Sentenza 07 dicembre 1976, n.5095/71
Cour européenne des Droits de l’Homme
Arrêt 7.12.1957
En l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen,
Requêtes n° 5095/71,5920/72 et 5926/72.
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (“la Convention”) et aux articles 21 et 22 du règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. G. BALLADORE PALLIERI, président,
A. VERDROSS,
M. ZEKIA,
Mme H. PEDERSEN,
MM. S. PETREN,
R. RYSSDAL,
D. EVRIGENIS,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 3 et 4 juin, puis le 5 novembre 1976,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (“la Commission”). A son origine se trouvent trois requêtes (n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72) dirigées contre le Royaume de Danemark et que Viking et Annemarie Kjeldsen, Arne et Inger Busk Madsen ainsi que Hans et Ellen Pedersen, pères et mères de famille de nationalité danoise, avaient introduites en 1971 et 1972 auprès de la Commission qui en a ordonné la jonction le 19 juillet 1973.
2. La demande de la Commission, qui s’accompagnait du rapport prévu à l’article 31(art. 31) de la Convention, a été déposée au greffe de la Cour le 24 juillet 1975, dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoyait aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) et à la déclaration par laquelle le Royaume de Danemark a reconnu, le 7 avril 1972, la juridiction obligatoire de la Cour(article 46) (art. 46). Elle a pour objet
d’obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’Etat défendeur, un anquement aux obligations qui lui incombent aux termes de l’article 2 du Protocole additionnel du 20 mars 1952 (P1-2) (“le Protocole n° 1”);
elle mentionne aussi les articles 8, 9 et 14 (art. 8, art. 9, art. 14) de la Convention.
3. Le 26 juillet 1975, le président de la Cour a procédé, en présence du greffier, au tirage au sort des noms de cinq des sept juges appelés à former la Chambre compétente, Mme H. Pedersen, juge élu de nationalité danoise, et M. Balladore Pallieri, président de la Cour,
siégeant d’office en vertu de l’article 43 (art. 43) de la Convention et de l’article 21 par. 3 b) du règlement respectivement. L’un des membres de la Chambre, M. Cremona, s’est trouvé par la suite empêché de participer à l’examen de l’affaire; le premier juge suppléant, M. Zekia, l’a remplacé.
En application de l’article 21 par. 5 du règlement, M. Balladore Pallieri a assumé la présidence de la Chambre.
4. Le président de la Chambre a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du gouvernement du Royaume de Danemark
(“le Gouvernement”), de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Par une ordonnance du 8 septembre 1975, il a décidé que le Gouvernement présenterait un mémoire dans un délai devant expirer le 1er décembre 1975 et que les délégués auraient la faculté d’y répondre par écrit dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit mémoire.
5. Le 12 novembre 1975, l’agent du gouvernement a informé le greffier de son intention de contester la compétence de la Cour en l’espèce.
Ainsi que le président de la Chambre y avait consenti, le mémoire du Gouvernement, déposé au greffe le 29 novembre 1975, portait exclusivement sur cette question préliminaire. Le Gouvernement s’y référait à la déclaration par laquelle il avait reconnu, le 7 avril 1972, la juridiction de la Cour “comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, vis-à-vis de toute autre Partie Contractante à la Convention (…) acceptant la même obligation, c’est-à-dire sous condition de réciprocité”; il concluait:
(i) que ladite déclaration “ne vaut expressément que pour les affaires portées devant la Cour par un autre Etat déclarant”;
(ii) “que pareille limitation de la portée des déclarations formulées en vertu de l’article 46 (art. 46) ne se trouve exclue ni par celui-ci ni par l’économie de la Convention”;
(iii) “qu’en tout cas” le Gouvernement “ne peut être considéré comme soumis à la juridiction obligatoire de la Cour au-delà
des termes exprès” de sa déclaration.
Soulignant en outre qu’il n’avait pas accepté ad hoc la juridiction de la Cour en l’espèce (article 48 de la Convention) (art. 48), le Gouvernement invitait la Cour à constater qu’elle n’avait “pas compétence pour connaître du fond de la présente affaire”.
6. Par un message parvenu au greffe le 16 janvier 1976, l’agent du Gouvernement a informé le greffier qu’à la suite d’un débat qui avait eu lieu la veille au parlement danois, son gouvernement avait “décidé de retirer avec effet immédiat son exception préliminaire, acceptant ainsi ad hoc la juridiction de la Cour”.
7. Réunie à Strasbourg le 20 janvier 1976, la Chambre a pris connaissance dudit message et chargé le président d’en donner acte au Gouvernement, tâche dont il s’est acquitté par une ordonnance du 28 janvier.
La Chambre a relevé que sa compétence se ù trouvait désormais établie en l’espèce, que ce fût sur la base du consentement ou agrément spécial exprimé dans ce message ou en vertu de la déclaration générale souscrite par le Royaume de Danemark le 7 avril 1972 au titre de
l’article 46 (art. 46) de la Convention, ainsi que les délégués de la Commission l’ont soutenu dans un mémoire déposé au greffe le 26 janvier 1976.
8. Par la même ordonnance du 28 janvier 1976, le président de la Chambre a organisé la procédure écrite relative au fond de l’affaire.
Ayant consulté à ce sujet, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement et les délégués de la Commission, il a décidé que le
Gouvernement déposerait un mémoire au plus tard le 10 mars 1976 et que les délégués de la Commission auraient la faculté d’y répondre par
écrit dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit mémoire.
Le mémoire du Gouvernement est arrivé au greffe le 11 mars, celui des délégués le 12 mai 1976.
9. Le 20 mars 1976, le président de la Chambre a chargé le greffier d’inviter la Commission à produire certains documents qui ont été fournis au greffe le 26 mars.
10. Par une ordonnance du 19 mai 1976, le président de la Chambre a fixé au 1er juin 1976 la date d’ouverture des audiences, après avoir consulté l’agent du Gouvernement et les délégués de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
11. Les époux Kjeldsen ont déclaré retirer leur requête par un télégramme du 13 mai 1976 au délégué principal de la Commission. Le secrétaire de celle-ci l’a fait savoir au greffier le 21 mai; il a précisé en même temps que la Commission, après en avoir délibéré,
avait décidé de prier la Cour de ne pas rayer la requête du rôle.
M. et Mme Kjeldsen ont en outre écrit directement au greffier les 17 et 27 mai 1976. Dans leurs lettres, rédigées en termes assez véhéments, ils expliquaient leur “désistement” par l’écart profond qui
séparerait leur propre thèse de celle des requérants Busk Madsen et Pedersen. Reprochant à la Commission d’avoir ordonné la jonction des trois requêtes, ils demandaient à la Cour, à titre subsidiaire,de renvoyer les débats à une date ultérieure et d’examiner leur cas à part.
12. Les 24 et 31 mai, puis le 1er juin 1976, le Gouvernement a communiqué plusieurs documents à la Cour.
13. Les débats se sont déroulés en public les 1er et 2 juin 1976 à Strasbourg au Palais des Droits de l’Homme.
Ont comparu devant la Cour:
– pour le Gouvernement:
– M. A. SPANG-HANSSEN, avocat à la Cour suprême du Danemark, agent;
– M. J. MUNCK-HANSEN, Chef de division au ministère de l’éducation,
– M. T. RECHNAGEL, Chef de division à la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères,
– M. N. EILSCHOU HOLM, Chef de division au ministère de la justice conseillers;
– pour la Commission:
– M. F. WELTER, délégué principal,
– M. J. FROWEIN, délégué.
La Cour a ouï en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par elle, MM. Welter et Frowein pour la Commission
et, pour le Gouvernement, M. Spang-Hanssen.
FAITS
14. Les requérants, pères et mères de famille de nationalité danoise,résident au Danemark. M. Viking Kjeldsen, galvaniseur, et son épouse
Annemarie, institutrice, habitent à Varde; M. Arne Busk Madsen, pasteur, et sa femme Inger, institutrice, à Åbenrå; M. Hans Pedersen,
pasteur, et Mme Ellen Pedersen à Ålborg.
Ayant des enfants d’âge scolaire, les trois couples s’opposent à l’éducation sexuelle intégrée, et de ce fait obligatoire, telle que la loi n° 235 du 27 mai 1970, modifiant la loi sur les écoles publiques (lov om aendring af lov om folkeskolen, “la loi de 1970”), l’a
introduite dans les écoles primaires publiques du Danemark.
L’enseignement primaire en général
15. D’après l’article 76 de la Constitution danoise, tous les enfants ont droit à un enseignement gratuit dans les écoles publiques
(folkeskolen), mais les parents ne sont pas tenus de les y inscrire: ils peuvent les envoyer dans un établissement privé ou les faire instruire chez eux.
Pendant l’année scolaire 1970/71, 716.665 élèves fréquentaient 2.471 écoles dont 277 écoles privées groupant au total 43.689 élèves.
Certains parents recouraient à l’enseignement à domicile.
16. A l’époque des faits de la cause, l’enseignement primaire dans les écoles publiques était régi par la loi sur les écoles publiques (lov om folkeskolen), dont le décret n° 279 du 8 juillet 1966 a reproduit le texte mis à jour et qui a été amendée à plusieurs
reprises entre 1966 et 1970.
L’enseignement primaire durait neuf ans; une dixième année, ainsi qu’une année préscolaire pour les enfants de cinq à six ans, étaient
facultatives.
Les matières enseignées étaient pour les quatre premières classes le danois, l’écriture, l’arithmétique, le christianisme (kristendomskundskab), l’histoire, la géographie, la biologie, l’éducation physique, la musique, les beaux-arts et les travaux manuels; s’y ajoutaient l’anglais et le travail du bois dans les cinquième et sixième années, l’allemand, les mathémathiques, les sciences naturelles et les arts
ménagers dans la septième. A partir de la huitième année les écoliers pouvaient, dans une certaine mesure, choisir parmi ces cours ceux qui avaient leur préférence.
La loi laissait au ministre de l’éducation le soin de déterminer les objectifs de l’enseignement, aux autorités scolaires locales celui d’en préciser le contenu dans les programmes d’études et de fixer le
nombre de cours. Cette règle connaissait cependant deux exceptions.
D’une part, l’enseignement religieux devait être conforme à la doctrine évangélique luthérienne, celle de l’église nationale, mais
les enfants pouvaient en être dispensés. D’autre part, le législateur avait enjoint aux écoles d’inclure dans leurs programmes d’études, souvent en liaison avec des sujets traditionnels, certaines matières nouvelles telles que la sécurité routière, l’instruction civique, l’hygiène et l’éducation sexuelle.
17. L’administration des écoles publiques au Danemark est largement décentralisée. Les établissements sont dirigés par le conseil
municipal, autorité scolaire suprême dans chacune des quelque 275 communes du pays, ainsi que par une commission scolaire et un
conseil d’école.
La commission scolaire (skolekommissionen) se compose en règle générale de onze membres dont six sont élus par le conseil municipal
et cinq par les parents. Elle établit les programmes d’études (curricula) pour les écoles de son ressort, en consultation avec le
conseil des enseignants et dans les limites tracées par la loi. Les programmes doivent être approuvés par le conseil municipal. Pour
assister ces organes dans l’accomplissement de leurs tâches, le ministre de l’éducation donne des directives que prépare la commission
des programmes des écoles publiques (“la commission des programmes”), créée en 1958.
Toute école publique a un conseil d’école (skolenaevn) qui compte trois ou cinq membres: l’un d’eux est élu par le conseil municipal,
les deux ou quatre autres par les parents. Le conseil contrôle l’école et organise la coopération entre elle et les parents. Il
décide, sur recommandation du conseil des enseignants, quel matériel scolaire et notamment quels livres l’école doit utiliser; il fixe en outre la distribution des cours aux professeurs.
18. L’enseignement primaire dans les écoles privées ou à domicile ne doit pas se situer au-dessous des normes arrêtées pour les écoles
publiques: il doit englober les mêmes matières obligatoires et être de qualité comparable. Si une école peut être fondée sans autorisation
préalable, les commissions scolaires la contrôlent par la suite pour veiller notamment à ce que le danois, l’écriture et l’arithmétique y soient enseignés de façon adéquate. Il en va de même de l’enseignement
dispensé à la maison; si la commission scolaire constate deux fois de suite qu’il n’est pas satisfaisant, les parents sont tenus d’envoyer l’enfant à une école publique ou privée.
L’Etat subventionne les écoles privées à condition qu’elles ne groupent pas moins de vingt élèves au total et de dix par classe: il
leur rembourse 85 % de leurs dépenses de fonctionnement (salaires du directeur et des professeurs, entretien des intallations, chauffage, électricité, eau, nettoyage, assurances, etc.). Il peut en outre leur
accorder des prêts avantageux pour la construction et l’amélioration des bâtiments. Aussi les parents qui confient leurs enfants à une école privée ne supportent-ils pas en général des frais de scolarité supérieurs à 1.200 couronnes par enfant et par an; pendant l’année scolaire 1973/74, la moyenne de ces frais n’a guère dépassé 1.050 couronnes. En ce qui concerne les frais de transport des enfants qui fréquentent une école privée, le parlement danois a voté en mai 1976
une proposition tendant à prescrire aux communes d’en assumer une grande partie.
D’après les statistiques relatives aux écoles privées, il existait pendant l’année scolaire 1973/74 environ soixante-dix écoles “libres”,
cent une écoles secondaires sans caractère religieux particulier, vingt-cinq écoles catholiques, dix-neuf écoles de la minorité
allemande, dix écoles pour les membres d’autres communautés religieuses, huit écoles chrétiennes “libres” et quelque trente-cinq
écoles diverses.
Selon les requérants, ces écoles ne sont pas assez nombreuses et leurs élèves doivent souvent subir de longs déplacements pour s’y rendre; de plus, les parents désireux d’envoyer leurs enfants dans une école
privée de Copenhague doivent les faire inscrire sur des listes d’attente au moins trois ans à l’avance.
L’éducation sexuelle
19. Au Danemark, l’éducation sexuelle dans les écoles publiques donne lieu à des discussions depuis trente-cinq ans. Dès 1945, elle fut introduite dans les écoles publiques de Copenhague et plusieurs établissements imitèrent cet exemple en dehors de la capitale.
Toutefois, le ministre de l’éducation se prononça contre une éducation sexuelle obligatoire quand la question fut soulevée en 1958.
En 1960, la commission des programmes publia un “guide de l’enseignement dans les écoles publiques” qui distinguait l’instruction sur la reproduction chez l’homme et l’instruction
sexuelle proprement dite. Elle recommandait d’intégrer la première au programme de biologie alors que la seconde resterait facultative pour les enfants et les professeurs et serait assurée par un personnel
médical. Elle conseillait en outre d’élaborer des directives destinées aux écoles et portant sur le contenu de l’enseignement et
sur la terminologie à utiliser.
Par une circulaire du 8 avril 1960, le ministre de l’éducation se rallia aux conclusions de la commission: dès l’année scolaire 1960/61, la reproduction chez l’homme devint une partie obligatoire des leçons
de biologie tandis qu’un guide officiel du ministère, datant de septembre 1961, précisait que seuls suivraient l’instruction sexuelle
proprement dite les enfants dont les parents y auraient expressément consenti.
20. Préoccupé par la fréquence croissante des grossesses non désirées et soucieux de la réduire, le gouvernement danois chargea en 1961 une commission d’examiner le problème de l’éducation sexuelle (Seksualoplysningsudvalget). L’institution d’une telle commission avait été préconisée notamment par le Conseil national des femmes
danoises (Danske Kvinders Nationalraad) que présidait Mme Else-Merete Ross, membre du parlement, et par les comités de direction des institutions pour l’aide aux mères (Mødrehjaelpsinstitutionernes Bestyrelse). Ces
derniers recevaient chaque année des demandes d’assistance d’à peu près 6.000 jeunes mères célibataires dont la moitié avaient moins de
vingt ans et le quart moins de dix-sept. D’autre part, beaucoup d’enfants de parents souvent très jeunes naissaient dans les neuf
premiers mois du mariage. De leur côté, les avortements légaux se chiffraient à 4.000 environ par an et les avortements illégaux,
d’après les estimations des experts, à 15.000 tandis que l’on n’enregistrait guère plus de 70.000 naissances.
21. Après une étude approfondie du problème, la commission susmentionnée, composée de médecins, pédagogues, juristes, théologiens
et experts gouvernementaux, présenta en 1968 un rapport (n° 484) intitulé “L’éducation sexuelle dans les écoles publiques”
(Seksualundervisning i Folkeskolen, betaenkning Nr. 484). Elle y recommandait, s’inspirant à cet égard du système en vigueur en Suède depuis quelques années, d’intégrer l’éducation sexuelle dans les matières obligatoires des programmes d’études des écoles publiques.
Toutefois, les professeurs ne devaient pas être obligés de participer à cet enseignement.
Le rapport partait de l’idée qu’il importait d’adapter l’instruction sexuelle aux différents degrés de maturité des enfants et de la dispenser en liaison naturelle avec d’autres sujets, notamment lorsque
les questions des enfants en donneraient l’occasion. Cette méthode paraissait à la commission particulièrement propre à éviter que cet enseignement ne prît un caractère délicat et spéculatif. Le rapport
soulignait que l’instruction en la matière devait revêtir la forme de discussions et dialogues entre professeurs et élèves. Il donnait finalement certaines indications relatives au contenu de l’enseignement
sexuel et préconisait l’élaboration de nouvelles directives pour les écoles publiques.
22. En mars 1970, le ministre de l’éducation saisit le parlement d’un projet de loi visant à modifier la loi sur les écoles publiques. Le
projet tendait entre autres à rendre obligatoire l’éducation sexuelle et à l’intégrer à l’enseignement général des écoles primaires publiques. Il se fondait à cet égard sur les recommandations de la
commission de l’éducation sexuelle, mais s’en écartait sur un point: à la suite d’une déclaration de l’Association nationale des enseignants, il n’accordait pas aux professeurs un droit général d’être dispensés
de contribuer à cet enseignement.
Le projet avait reçu l’appui non seulement de cette association, mais aussi de l’Association nationale de l’école et de la société qui
représente, sur le plan national, des comités d’éducation, des conseils d’école et des associations de parents, ainsi que de
l’Association nationale des conseils municipaux.
Votée à l’unanimité par le parlement et promulguée le 27 mai 1970, la loi de 1970 ajoutait, en son article 1 par. 25, “l’organisation des bibliothèques et l’éducation sexuelle” à la liste des matières à
enseigner, figurant à l’article 17 par. 6 de la loi sur les écoles publiques. En conséquence, ce dernier texte se lisait désormais ainsi (bekendtgørelse n° 300 du 12 juin 1970):
“Outre les dispositions qui précèdent, ce qui suit vaut également pour l’enseignement dispensé à l’école primaire:
la circulation, l’organisation des bibliothèques et l’éducation sexuelle font partie intégrante de l’enseignement selon les modalités fixées par le ministre de l’éducation.
(…).”
La loi entra en vigueur le 1er août 1970. Dès le 25 juin, une circulaire du ministre de l’éducation (cirkulaere om aendring af
folkeskoleloven) avait informé les conseils municipaux, commissions scolaires, conseils d’école, conseils d’enseignants et directeurs
d’école, en dehors de Copenhague, “qu’il sera(it) diffusé d’autres dispositions, accompagnées de nouvelles directives pédagogiques, concernant l’éducation sexuelle”. Elle précisait que “d’ici là, les
parents aur(aient) encore la faculté de dispenser leurs enfants de cet enseignement et les professeurs celle de ne pas l’assurer”.
23. Après le vote de la loi du 1970, le ministre de l’éducation invita la commission des programmes à élaborer un nouveau guide de
l’éducation sexuelle dans les écoles publiques, destiné à remplacer celui de 1961 (paragraphe 19 ci-dessus). Ce guide (Vejledning om seksualoplysning i folkeskolen, “le guide”), achevé en avril 1971,
formule les objectifs de l’éducation sexuelle ainsi que certains principes généraux devant la régir, et propose des programmes
détaillés pour les différentes classes.
24. Sur la base des recommandations du guide, le ministre de l’éducation précisa, par le décret n° 274 du 8 juin 1971 (bekendtgørelse om seksualoplysning i folkeskolen), les normes qu’il avait annoncées dans sa circulaire du 25 juin 1970.
Le décret – qui visait l’enseignement primaire et le premier cycle du secondaire dans les écoles publiques, en dehors de Copenhague – était ainsi libellé:
“Article 1 (1) L’éducation sexuelle a pour objet de dispenser aux élèves des connaissances qui:
a) les aident à éviter une incertitude et une crainte de nature à leur créer des problèmes,
b) les aident à mieux comprendre les rapports qui unissent la vie sexuelle, la vie affective et la vie en société,
c) donnent à chaque élève la possibilité de découvrir par lui-même les attitudes qui s’harmonisent le mieux avec sa propre personnalité,
c) mettent en valeur l’importance du sens des responsabilités et de la délicatesse dans le domaine sexuel.
(2) L’éducation sexuelle est dispensée à tous les niveaux dans le cadre des matières scolaires communes, en particulier le danois, le christianisme, la biologie (hygiène), l’histoire (éducation civique) et l’instruction familiale. On peut aussi, en sixième et neuvième années, donner un aperçu d’ensemble des principaux sujets relevant de
l’éducation sexuelle.
Article 2 (1) Les modalités et l’importance de l’éducation sexuelle sont définies dans le programme d’études ou conformément à celui-ci.
On s’inspirera à cet égard des instructions diffusées par la commission des programmes de la folkeskole. Si l’on assure en sixième
et neuvième années l’enseignement particulier visé à l’article 1 par. 2, seconde phrase, il sera réservé à cet effet un petit nombre de leçons par an.
(2) L’éventail des questions traitées conformément au paragraphe 1 ne saurait être limité de telle sorte que le but de l’éducation sexuelle ne puisse être réalisé.
(3) Les limites assignées à l’activité scolaire ‘éducation sexuelle’, telles qu’elles sont indiquées au chapitre 4 des instructions, valent nonobstant les dispositions du programme d’études.
Article 3 (1) L’éducation sexuelle est dispensée par les professeurs chargés d’enseigner les matières auxquelles elle est intégrée dans la classe considérée, selon les instructions du chef d’établissement.
S’il ne ressort pas du programme d’études à quelles matières se rattachent les divers sujets d’enseignement, les enseignants de la
classe se répartissent les tâches en tant que de besoin conformément à l’avis du conseil des enseignants, avis qui doit être approuvé par le
conseil d’école conformément à l’article 27 par. 5 de la loi sur l’administration scolaire.
(2) On ne peut contraindre un enseignant à dispenser contre son gré, en sixième et neuvième années, l’enseignement particulier visé à l’article 1 par. 2, seconde phrase.
Article 4 (1) Le présent décret entrera en vigueur le 1er août 1971.
(2) En même temps disparaît le droit pour les parents de faire exempter leurs enfants de l’éducation sexuelle donnée à l’école. Ils
peuvent cependant, en s’adressant au chef d’établissement, les faire exempter de l’enseignement particulier visé à l’article 1 par. 2, seconde phrase.
(3) (…).”
25. Une circulaire du ministre de l’éducation (cirkulaere om seksualoplysning i folkeskolen), datée elle aussi du 8 juin 1971 et adressée aux mêmes autorités que celle du 25 juin 1970 (paragraphe 22 ci-dessus), fournissait aux destinataires, entre autres, certaines précisions quant à la préparation des programmes d’études des écoles
publiques en la matière. Elle attirait notamment leur attention sur le
fait qu'”il incombait à la commission scolaire, après en avoir discuté
avec le conseil collectif des enseignants, d’élaborer un projet de dispositions régissant l’éducation sexuelle, à reprendre dans les
programmes d’études des écoles de la commune”. Rappelant que ces dispositions pouvaient revêtir la forme d’un simple renvoi aux recommandations du guide, la circulaire relevait que celui-ci offrait pour les classes de la cinquième année à la dixième diverses
possibilités en ce qui concerne les modalités et l’importance de l’enseignement. Par conséquent, en cas de simple référence au guide, “il appart(enait) à l’établissement (conseil des enseignants) de se
prononcer à cet égard avec l’accord du conseil d’école”.
26. Les objectifs retenus par le décret du 8 juin 1971 étaient identiques à ceux du guide, à ceci près que ce dernier renferme un
passage supplémentaire aux termes duquel les écoles doivent essayer de promouvoir chez les élèves une ouverture d’esprit aux aspects sexuels de la vie de l’homme et d’encourager cette ouverture d’esprit par une
attitude propre à leur inspirer un sentiment de sécurité.
27. Le guide commente ainsi le principe d’intégration consacré au paragraphe 2 de l’article 1 du décret:
“L’intégration a pour but principal de situer l’information sexuelle dans un contexte tel que la sexualité humaine n’apparaisse
pas comme un phénomène particulier. La sexualité n’est ni un problème purement physique (…) ni un problème purement
technique (…). D’un autre côté, ses répercussions émotionnelles ne sont pas telles qu’elle ne puisse pas donner lieu à des
discussions objectives et sérieuses (…). Le sujet devrait donc faire partie intégrante de l’éducation scolaire générale (…).”
28. Quant à la définition des modalités et de l’importance de l’éducation sexuelle (article 2 par. 1 du décret), le guide indique les
matières que peuvent englober les programmes d’études des écoles publiques.
De la première année à la quatrième, l’instruction part de la notion de famille pour traiter ensuite de la différence des sexes, de la conception, de la naissance et du développement de l’enfant, du planning familial, des contacts des enfants avec les personnes qu’ils ne connaissent pas et de la puberté.
La liste des sujets suggérés pour les cinquième, sixième et septième années comprend les organes sexuels, la puberté, les hormones,
l’hérédité, les activités sexuelles
(masturbation, copulation, orgasme), la fécondation, les méthodes contraceptives, les maladies vénériennes, les déviations sexuelles (notamment l’homosexualité) et la pornographie.
L’enseignement dispensé de la huitième année à la dixième revient sur les questions abordées au cours des années précédentes, tout en
mettant l’accent sur les aspects éthiques, sociaux et familiaux de la vie sexuelle. Le guide mentionne l’éthique et la morale sexuelles, les différentes opinions sur la vie sexuelle avant le mariage, la vie
sexuelle et le mariage vus à la lumière de différentes opinions religieuses et politiques, le rôle des sexes, l’amour, le sexe et la fidélité dans le mariage, le divorce, etc.
29. Le guide préconise une méthode d’enseignement fondée sur un dialogue entre enseignants et enfants, à partir de questions de ces derniers. Il souligne que “l’enseignement doit être dispensé avec
assez de tact pour ne pas choquer ou effrayer l’enfant” et qu’il “doit respecter le droit de chaque enfant à continuer d’adhérer aux
conceptions qu’il s’est lui-même forgées”. Dans la mesure où la discussion porte sur des problèmes éthiques et moraux de la vie
sexuelle, le guide recommande aux enseignants une attitude objective;
il précise:
“Le professeur ne doit pas se prononcer sur les idées débattues.
Cela ne l’empêche pourtant pas nécessairement d’exprimer son avis
personnel. L’objectivité s’impose d’autant plus que les élèves sortent de tous les milieux sociaux. Les parents doivent pouvoir être sûrs que leurs enfants ne sont pas influencés dans une direction
unilatérale qui s’écarte de leurs propres opinions. Ils doivent avoir l’assurance que les conceptions morales fondamentales sont présentées avec objectivité et sérieux.”
Le guide engage en outre les professeurs à ne pas se servir d’expressions vulgaires ni de photographies érotiques, à ne pas
discuter des questions sexuelles avec un élève seul en dehors du groupe et à ne pas informer les écoliers des techniques de copulation
(article 2 par. 3 du décret).
Les requérants prétendent cependant qu’en pratique on utilise très souvent un vocabulaire vulgaire. Ils se réfèrent à un livre de Bent H. Claësson, intitulé “Dreng og Pige, Mand og Kvinde” (“Garçon et
fille, homme et femme”) et dont 55.000 exemplaires ont été vendus au
Danemark. Selon eux, il emploie fréquemment un vocabulaire vulgaire, explique les techniques de copulation et contient des photographies représentant des situations érotiques.
30. En ce qui concerne les relations entre l’école et les parents, le guide relève notamment:
“Pour arriver à conjuguer l’éducation sexuelle à l’école avec celle qui est fournie à la maison, il conviendra de tenir les parents au
courant des modalités et de l’étendue de l’éducation sexuelle donnée par l’école. Les réunions des parents de la classe sont un bon moyen d’établir ce contact entre l’école et les parents. Ces conversations offriront l’occasion d’insister sur l’objet de l’instruction sexuelle à l’école et de préciser aux parents que l’école n’entend pas leur retirer quoi que ce soit, mais au contraire instaurer (…) une coopération bénéfique pour tous les intéressés. On peut aussi faire observer aux parents que l’éducation intégrée permet d’aborder la
question dans les situations exactes où elle se pose naturellement dans les autres domaines d’instruction et que, d’une manière générale,
cela n’est possible que si l’éducation sexuelle est obligatoire pour les élèves (…). En outre, le maître d’école pourra, par ses contacts avec les familles en apprendre suffisamment sur l’attitude des parents envers l’école, comme envers leur enfant et ses problèmes particuliers.
En parlant de l’éducation sexuelle dispensée par l’école, on amènera souvent les parents sceptiques à comprendre qu’une coopération entre l’école et la famille se justifie dans ce domaine également. Certains
enfants peuvent avoir des exigences particulières ou requérir une attention spéciale, et ce sont souvent leurs parents qu’il sera difficile de toucher. Le maître devra bien voir cette difficulté.
Lorsqu’enseignants, familles et enfants en seront progressivement venus à se connaître les uns les autres, il pourra s’instaurer des
rapports de confiance qui permettront d’entamer l’éducation sexuelle à
la satisfaction de tous.”
31. Le décret ministériel n° 313 du 15 juin 1972, entré en vigueur le 1er août 1972, a abrogé celui du 8 juin 1971. En voici le texte:
“Article 1
(1) L’éducation sexuelle dans les écoles publiques a pour objectif de dispenser aux élèves des informations sur la sexualité qui leur permettent de s’assumer et de montrer des égards pour autrui dans ce domaine.
(2) Les établissements scolaires sont donc tenus, au minimum, d’inculquer aux élèves des notions sur l’anatomie des organes de
reproduction, la conception, la contraception et les maladies vénériennes, qui leur permettront plus tard de ne pas s’attirer
d’ennuis ou de ne pas en attirer à d’autres par pure ignorance.
Des objectifs supplémentaires et plus vastes peuvent être définis dans
le cadre de ceux fixés au paragraphe 1 ci-dessus.
(3) L’éducation sexuelle débute au plus tard en troisième année; elle est dispensée dans le cadre des matières scolaires communes, en
particulier le danois, le christianisme, la biologie (hygiène), l’histoire (éducation civique) et l’instruction familiale. On peut
aussi, en sixième ou septième et neuvième années, donner un aperçu d’ensemble des principaux sujets relevant de l’éducation sexuelle.
Article 2
Les modalités et l’importance de l’éducation sexuelle sont définies dans le programme d’études ou conformément à celui-ci. Si l’on
assure l’enseignement particulier visé à l’article 1 par. 3, seconde
phrase, il sera réservé à cet effet un petit nombre de leçons pendant les années considérées.
Article 3
(1) L’éducation sexuelle est dispensée par les professeurs chargés d’enseigner les matières auxquelles elle est intégrée dans la classe
considérée, selon les instructions du chef d’établissement.
S’il ne ressort pas du programme d’études à quelles matières se rattachent les divers sujets d’enseignement, les enseignants de la
classe se répartissent les tâches en tant que de besoin conformément à l’avis du conseil d’enseignants, avis qui doit être approuvé par le conseil d’école conformément à l’article 27 par. 5 de la loi sur l’administration scolaire.
(2) On ne peut contraindre un enseignant à dispenser contre son gré l’enseignement particulier visé à l’article 1 par. 3, seconde phrase.
L’enseignant n’est pas tenu non plus d’apprendre aux élèves les techniques de copulation ni d’utiliser des photographies représentant des situations érotiques.
Article 4
Les parents peuvent, en s’adressant au chef d’établissement, faire exempter leurs enfants de l’enseignement particulier visé à
l’article 1 par. 3, seconde phrase.
(…).”
32. Dans une circulaire du 15 juin 1972 (cirkulaere om aendring af
reglerne om seksualoplysning i folkeskolen), adressée aux mêmes autorités que celle du 25 juin 1970 (paragraphe 22 ci-dessus), le
ministre de l’éducation déclare que le nouveau décret a pour but d’accorder aux autorités scolaires locales, et par voie de conséquence
aux parents, une plus grande influence sur l’organisation de l’enseignement dont il s’agit. D’autre part, l’éducation sexuelle,
qui “continuera d’être dispensée comme un enseignement essentiellement intégré, c’est-à-dire dans le cadre des matières scolaires obligatoires”, doit avoir un objectif plus restreint et mettre davantage l’accent sur
les données de fait.
La circulaire relève que l’éducation sexuelle pourra dorénavant ne commencer qu’à partir de la troisième année. Elle signale en outre
que si le décret ne renvoie plus au guide – toujours en vigueur -, c’est pour souligner que celui-ci constitue un simple moyen d’aider
les autorités scolaires locales à établir les programmes d’études.
La circulaire précise enfin la situation des enseignants. Si un professeur ne se croit pas en mesure de participer à cet enseignement
d’une manière satisfaisante, il doit avoir l’occasion de suivre un des cours d’information organisés par le Collège de formation des enseignants. D’autre part, le ministre recommande expressément
d’attacher une importance particulière aux qualifications personnelles
et professionnelles des professeurs en répartissant entre eux les cours qui incluent l’éducation sexuelle.
D’après les requérants, le décret du 15 juin 1972 aboutit à dispenser les professeurs de donner des cours d’éducation sexuelle. En fait, le ministre de l’éducation l’aurait adopté parce que beaucoup d’enseignants avaient vigoureusement protesté contre pareille
obligation.
33. Le 26 juin 1975, le parlement danois a voté une nouvelle loi sur écoles publiques (loi n° 313), qui est entrée entièrement en vigueur le 1er août 1976. Elle n’a toutefois amendé aucune des dispositions pertinentes en l’espèce: l’éducation sexuelle demeure une partie intégrante et obligatoire de l’instruction à l’école élémentaire.
La loi n’a pas davantage modifié les anciennes règles concernant l’influence des parents sur l’organisation et le contrôle des écoles
publiques.
Pendant l’examen du projet par le parlement, le parti populaire chrétien avait déposé un amendement tendant à permettre aux parents de
demander que leurs enfants soient exemptés d’éducation sexuelle.
L’amendement a été repoussé par 103 voix contre 24.
34. Si l’enseignement primaire dans les écoles privées doit embrasser en principe toutes les matières obligatoires dans les écoles publiques (paragraphe 18 ci-dessus), l’éducation sexuelle constitue à cet égard
une exception: les écoles privées sont libres de décider elles-mêmes dans quelle mesure elles veulent conformer leur enseignement dans ce domaine aux règles applicables aux écoles publiques. Toutefois, elles doivent inclure dans leurs programmes de biologie un cours sur la reproduction chez l’homme, tel qu’il était obligatoire dans les écoles publiques depuis 1960 (paragraphe 19 ci-dessus).
35. D’après les requérants, l’introduction de l’éducation sexuelle obligatoire ne correspondait nullement à la volonté générale de la population. Un directeur d’école de Nyborg aurait recueilli, dans un
laps de temps très court, 36.000 signatures de protestation. De même, un sondage effectué par l’Institut Observa et publié le 30 janvier 1972 par un quotidien, le Jyllands-Posten, aurait révélé que sur un échantillon de 1.532 personnes de dix-huit ans ou plus, 41% se
prononçaient en faveur d’un système facultatif, 15% refusaient toute
éducation sexuelle dans les écoles primaires et 35% seulement approuvaient le système instauré par la loi de 1970.
Selon les auteurs de deux articles publiés en 1975 dans la revue médicale Ugeskrift for Laeger et que la Commission a produits,
l’introduction de l’éducation sexuelle n’a d’ailleurs pas entraîné les effets espérés par le législateur; bien au contraire, le nombre des grossesses non désirées et des avortements aurait augmenté dans de fortes proportions entre 1970 et 1974. D’après le Gouvernement, les statistiques de 1970 à 1974 ne sauraient passer pour refléter les effets d’une législation dont l’application n’a commencé en pratique qu’en août 1973.
Les faits propres aux requérants
36. M. et Mme Kjeldsen ont une fille prénommée Karen. Née en décembre 1962, elle fréquentait l’école publique St. Jacobi, à Varde.
Toutes les écoles publiques de cette ville utilisaient encore, jusqu’à l’année scolaire 1972/73, les programmes d’étude adoptés en 1969, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi de 1970. Le programme n’a changé à Varde qu’à partir de l’année scolaire 1973/74.
37. Le 25 avril 1971, les requérants demandèrent au ministre de l’éducation de dispenser leur fille des cours d’éducation sexuelle;
ils déclaraient vouloir les lui donner eux-mêmes.
Le 6 mai 1971, le ministère leur répondit qu’un nouveau décret sur l’éducation sexuelle dans les écoles publiques était en préparation.
Les requérants en appelèrent au parlement danois qui ne réagit pas.
Ils s’adressèrent alors au médiateur parlementaire (Folketingets ombudsmand) qui les informa, le 2 juin 1971, qu’il n’avait pas
compétence pour s’occuper de la question.
38. Par une lettre du 14 juillet 1971, le ministère de l’éducation signala aux requérants la publication du décret n° 274 (paragraphe 24 ci-dessus), ajoutant que des raisons d’ordre pratique empêchaient de
dispenser les enfants de l’éducation sexuelle intégrée.
Le 5 août 1971, les requérants écrivirent derechef au ministère de l’éducation pour s’enquérir cette fois de la situation des écoles privées en matière d’éducation sexuelle. Le ministère leur indiqua,
le 20 septembre, qu’elles n’avaient pas l’obligation d’assurer un enseignement allant au-delà de celui qu’elles étaient tenues, depuis 1960, de dispenser au titre du programme de biologie.
Quelques semaines auparavant, à savoir le 31 août 1971, la commission scolaire de Varde avait repoussé une demande des requérants tendant à faire donner à leur fille un enseignement privé gratuit.
39. Le 13 octobre 1971, le ministère répondit à une nouvelle lettre par laquelle les requérants avaient réclamé, le 6 septembre, la
promulgation d’une législation autorisant l’enseignement gratuit sans éducation sexuelle. Il précisa qu’il n’avait pas l’intention de proposer une telle législation et refusa en outre de prendre des
mesures propres à permettre à la fille des requérants de recevoir un enseignement distinct. Se référant à la réponse donnée à une autre personne qui, dans le même domaine, avait invoqué l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2), le ministère déclara qu’en raison notamment de l’existence d’écoles privées, la législation danoise en matière d’éducation sexuelle était conforme à ce texte.
Le 15 avril 1972, les requérants demandèrent au ministère de l’éducation pourquoi les programmes d’études des écoles publiques de
Varde n’avaient pas encore été adaptés à la nouvelle législation en ce qui concerne l’éducation sexuelle; le dossier ne révèle pas si le ministère leur a répondu.
40. Entre-temps, les requérants avaient retiré leur fille de l’école St. Jacobi; pendant l’année scolaire 1971/72 ils l’instruisirent chez eux. En août 1972, ils l’envoyèrent à nouveau à l’école publique de
Varde (Brorsonskolen).
Devant la Commission, ils ont allégué que l’école privée la plus proche se trouvait à dix-neuf kilomètres de leur domicile et que leur fille, diabétique, ne pouvait quitter la maison pendant un laps de temps prolongé. Le Gouvernement n’a pas contesté ces affirmations.
41. M. et Mme Busk Madsen ont quatre enfants dont l’aîné est entré en 1972 dans une école publique d’Åbenrå. Ils ont essayé sans succès de les faire dispenser des cours d’éducation sexuelle.
42. M. et Mme Pedersen ont cinq enfants dont trois étaient d’âge scolaire en 1972. Deux d’entre eux, Ester, née en 1957, et Svend, né
en 1965, fréquentaient des écoles privées pour ne pas avoir à suivre l’éducation sexuelle; le troisième, Hans Kristian, né en 1961, était
inscrit à l’école municipale de Poul Paghs Gade à Ålborg. Les requérants payaient 660 couronnes par mois pour Ester, qui avait quitté
cette même école en été 1972 pour un internat privé à Korinth (Fionie), et 75 pour Svend.
Les Pedersen avaient demandé aux autorités compétentes – également en vain – de dispenser leurs enfants d’éducation sexuelle. Ils ont
déclaré dans leur requête que si la Commission ne pouvait rien pour eux, ils pensaient envoyer aussi leur troisième enfant à une école
privée.
43. En mars 1972, les requérants se plaignirent de l’utilisation de certains manuels d’éducation sexuelle à l’école susmentionnée; ces ouvrages avaient apparemment été approuvés par le conseil d’école, en accord avec les enseignants de l’établissement.
Le comité de l’éducation et de la culture du conseil de comté du Jutland du Nord (Nordjyllands amtsråds undervisnings- og kulturudvalg) décida toutefois, le 16 juin 1972, d’appuyer la résolution du conseil
d’école, décision que le ministre de l’éducation confirma le 13 mars 1973.
PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION
44. M. et Mme Kjeldsen ont saisi la Commission le 4 avril 1971, M. et Mme Busk Madsen ainsi que M. et Mme Pedersen le 7 octobre 1972.
Les Busk Madsen et les Pedersen ayant déclaré qu’ils considéraient leurs requêtes comme étroitement liées à celle des Kjeldsen, la
Commission a ordonné le 19 juillet 1973 la jonction des trois requêtes en vertu de l’article 39 du règlement intérieur en vigueur à l’époque.
Tous les requérants soutenaient que l’éducation sexuelle intégrée et
de ce fait obligatoire, telle que la loi de 1970 l’a introduite dans les écoles publiques, était contraire à leurs convictions de parents
chrétiens et violait l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2).
La Commission a statué le 16 décembre 1972 sur la recevabilité de la requête des Kjeldsen, les 29 mai (décisions partielles) et
19 juillet 1973 (décisions finales) sur celle des requêtes des Busk Madsen et des Pedersen. Elle les a retenues pour autant que les
requérants attaquaient la loi de 1970 sur le terrain de l’article 2 du du Protocole n° 1 (P1-2), mais les a rejetées, pour non-épuisement des voies de recours internes (article 27 par. 3) (art. 27-3), dans la
mesure où ils se plaignaient des “directives et autres décisions administratives édictées par les autorités danoises” quant à la
manière de dispenser l’éducation sexuelle.
Dans leurs mémoires sur le fond, M. et Mme Kjeldsen ont invoqué aussi les articles 8, 9 et 14 (art. 8, art. 9, art. 14) de la Convention.
45. Dans son rapport, daté du 21 mars 1975, la Commission a exprimé l’avis:
– que l’existence du système danois d’éducation sexuelle ne constitue
pas en soi une violation de l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) (sept voix contre sept, avec la voix prépondérante du président,
article 18 par. 3 du règlement intérieur de la Commission en vigueur à l’époque);
– qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention (unanimité), ni de l’article 9 (art. 9) (unanimité);
– que les faits de la cause ne révèlent aucune violation de l’article 14 (art. 14) de la Convention (sept voix contre quatre, avec trois abstentions).
Le rapport contient trois opinions séparées.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
46. A l’audience du 2 juin 1976, les délégués de la Commission ont invité la Cour à
“juger si l’introduction de l’éducation sexuelle intégrée, et de ce fait obligatoire, dans les écoles primaires publiques par la loi
danoise du 27 mai 1970 constitue, dans le chef des requérants, une violation des droits et libertés garantis par la Convention européenne
des Droits de l’Homme, en particulier de ceux énoncés aux articles 8, 9 et 14 (art. 8, art. 9, art. 14) de la Convention, ainsi qu’à
l’article 2 du premier Protocole additionnel (P1-2).”
De son côté le Gouvernement, sans présenter de conclusions formelles, a plaidé l’absence de tout manquement aux exigences de la Convention
et du Protocole n° 1 (P1).
EN DROIT
47. La Cour doit d’abord se prononcer sur deux questions de caractère préliminaire.
La première concerne la déclaration de retrait et la demande subsidiaire de disjonction formulées par les époux Kjeldsen
(paragraphe 11 ci-dessus).
Emanant de particuliers que la Convention n’habilite pas à saisir la Cour, la déclaration dont il s’agit ne saurait déployer les effets d’un désistement dans la présente procédure (arrêt De Becker du 27 mars 1962, série A n° 4, p. 23, par. 4). Le paragraphe 1 de l’article 47 du règlement ne joue pas en l’espèce car il vaut uniquement pour le
désistement d’une “Partie requérante devant la Cour”, c’est-à-dire d’un Etat contractant qui a introduit une instance auprès de celle-ci
(alinéa h) de l’article 1). Sans doute le paragraphe 2 prévoit-il que la Cour peut, sous réserve du paragraphe 3, rayer du rôle une affaire portée devant elle par la Commission, mais il surbordonne pareille
décision à l’existence “d’un règlement amiable, arrangement ou autre fait de nature à fournir une solution du litige”. Or cette condition, ainsi que le délégué principal de la Commission l’a souligné à l’audience de la matinée du 1er juin 1976, ne se trouve pas remplie dans le cas des Kjeldsen. En outre, la radiation du rôle – que le Gouvernement n’a du reste pas sollicitée – n’offrirait aucun intérêt pratique en l’occurrence: limitée à la requête n° 5095/71, elle laisserait subsister celles des époux Busk Madsen (n° 5920/72) et
Pedersen (n° 5926/72), qui soulèvent le même problème fondamental.
Cette dernière considération amène la Cour à écarter également la demande de disjonction.
48. En second lieu, la Cour estime nécessaire de circonscrire l’objet de l’examen auquel il lui incombe de se livrer.
En 1972 et 1973, la Commission a retenu les requêtes pour autant qu’elles contestaient la compatibilité de la loi du 27 mai 1970,
rendant l’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles publiques, avec l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2); elle les a jugées irrecevables, pour non-épuisement des voies de recours internes, pour autant qu’elles avaient trait aux “directives et autres mesures
administratives édictées par les autorités danoises” quant à la manière de dispenser cette éducation. Au paragraphe 141 de son
rapport du 21 mars 1975 elle a indiqué, avant de formuler son avis sur le fond du litige, qu’elle avait pour tâche de s’occuper “de la
législation danoise prévoyant l’éducation sexuelle intégrée” et non “de la manière dont cette éducation est dispensée dans différentes
écoles”; au paragraphe 142, elle a précisé que par législation elle entendait la loi n° 235 du 27 mai 1970, le décret n° 274 du
8 juin 1971 et le décret n° 313 du 15 juin 1972. Le résumé des faits figurant dans le rapport mentionnait en outre le “guide” d’avril 1971 et la circulaire ministérielle du 8 juin 1971 sur l’éducation sexuelle
dans les écoles publiques. De même, la demande introductive d’instance du 24 juillet 1975 parlait de la “législation danoise” et
non de la seule loi du 27 mai 1970. Dans leur mémoire du 11 mai 1976 et pendant les débats des 1er et 2 juin 1976, les délégués de la
Commission ont cité de larges extraits du “guide” d’avril 1971 et des décrets des 8 juin 1971 et 15 juin 1972, encore que leurs conclusions finales se réfèrent uniquement à la loi du 27 mai 1970. Ils ont exprimé l’opinion que si la Cour n’a pas à connaître des “modalités d’enseignement de l’éducation sexuelle dans les différentes écoles”,
c’est-à-dire des mesures adoptées “par les autorités municipales et par les conseils de parents”, il lui est “loisible (…) d’examiner
les diverses mesures d’ordre général prises par le Gouvernement” et que son contrôle s’étend aux décrets des 8 juin 1971 et 15 juin 1972 pour autant, “tout au moins”, où ils servent “à l’interprétation de la
loi” du 27 mai 1970. D’après les délégués, Commission et Gouvernement semblent s’accorder sur “cette interprétation des décisions sur la
recevabilité”, dont la rédaction laissait place à “certaines incertitudes”.
Dans son mémoire du 8 mars 1976, le Gouvernement a déduit du paragraphe 141 du rapport de la Commission “qu’en examinant l’affaire il faut partir de l’idée que la loi” du 27 mai 1970 “est appliquée conformément aux principes énoncés dans le décret du 15 juin 1972”.
Au nombre des “pièces sur la base desquelles (la Cour) doit agir”, il a rangé les décrets et circulaires des 8 juin 1971 et 15 juin 1972, à la suite de quoi le greffier s’en est procuré le texte auprès de la Commission sur les instructions du président de la Chambre (ordonnance du 20 mars 1976). “Pour prévenir l’effet d’idées erronées quant à ‘la
manière dont est dispensée l’éducation sexuelle'”, le Gouvernement a en outre fourni au greffe une traduction anglaise du “guide” d’avril 1971, de la préface duquel son agent a lu un passage dans sa plaidoirie du 1er juin 1976.
La Cour estime, dans ces conditions, qu’elle se trouve appelée à rechercher si la loi du 27 mai 1970 et la législation subsidiaire de
caractère général promulguée en vertu de ses clauses enfreignent ou non la Convention et le Protocole n° 1 (P1), tandis que les mesures
particulières d’application arrêtées au niveau de chaque commune ou établissement scolaire échappent à son contrôle. En son article 1 par. 25, la loi du 27 mai 1970 se bornait à compléter la liste des matières
obligatoires “intégrées” en y ajoutant, entre autres, l’éducation sexuelle; il incombait au ministre de l’éducation nationale de définir
les modalités de mise en oeuvre du principe ainsi retenu (paragraphe 22 ci-dessus). Elaborés en exécution de ce mandat, décrets et circulaires des 8 juin 1971 et 15 juin 1972 forment donc un tout avec la loi elle-même; la Cour ne peut apprécier celle-ci qu’à leur lumière, sans quoi sa saisine n’aurait d’ailleurs guère offert d’utilité en
l’espèce. Il échet cependant de relever, avec la Commission (paragraphe 145 in fine du rapport), que sortent du cadre de la
présente affaire les dispositions relatives aux cours spéciaux et facultatifs d’éducation sexuelle (articles 1 par. 2 in fine, 2 par. 1
in fine, 3 par. 2 et 4 par. 2 in fine du décret du 8 juin 1971, puis articles 1 par. 3 in fine, 2 in fine, 3 par. 2 et 4 du décret du
15 juin 1972); y entrent uniquement celles qui concernent l’éducation sexuelle intégrée à l’enseignement de disciplines obligatoires.
Le “guide” d’avril 1971, lui, ne constitue pas un acte législatif ou réglementaire, mais un document de travail destiné à aider et
conseiller les autorités scolaires locales; si le décret (article 2) et la circulaire du 8 juin 1971 le mentionnaient, il n’en va plus de
même de ceux du 15 juin 1972 (paragraphes 24-25 et 31-32 ci-dessus).
Il demeure néanmoins en usage dans l’ensemble du pays et les comparants l’ont fréquemment cité. Aussi la Cour y aura-t-elle égard
en tant qu’il contribue à révéler l’esprit de la législation incriminée.
Quant à la loi n° 313 du 26 juin 1975, entrée entièrement en vigueur le 1er août 1976, elle n’appelle pas un examen séparé puisqu’elle
n’amende aucune des dispositions pertinentes en l’espèce (paragraphe 33 ci-dessus).
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE N° 1
(P1-2)
49. Les requérants invoquent l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2), aux termes duquel
“Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.”
50. Devant la Commission, le Gouvernement avait soutenu en ordre principal que la seconde phrase de l’article 2 (P1-2) ne vise pas les écoles publiques (paragraphes 104-107 du rapport et mémoire du 29 novembre 1973), mais sa thèse a quelque peu évolué depuis lors.
Dans son mémoire du 8 mars 1976 et à l’occasion des audiences des 1er et 2 juin 1976, il a concédé que la présence d’écoles privées n’implique peut-être pas nécessairement dans tous les cas l’absence de
violation de ladite phrase. Il a néanmoins souligné que le Danemark n’astreint pas les parents à confier leurs enfants aux écoles
publiques: il les laisse libres de les instruire ou faire instruire à domicile et, surtout, de les envoyer dans des établissement privés auxquels l’Etat verse de très forts subsides, assumant ainsi une “fonction dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement”, au sens de l’article 2 (P1-2). Le Danemark s’acquitterait de la sorte des obligations découlant de la seconde phrase de ce texte.
La Cour constate qu’au Danemark les écoles privées coexistent avec un système d’enseignement public. Or la seconde phrase de l’article 2 (P1-2) s’impose aux Etats contractants dans l’exercice de l’ensemble
“des fonctions” – en anglais “any functions” – dont ils se chargent en matière d’éducation et d’enseignement, y compris celle qui consiste à
organiser et financer un enseignement public.
En outre, la seconde phrase de l’article 2 (P1-2) doit se lire en combinaison avec la première qui consacre le droit de chacun à
l’instruction. C’est sur ce droit fondamental que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et
philosophiques, la première phrase ne distingue pas plus que la seconde entre l’enseignement public et l’enseignement privé.
Les travaux préparatoires, qui revêtent sans doute une importance particulière pour une clause ayant donné lieu à de si longues et
ardentes discussions, confirment l’interprétation qui se dégage de prime abord du libellé de l’article 2 (P1-2). S’ils montrent sans conteste, ainsi que l’a rappelé le Gouvernement, le prix que beaucoup de membres de l’Assemblée Consultative et nombre de gouvernements attachaient à la liberté d’enseignement, c’est-à-dire la liberté de créer des écoles privées, ils ne révèlent pas pour autant l’intention de se contenter
de garantir celle-ci. A la différence de certaines versions antérieures, le texte finalement adopté ne la proclame pas en termes
exprès et il ressort de maintes interventions et propositions, citées par les délégués de la Commission, que l’on n’a pas perdu de vue la
nécessité d’assurer dans l’enseignement public le respect des convictions religieuses et philosophiques des parents.
La seconde phrase de l’article 2 (P1-2) vise en somme à sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle à la préservation de la “société démocratique” telle que la conçoit la Convention. En
raison du poids de l’Etat moderne, c’est surtout par l’enseignement public que doit se réaliser ce dessein.
La Cour arrive donc, avec la Commission unanime, à la conclusion que les écoles publiques danoises n’échappent pas à l’empire du Protocole n° 1 (P1). En recherchant s’il y a eu violation de l’article 2 (P1-2), elle ne saurait cependant oublier que parmi les
fonctions assumées par le Danemark dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement figure l’octroi d’une aide substantielle aux écoles privées. Quoique le recours à ces dernières entraîne pour les parents
des sacrifices signalés à juste titre par les requérants, la solution de rechange qu’il ménage constitue un élément d’appréciation à ne pas négliger en l’espèce. Le délégué parlant au nom de la majorité de la
Commission a reconnu que celle-ci n’en avait pas assez tenu compte aux paragraphes 152 et 153 du rapport.
51. Le Gouvernement a plaidé à titre subsidiaire que la seconde phrase de l’article 2 (P1-2), dans l’hypothèse où elle régirait même les écoles publiques dont la fréquentation n’est pas obligatoire, implique
uniquement le droit, pour les parents, de faire exempter leurs enfants des cours où l’on dispense “une instruction religieuse de caractère confessionnel”.
La Cour ne partage pas cette opinion. L’article 2 (P1-2), qui vaut pour chacune des fonctions de l’Etat dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, ne permet pas de distinguer entre l’instruction
religieuse et les autres disciplines. C’est dans l’ensemble du programme de l’enseignement public qu’il prescrit à l’Etat de respecter les convictions, tant religieuses que philosophiques, des parents.
52. Ainsi que l’indique sa structure même, l’article 2 (P1-2) forme un tout que domine sa première phrase. En s’interdisant de
“refuser le droit à l’instruction”, les Etats contractants garantissent à quiconque relève de leur juridiction “un droit d’accès
aux établissements scolaires existant à un moment donné” et “la possibilité de tirer”, par “la reconnaissance officielle des études
accomplies”, “un bénéfice de l’enseignement suivi” (arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l’affaire “linguistique belge”, série A n° 6, pp. 30-32, paras. 3-5).
Sur ce droit fondamental à l’instruction se greffe le droit énoncé par la seconde phrase de l’article 2 (P -2) (paragraphe 50 ci-dessus).
C’est en s’acquittant d’un devoir naturel envers leurs enfants, dont il leur incombe en priorité d'”assurer (l’) éducation et (l’)
enseignement”, que les parents peuvent exiger de l’Etat le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Leur droit
correspond donc à une responsabilité étroitement liée à la jouissance et à l’exercice du droit à l’instruction.
De leur côté, “les dispositions de la Convention et du Protocole (P1) doivent être envisagées comme un tout” (arrêt précité du
23 juillet 1968, ibidem p. 30, par. 1). Dès lors, il faut lire les deux phrases de l’article 2 (P1-2) à la lumière non seulement l’une de l’autre, mais aussi, notamment, des articles 8, 9 et 10 (art. 8, art. 9, art. 10) de la Convention qui proclament le droit de toute personne, y compris les parents et les enfants, “au respect de sa vie privée et familiale”, à “la liberté de pensée, de conscience et de religion” et à “la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées”.
53. Du paragraphe précédent, il résulte d’abord que la définition et l’aménagement du programme des études relèvent en principe de la
compétence des Etats contractants. Il s’agit, dans une large mesure, d’un problème d’opportunité sur lequel la Cour n’a pas à se prononcer et dont la solution peut légitimement varier selon les pays et les
époques. En particulier, la seconde phrase de l’article 2 du Protocole (P1-2) n’empêche pas les Etats de répandre par l’enseignement ou
l’éducation des informations ou connaissances ayant, directement ou non, un caractère religieux ou philosophique. Elle n’autorise pas même les parents à s’opposer à l’intégration de pareil enseignement ou
éducation dans le programme scolaire, sans quoi tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable. Il paraît en effet très difficile que nombre de disciplines enseignées à l’école n’aient pas, de près ou de loin, une coloration ou incidence de caractère philosophique. Il en va de même du caractère religieux si l’on tient compte de l’existence de religions formant un ensemble dogmatique et moral très vaste qui a ou peut avoir des réponses à toute question d’ordre philosophique, cosmologique ou éthique.
La seconde phrase de l’article 2 (P1-2) implique en revanche que l’Etat, en s’acquittant des fonctions assumées par lui en matière d’éducation et d’enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programmme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents. Là se place la limite à ne pas dépasser.
Une telle interprétation se concilie à la fois avec la première phrase de l’article 2 du Protocole (P1-2), avec les articles 8 à 10
(art. 8, art. 9, art. 10) de la Convention et avec l’esprit général de celle-ci, destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs
d’une société démocratique.
54. Pour examiner la législation litigieuse sous l’angle de l’article 2 du Protocole (P1-2), ainsi interprété, il faut, tout en
évitant d’en apprécier l’opportunité, avoir égard à la situation concrète à laquelle elle a cherché et cherche encore à faire face.
Le législateur danois, qui n’a pas manqué de recueillir au préalable l’avis d’experts qualifiés, est manifestement parti de la constatation qu’au Danemark les enfants obtiennent sans peine de nos jours, de
plusieurs côtés, les renseignements qui les intéressent au sujet de la vie sexuelle. L’instruction dispensée en la matière dans les écoles publiques a moins pour but de leur inculquer des connaissances qu’ils
ne possèdent pas ou ne peuvent se procurer par d’autres moyens que de les leur donner de manière plus exacte, précise, objective et
scientifique. Telle que la prévoit et l’organise la législation contestée, elle tend au premier chef à mieux informer les élèves;
cela ressort, entre autres, de la préface du “guide” d’avril 1971.
Même limitée de la sorte, ladite instruction ne saurait évidemment exclure de la part des enseignants certaines appréciations pouvant
empiéter sur le domaine religieux ou philosophique, car il s’agit d’une matière où les jugements de réalité débouchent aisément sur des jugements de valeur; la minorité de la Commission l’a souligné avec raison. Les décrets et circulaires des 8 juin 1971 et 15 juin 1972, le “guide” d’avril 1971 et les autres éléments dont dispose la Cour
(paragraphes 20-32 ci-dessus) indiquent nettement que l’Etat danois, en fournissant de bonne heure aux enfants des éclaircissements qu’il estime utiles, essaie de les alerter contre des phénomènes inquiétants à ses yeux, par exemple la fréquence excessive des naissances hors mariage, des avortements provoqués et des maladies vénériennes.
Les autorités publiques veulent permettre aux élèves, le moment venu, “de s’assumer et de montrer des égards pour autrui dans ce domaine”, “de ne pas s’attirer des ennuis ou de ne pas en attirer à d’autres par
pure ignorance” (article 1 du décret du 15 juin 1972).
Ce sont bien là des considérations d’ordre moral, mais elles revêtent un caractère très général et n’entraînent pas un dépassement des
bornes de ce qu’un Etat démocratique peut concevoir comme l’intérêt public. L’examen de la législation incriminée prouve en effet qu’elle ne constitue point une tentative d’endoctrinement visant à préconiser
un comportement sexuel déterminé. Elle ne s’attache pas à exalter le sexe, ni à inciter les élèves à se livrer précocement à des pratiques dangereuses pour leur équilibre, leur santé ou leur avenir ou répréhensibles aux yeux de beaucoup de parents. En outre, elle ne touche pas au droit des parents d’éclairer et conseiller leurs enfants, d’exercer envers eux leurs fonctions naturelles d’éducateurs, de les orienter dans une direction conforme à leurs propres convictions religieuses ou philosophiques.
Assurément, des abus peuvent se produire dans la manière dont telle école ou tel maître applique les textes en vigueur et il incombe aux autorités compétentes de veiller avec le plus grand soin à ce que les convictions religieuses et philosophiques des parents ne soient pas heurtées à ce niveau par imprudence, manque de discernement ou
prosélytisme intempestif. Il résulte pourtant des décisions de la Commission sur la recevabilité des requêtes que la Cour ne se trouve pas actuellement saisie de pareil problème (paragraphe 48 ci-dessus).
La Cour aboutit donc à la conclusion que la législation litigieuse ne blesse point en soi les convictions religieuses et philosophiques des requérants dans la mesure prohibée par la seconde phrase de l’article 2 du Protocole (P1-2), interprétée à la lumière de la première et de l’ensemble de la Convention.
Au demeurant, l’Etat danois réserve une importante ressource aux parents qui, au nom de leur foi ou de leurs opinions, désirent
soustraire leurs enfants à l’éducation sexuelle intégrée: il les laisse libres soit de les confier à des écoles privées astreintes à des obligations moins strictes et, du reste, fortement subventionnées par lui (paragraphes 15, 18 et 34 ci-dessus), soit de les instruire ou faire instruire à domicile, sauf à subir les sacrifices et inconvénients indéniables qu’entraîne le recours à l’une de ces solutions de rechange.
55. Les requérants invoquent aussi la première phrase de l’article 2 (P1-2). A cet égard, il suffit de constater que l’Etat défendeur n’a refusé et ne refuse à leurs enfants ni l’accès aux établissements
scolaires existant au Danemark ni le droit de tirer, par la reconnaissance officielle de leurs études, un bénéfice de l’enseignement suivi par eux (arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l’affaire “linguistique belge”, série A n° 6, pp. 30-32, paras. 3-5).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 (art. 14) DE LA CONVENTION
COMBINE AVEC L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE N° 1 (art. 14+P1-2)
56. Les requérants se prétendent également victimes, dans la jouissance des droits protégés par l’article 2 du Protocole n° 1
(P1-2), d’une discrimination fondée sur la religion et incompatible avec l’article 14 (art. 14) de la Convention: ils soulignent que la législation danoise permet aux parents de faire exempter leurs enfants des cours d’instruction religieuse dispensés dans les écoles publiques, tandis qu’en matière d’éducation sexuelle intégrée elle
n’offre aucune possibilité comparable (paragraphes 70, 80 et 171-172
du rapport de la Commission).
La Cour relève d’abord que l’article 14 (art. 14) interdit, dans le domaine des droits et libertés garantis, un traitement discriminatoire ayant pour base ou pour motif une caractéristique personnelle (“situation”) par laquelle des personnes ou groupes de personnes se distinguent les uns des autres. Or la législation litigieuse ne renferme rien qui puisse donner l’impression qu’un tel traitement y ait été envisagé.
Surtout, la Cour constate avec la Commission (paragraphe 173 du rapport) qu’il existe une différence de nature entre l’instruction
religieuse et l’éducation sexuelle dont il s’agit en l’espèce.
La première répand nécessairement des doctrines et non de simples connaissances; la Cour a déjà conclu qu’il n’en va pas de même de la seconde (paragraphe 54 ci-dessus). Dès lors, la distinction dénoncée par les requérants s’appuie sur des éléments de fait dissemblables et cadre avec les exigences de l’article 14 (art. 14).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DES ARTICLES 8 ET 9 (art. 8, art. 9) DE LA CONVENTION
57. Les requérants invoquent enfin, sans fournir beaucoup de précisions, les articles 8 et 9 (art. 8, art. 9) de la Convention
combinés avec l’article 2 du Protocole n° 1 (art. 8+P1-2, art. 9+P1-2):
la législation dont ils se plaignent porterait atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale ainsi qu’à leur droit à la
liberté de pensée, de conscience et de religion (paragraphes 54, 55, 72, 89 et 170 du rapport de la Commission).
La Cour ne discerne cependant nulle infraction aux articles 8 et 9 (art. 8, art. 9) dont elle a d’ailleurs tenu compte en interprétant
l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) (paragraphes 52 et 53 ci-dessus).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
58. N’ayant relevé aucune violation du Protocole n° 1 (P1) ni de la Convention, la Cour note que la question de l’application de
l’article 50 (art. 50) ne se pose pas en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y pas eu violation de l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2), ni de l’article 14 de
la Convention combiné avec ce même article 2 (art. 14+P1-2);
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation des articles 8 et 9 de la Convention, combinés avec l’article 2 du Protocole n° 1 (art. 8+P1-2, art. 9+P1-2).
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le sept décembre mil neuf
cent soixante-seize.
Signé: Giorgio BALLADORE PALLIERI
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément à l’article 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et à l’article 50 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de M. le juge Verdross.
Paraphé: G. B. P.
Paraphé: M.-A. E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE VERDROSS
J’ai approuvé les paragraphes 1 à 52, 55 et 57 de l’arrêt, mais à mon vif regret je n’ai pu voter pour le point 1 du dispositif ni souscrire aux motifs correspondants (paragraphes 53-54 et 56). En voici les
raisons:
Je suis d’accord avec le point de départ du gouvernement danois, confirmé par l’arrêt, à savoir qu’aucune disposition de la Convention
n’empêche les Etats contractants d’intégrer dans leur système scolaire l’enseignement en matière sexuelle et de le rendre ainsi en principe obligatoire. La seconde phrase de l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) n’empêche donc pas les Etats de répandre dans les écoles publiques, par l’enseignement, des informations objectives ayant un caractère
religieux ou philosophique. Toutefois, cette liberté des Etats est limitée par la seconde phrase de l’article 2 du Protocole n° 1
(P1-2), d’après laquelle les parents peuvent exiger que dans cet enseignement soient respectées leurs convictions regligieuses et
philosophiques.
Puisqu’en l’espèce les requérants se considèrent comme atteints dans leurs “convictions chrétiennes”, nous pouvons laisser de côté la question de savoir dans quel sens doivent s’entendre les termes
“convictions philosophiques”. Il nous suffit d’examiner si le gouvernement mis en cause a respecté les convictions chrétiennes des
parents en matière d’éducation sexuelle.
Dans ce domaine, il est vrai, les indications des requérants ne sont pas tout à fait précises. Leurs griefs sont pourtant suffisamment clairs pour montrer de quoi il s’agit. En effet, les requérants
s’opposent à un enseignement “détaillé” et trop précoce dispensé par l’Etat en matière sexuelle; ils soutiennent que le monopole de l’Etat dans le domaine de l’éducation les prive de leur droit primordial “d’assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs propres convictions religieuses”. Cela nous prouve nettement qu’ils fondent
leur plainte sur une doctrine chrétienne bien établie d’après laquelle tout ce qui touche la formation de la conscience des enfants,
c’est-à-dire leur orientation morale, incombe aux parents et, par conséquent, l’Etat ne peut pas s’interposer en la matière entre les
parents et leurs enfants contre la volonté des premiers.
Les requérants adhèrent, il est vrai, à la même religion que la grande majorité du pays, mais ils appartiennent apparemment à un groupe plus fidèle à la tradition chrétienne que leurs compatriotes libéraux ou religieusement indifférents. Or comme tous les droits protégés par la Convention et ses Protocoles additionnels sont des droits individuels
de l’homme, la Cour n’est pas appelée à rechercher si les droits des personnes appartenant à une confession déterminée sont violés ou non.
Elle a uniquement l’obligation de décider si, dans le cas présent, les droits des requérants ont été respectés ou non.
La question se pose donc de savoir si les parents dont il s’agit en l’espèce peuvent s’opposer, en vertu de l’article 2 (art. (P1-2)
cité plus haut, à une éducation sexuelle obligatoire dans une école publique, même si, comme en l’occurrence, elle ne constitue pas une tentative d’endoctrinement.
Pour pouvoir répondre à cette question, il me semble nécessaire de distinguer entre les informations sur les faits de la sexualité
humaine qui font l’objet de la science naturelle, surtout de la biologie, d’une part, et celles qui ont trait aux activités sexuelles, y compris la contraception, d’autre part. Cette distinction s’impose, à mon avis, par le fait que les premières ont un caractère neutre du point de vue de la moralité, tandis que les secondes, même si elles sont données à des mineurs d’une manière objective, touchent
toujours la formation de leur conscience. Il s’ensuit que même des informations objectives sur la pratique sexuelle données trop tôt dans
une école peuvent violer les convictions chrétiennes des parents.
Ceux-ci ont, dès lors, le droit de s’y opposer.
Contre cette opinion, on ne peut invoquer l’article 10 (art. 10) de la Convention qui consacre la liberté de toute personne de recevoir et de communiquer des informations, car l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2) constitue une règle spéciale qui déroge au principe général de l’article 10 (art. 10) de la Convention. L’article 2 dudit Protocole
(P1-2) reconnaît donc aux parents le droit de restreindre la liberté des informations à donner à leurs enfants mineurs et touchant la
formation de la conscience de ces derniers.
D’après l’arrêt, il est vrai, la clause précitée de l’article 2 (P1-2) interdit uniquement une instruction dispensée dans le dessein d’endoctriner. Or elle ne fournit aucun indice autorisant pareille
interprétation restrictive. Bien au contraire, elle oblige les Etats, d’une manière absolue, à respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents; elle ne distingue point entre les différentes intentions dans lesquelles est donnée l’instruction.
Comme les requérants s’estiment atteints “dans leurs convictions chrétiennes” par l’obligation imposée à leurs enfants de participer à un enseignement “détaillé” en matière sexuelle, la Cour aurait dû se
borner à rechercher, en cas de doute, si ce grief cadrait ou non avec la doctrine professée par les requérants.
Dans ce domaine, le pouvoir de la Cour me paraît semblable à celui des commissions chargées, dans divers pays, de contrôler la véracité des déclarations de personnes appelées au service militaire mais
prétendant que leur religion ou philosophie leur défend de porter des armes (objecteurs de conscience): ces commissions doivent respecter
l’idéologie des intéressés dès lors qu’elle se trouve nettement établie.
La distinction entre les informations sur la connaissance de la sexualité de l’homme en général et celles qui ont trait aux activités
sexuelles est reconnue par le législateur danois lui-même: s’il astreint les écoles privées à inclure dans leurs programmes un cours de biologie sur la reproduction chez l’homme, il leur laisse la liberté de se conformer ou non aux autres règles obligatoires pour les écoles publiques en matière sexuelle. Le législateur lui-même admet ainsi que les informations sur la pratique sexuelle peuvent être séparées des autres informations en la matière et que, par conséquent, une dispense accordée aux enfants pour le cours concret de la première
catégorie n’empêche pas d’intégrer dans le système scolaire les connaissances scientifiques en la matière.
Or la loi danoise sur les écoles publiques n’exempte nullement de l’obligation d’assister à l’ensemble des cours d’éducation sexuelle
les enfants des parents ayant une conviction religieuse non conforme à celle du législateur. Partant, la conclusion s’impose que la loi danoise, dans les limites indiquées plus haut, n’est pas en harmonie avec la seconde phrase de l’article 2 du Protocole n° 1 (P1-2).
Cette conclusion n’est pas ébranlée par la faculté donnée aux parents de confier leur enfants à une école privée subventionnée par l’Etat ou de les faire instruire à domicile. D’une part, en effet, le droit des parents est un droit strictement individuel tandis que la création d’une école privée suppose toujours l’existence d’un certain groupe de personnes ayant une certaine conviction en commun.
Comme l’Etat devrait respecter les opinions religieuses des parents même s’il existait un seul couple dont les convictions, quant à la formation de la conscience de leurs enfants mineurs, diffèrent de celles de la majorité du pays ou d’une école déterminée, il ne peut accomplir son devoir en question qu’en dispensant les enfants de suivre les cours sur les activités sexuelles.
D’autre part, on ne peut pas méconnaître que l’instruction dans une école privée, même subventionnée par l’Etat, et l’enseignement à domicile entraînent toujours pour les parents des sacrifices matériels. Si donc les requérants n’avaient pas la faculté de faire dispenser leurs enfants de suivre les cours en question, il existerait à leur détriment une discrimination non justifiée, interdite par l’article 14 (art. 14) de la Convention,
par rapport aux parents dont les convictions religieuses et morales sont conformes à celles du législateur danois.
Autore:
Corte Europea dei Diritti dell'Uomo
Dossier:
C.E.D.U. - Strasburgo
Parole chiave:
Convinzioni religiose, Istruzione religiosa, Scuola privata, Convinzioni politiche, Istruzione pubblica, Convinzioni filosofiche, Etica, Educazione sessuale, Dottrina evangelica luterana, Chiesa nazionale, Morale sessuale
Natura:
Sentenza