour relève que le contrôle de la correspondance a été ordonné par le juge d’application des peines de Spoleto (§§ 12-13 ci-dessus), au sens de l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire. Or, la Cour a déjà dit que ledit article 18, qui ne réglemente ni la durée des mesures de contrôle de la correspondance des détenus, ni les motifs pouvant les justifier, n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes dans le domaine considéré (arrêts Diana c. Italie, précité, pp. 1775-1776, §§ 32-33 et Domenichini c. Italie, précité, pp. 1799-1800, §§ 32-33).
1069. La Cour souligne qu’à ce jour, le projet de loi présenté au Sénat par le ministre de la Justice et visant une modification de la loi sur l’administration pénitentiaire en vue de se conformer aux arrêts de la Cour dans les affaires Diana et Domenichini précitées ne semble pas avoir abouti (§ 28 ci-dessus). Il est vrai que le nouveau règlement des établissements pénitenciers entré en vigueur le 6 septembre 2000 prévoit l’interdiction de censurer le courrier adressé à la Cour (§ 29 ci-dessus). Il en demeure néanmoins que cette modification législative ne touche pas à l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire, disposition jugée par la Cour comme constituant une base légale insuffisante. Plusieurs autres requêtes concernant également le contrôle de la correspondance des détenus sont d’ailleurs pendantes devant la Cour.
1070. En conclusion, à aucun moment les mesures de contrôle de la correspondance du requérant n’étaient « prévues par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion rend superflu de vérifier en l’espèce le respect des autres exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il y a donc eu violation de cet article.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
1071. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1072. Le requérant réclame une somme de 60 000 000 lires italiennes, tout préjudice confondu.
1073. Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ce point.
1074. La Cour considère que dans les circonstances de l’affaire le constat de violation de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable (arrêt Diana c. Italie, précité, p. 1778, § 44 ; arrêt Domenichini précité, p. 1802, § 45 ; arrêt Messina c. Italie (n° 2) du 28 septembre 2000, § 101).
B. Frais et dépens
1075. Le requérant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire devant la Commission et devant la Cour. Les représentantes du requérant réclament la différence entre la somme perçue au titre de l’assistance judiciaire dans la procédure devant la Commission et devant la Cour (respectivement 4 100 FF et 2 000 FF, pour un total de 6 100 FF, soit 1 800 613 ITL) et le coût réel de la défense, calculé selon le barème national (13 703 000 ITL, soit 46 422,14 FF), plus TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et CAP (contribution à la caisse de prévoyance des avocats).
1076. Le Gouvernement n’a pas présenté de commentaires sur ce point.
1077. La Cour a apprécié la demande à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], n° 31195/96, § 79, CEDH 1999-II ; Scozzari et Giunta c. Italie, [GC], n° 39221/98 et 41963/98, § 258, CEDH 2000).
Appliquant ces principes, elle juge raisonnable d’allouer aux représentantes du requérant la somme de 4 000 000 ITL pour frais et dépens, moins les 6 100 francs français déjà perçus au titre de l’assistance judiciaire accordée par le Conseil de l’Europe.
C. Intérêts moratoires
1078. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date de l’adoption du présent arrêt était de 2,5 % l’an.
par ces motifs, la cour, À l’unanimitÉ,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

2. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux avocates du requérant, dans les trois mois, 4 000 000 (quatre millions) lires italiennes pour frais et dépens, moins le montant versé par le Conseil de l’Europe dans le cadre de l’assistance judiciaire ;
b) que cette somme sera à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ainsi que tout montant dû au titre de la TVA et de la CAP ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Michael O’BOYLE Elisabeth PALM
Greffier Présidente