Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 15 Aprile 2005

Rapporto 07 dicembre 2004

Commission du Dialogue Interculturel. Rapporto 7 dicembre 2004: “Premier rapport de synthèse de la Commission du Dialogue Interculturel”.

Rapport final et Livre des auditions (pdf)

PREAMBULE

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Soulignons ici l’apport capital de la méthodologie retenue, à savoir 1’instauration d’un dialogue entre les Commissaires et des acteurs de terrain, chercheurs, représentants de cultes, d’associations, de pouvoirs publics.
Depuis son installation officielle, le 23 février 2004, la Commission a tenu, hors réunions de bureau, de staff et réunions techniques,vingt-et-une séances plénières.
Ces vingt et une séances, dont douze consacrées à des auditions, ont été nourries par les quatre groupes de travail :

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4. la place et la reconnaissance de l’expression des appartenances religieuses.

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LE CONTEXTE DES TRAVAUX

L’accord de Gouvernement indique que «La Belgique doit rester une société ouverte au sein de laquelle des gens de différentes cultures peuvent coopérer dans un climat d’ouverture, de tolérance, de rencontre et de respect mutuel, une société ouverte traversée par des sensibilités, des appartenances et des cultures diverses, en évolution permanente, partageant très largement une adhésion aux valeurs fondamentales de la Constitution et des droits de l’homme». C’est dans ce cadre que le Gouvernement fait du « Dialogue Interculturel » une compétence fédérale et qu’il met en place la Commission du Dialogue interculturel en février 2004. Il s’agit de la poursuite et de l’amplification d’un processus initié par le Premier Ministre Guy Verhofstadt et la Vice-Première Ministre Laurette Onkelinx qui avaient instauré une Table ronde « Mieux vivre ensemble » dès décembre 2002. L’objectif de cette rencontre qui réunissait les représentants des autorités religieuses et philosophiques, des acteurs du milieu associatif ou encore des partenaires sociaux était d’envoyer un signal d’apaisement et de dialogue après des débats péremptoires mais aussi des violences racistes et antisémites dont le meurtre d’un couple d’origine marocaine à Schaerbeek, l’agression de rabbins, entre autres. Les bases de notre modèle de vivre ensemble étaient rappelées à cette occasion à savoir: «La Belgique est un pays dont le caractère multiculturel est une richesse. Notre société a choisi le chemin difficile de la citoyenneté partagée. Ce modèle a pour objectif d’amener chaque femme et chaque homme à vivre les uns avec les autres en égalité de droits et de devoirs. Ce choix est ambitieux et exigeant. Il impose le respect mutuel et le respect de la différence, mais aussi le respect pour tous de l’autorité de l’État ci du socle de valeurs communes qui fondent notre démocratie.»

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Le discours tendant à diaboliser les musulmans en général, à la faveur d’une radicalisation de certaines franges de l’islamisme politique, rend le dialogue difficile dans un climat où certains veulent faire croire que le monde se partage entre le bien et le mal de façon linéaire. Or, partout, des acteurs sociaux, des intellectuels, des artistes, prennent courageusement la parole pour défendre des valeurs communes. L’inégalité sociale et économique entre pays pauvres et pays riches ne correspond pas à une prétendue opposition entre l’occident et l’islam.
Dans ce contexte, on a vu, d’une part, s’aggraver, dans nos pays, des discriminations à l’égard des populations d’origine maghrébine comme d’autres groupes moins nombreux mais tout aussi discriminés. Ces discriminations avaient déjà cours dans les domaines tels que 1’accès à l’emploi et au logement à la faveur d’un rejet des immigrés utilisés comme bouc émissaire de la dégradation économique. Ce processus discriminatoire s’est vu renforcé par l’amalgame fréquemment opéré entre immigration musulmane, intégrisme et terrorisme. La stigmatisation existante, identifiant par exemple les Arabes aux délinquants, a été ainsi démultipliée. Le difficile travail de cohabitation, entrepris depuis des années dans les quartiers et les écoles notamment, s’est vu fragilisé par ce climat.
En retour, comment s’étonner qu’une frange de la population ainsi discriminée se referme sur elle-même? Ainsi se referme la boucle de 1’incompréhension, de la peur et du rejet.
Par ailleurs l’antisémitisme qui, depuis la seconde guerre mondiale, était devenu une sorte de tabou malgré des résurgences prenant la forme principalement du négationnisme, reprend vigueur. La politique israélienne à l’égard du peuple palestinien est prétexte à stigmatiser 1’ensemble de la communauté juive. La défense des droits des Palestiniens se pare parfois des vieux clichés de l’antisémitisme le plus virulent. De jeunes Maghrébins sont explicitement porteurs de paroles et d’actes hostiles aux Juifs, mais il va sans dire que le «vieux fond» européen antisémite profite de ce contexte auquel il participe également.

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LE PREMIER RAPPORT

Le présent texte constitue donc un premier rapport officiel du travail de la Commission du Dialogue Interculturel installée le 23 février 2004 par le Gouvernement fédéral sous l’impulsion du Ministre de l’Intégration sociale, de l’Egalité des Chances et de l’Interculturalité.
Ces compétences ministérielles explicites donnent d’ailleurs trois grandes lignes directrices aux travaux de la Commission. En effet, sans exclure les incidences des matières cultuelles sur la dynamique interculturelle, la Commission a refusé d’en limiter la portée aux seules questions touchant aux cultes, à leurs représentations et représentativité en Belgique. Elle entend donc explicitement ne pas confondre, limiter, voire enfermer les questions sociales, sociétales, culturelles, de genres et/ou identitaires dans un schéma qui réduirait les identités à des facteurs uniquement religieux et culturels. Dans ce cadre, le concept de la citoyenneté est d’essence séculière.

1. LE DIALOGUE DES CULTURES EN BELGIQUE

1.1. PLURALISME ET CULTURE

La Belgique est un pays où la démocratie se décline sous la forme du pluralisme. Le pluralisme n’est pas une simple coexistence d’opinions et de croyances diverses, mais la construction d’un espace commun de dialogue et d’émancipation, où la diversité fait l’objet de débats collectifs et se traduit dans des institutions spécifiques. Notre histoire a ainsi assuré, au terme de crises et de tensions, la promotion d’un triple pluralisme :
– le pluralisme politique (et syndical), qui a notamment permis 1’émancipation de la classe ouvrière et la construction d’un équilibre social fondé sur la concertation;
– le pluralisnze philosophique, qui a vu progressivement la reconnaissance officielle de formes diverses de spiritualités (catholique, réformée, orthodoxe, israélite, musulmane, anglicane et laïque), et qui culmine dans le Pacte scolaire de 1958;
– le pluralisme communautaire, issu des mouvements flamand puis wallon, qui a donné naissance à l’Etat fédéral dans lequel nous vivons aujourd’hui.

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Or aujourd’hui, la Belgique doit relever un nouveau défi: réaliser une quatrième forme de pluralisme, le pluralisme culturel.

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Il est maintenant largement reconnu que la question dite de 1’intégration ne relève pas exclusivement de problèmes socio-économiques, mais que sa dimension culturelle est tout aussi fondamentale. La Commission, on le verra, a évidemment été attentive à la place de l’islam dans notre pays. Elle insiste néanmoins pour que la question du dialogue interculturel ne se réduise pas à cette seule réalité, loin s’en faut. Ce serait une erreur de se focaliser sur le seul facteur religieux, quel que soit le contexte géopolitique où nous nous trouvons. II a semblé néanmoins important de ne pas occulter une question souvent identifiée comme étant génératrice de difficultés de dialogue interculturel.

PROPOSITIONS

La Commission recommande dès lors aux responsables politiques d’adopter en la matière une perspective la plus large et la plus ouverte possible. Il est impératif de combattre les amalgames et les visions réductrices qui sont source d’incompréhension et d’intolérance.

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La culture n’existe cependant qu’à travers des cultures singulières, qui sont autant de réalités mouvantes et complexes, presque insaisissables. Ainsi, une culture ne se réduit jamais à un seul élément, mais est toujours la combinaison de plusieurs d’entre eux : langue, territoire, religion, histoire, coutume, droit, art, savoir, etc. En particulier, nous l’avons déjà noté, il ne faut pas réduire le culturel au cultuel ou au religieux. Par exemple, il est fréquent qu’on confonde culture arabe et religion musulmane. Le lien est certes étroit (l’arabe est la langue sacrée de l’islam), mais il existe des Arabes non-musulmans (chrétiens, juifs, non-croyants), et une grande majorité de musulmans non-arabes (turcs, iraniens, africains, etc.). On pourrait en dire autant du christianisme et de l’Europe.
De même, il n’y a pas de frontières précises séparant les cultures, comme c’est le cas des religione ou des nations. En fait, les identités culturelles ne sont fixées par aucune autorité (contrairement, ici aussi, aux identités religieuses et aux identités nationales). Toutes les combinaisons et tous les mélanges sont possibles, selon l’histoire propre à chaque individu. Ajoutons qu’une culture peut elle-même se diversifier, se “pluraliser” de l’intérieur (ainsi, de l’Europe chrétienne sortie du paganisme greco-latin a germé une riche tradition athée et agnostique). Le métissage et la diversité sont donc consubstantiels au phénomène culturel.

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2. LA CITOYENNETE EN PARTAGE

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2.2. LA NEUTRALITE DE L’ETAT ET LES EXPRESSIONS DES CONVICTIONS RELIGIEUSES ET PHILOSOPHIQUES

La Constitution belge garantit la liberté religieuse qui inclut le droit d’exprimer publiquement ses convictions. Ainsi, l’exercice public des cultes et la liberté de manifester ses opinions en toute matière y sont garantis (art.19). En outre, l’article 9§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales indique que «la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui».
C’est dans ce cadre législatif que le débat sur la neutralité de l’Etat face aux expressions des convictions religieuses et philosophiques doit être examiné. La question se pose donc de savoir comment concilier les droits individuels des citoyens avec la neutralité de I’Etat.

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2.2.1. L’ESPACE PUBLIC

– la voie publique (les rues, places, transports en commun…) :

La voie publique est regie par des règlements communaux et régìonaux. Ces règlements peuvent certes être appliqués avec une certaine souplesse en ce qui concerne la présence de symboles religieux. Par exemple, une commune peut décider de placer une crèche de Noël en un lieu public en tenant compte du caractère historique de celle tradition.
En ce qui concerne les individus, la Commission estime qu’une grande liberté doit être garantie. Cependant, celle-ci peut être assujetie à des restrictions lorsqu’elle présente un danger pour 1’ordre public ou la sécurité.
Par exemple, le port de la burka empêche la reconnaissance de la personne et à l’évidence le port de vêtements totalement “couvrunts” constitue d’abord un obstacle à une forme de socialisation essentielle à notre vie collective.
En outre, le fait de voir le visage et de pouvoir I’identifier constitue une condition éthique de l’intersubjectivité.

– les bâtiments publics

La Commiìssion estime qu’en ce qui concerne les bâtiments publics, l’absence de signes religieux est la règle. Les rares signes religieux ayant une grande valeur historique pourraient ici aussi être admis, dans des circonstances exceptionnelles. Les signes temporaires comme une crèche de Noël semblent être moins significants que les signes fixes.
En ce qui concerne les conditions d’accès pour les individus, une grande liberté est garantie, moyennant quelques exceptions reprises dans des règlements d’ordre intérieur de l’institution.

2.2.2. LES PERSONNES TRAVAILLANT DANS LA FONCTION PUBLIQUE, LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS

Deux conceptions de la neutralité pour les agents des services publics dans l’exercice de leur fonction se dégagent: «la neutralité passive» et la «neutralité active».
Dans son sens passif, la neutralité proscrit toute forme d’expression d’un engagement philosophique ou religieux.
Dans son sens actif, elle tend à permettre 1’expression, sur un pied d’égalité, de toutes les convictions religieuses ou philosophiques.
Tois positions ont été avancées. La Commission n’a pas tranché entre celles-ci. Le débat se poursuivra dans le cadre des prochains travaux.
1. Une première position se fonde sur la liberté religieuse et postule l’absence de restrictions au port de signes religieux par les agents publics, sauf pour les cas où il y a risque d’atteinte à l’ordre public ou aux droits d’autrui. Certe position reconnaît la différence essentielle entre le service public proprement dit et les personnes qui y sont employées. Il est évident que les citoyens doivent être protégés contre toute forme de discrimination religieuse ou autre de la part des fonctionnaires. Cette position considère que l’interdiction du port de signes religieux est inadéquate pour atteindre ce but puisque le risque de discrimination n’est pas moindre de la part d’adhérents de religions ne portant pas de signes extérieurs. De plus, cette interdiction est disproportionnée parce que ce même objectif de non discrimination peut être atteint de façon adéquate sans restriction à la liberté religieuse, en veillant au respect strict des règles de non discrimination. Par ailleurs, cette position soutient qu’une visibilité accrue de la diversité culturelle et religieuse dans la fonction publique serait bénéfique du point de vue symbolique et éducatif.
2. La deuxième position se fonde sur le principe de neutralité de l’Etat qui exige une certaine réserve de la part des fonctionnaires et consiste en une interdiction de toute forme d’expression de conviction religieuse ou philosophique des agents de première ligne qui ont un rapport d’autorité ou de pouvoir quelconque avec le public. A titre purement exemplatif on peut citer les magistrats, agents de police, assistants sociaux des CPAS, infirmières,… Pour certains, à ce critère d’autorité pourrait également s’ajouter le critère de «visibilité», à savoir que l’interdiction s’appliquerait également aux agents en contact visuel avec le public, comme les agents travaillant dans le local derriére un guichet, les agents des transports publics. Cela concernerait également les médias audiovisuels publics. Cette option nécessitera une classification précise déterminant les agents concernés par le devoir de réserve. En revanche, pour les autres agents, 1’interdiction ne serait pas d’application pour autant que la neutralité soit garantie. Cette position concerne les administrations fédérales, communautaires, régionales, provinciales et communales ainsi que les parastataux et les entreprises publiques.
3. La troisième position se fonde sur ce même principe de neutralité de l’Etat et postule 1’absence de tout signe religieux pour tous les agents travaillant dans la fonction publique au nom de cette neutralité. Certe interdiction vise les administrations fédérales, communautaires, régionales, provinciales et communales ainsi que les parastataux et les entreprises publiques. Aucune dérogation n’est admissible, même pour les agents qui n’ont aucun contact, ne serait-ce que visuel, avec le public. Certe position fait prévaloir, sans exception, la neutralité publique sur l’expression de la liberté religieuse individuelle. Elle garantit une cohérence interne et évite des situations de confusion.

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2.3. LUTTE CONTRE LE RACISME

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PROPOSITIONS

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Les groupes discriminés ne sont pas à l’abri d’être eux-mêmes les auteurs de racisme à l’égard d’autres groupes. Il faut valoriser des initiatives culturelles qui permettent la solidarité, l’évidence d’une humanité commune. II faut sortir de la logique du «choc des civilisations». Chaque communauté culturelle, chaque religion, chaque individu porte en lui une part d’ombre et de lumière et toute affirmation d’identité porte en elle sa part de richesse et de renfermement (meurtrier).
Il faut se garder de réduire l’identité culturelle à la dimension spirituelle et cultuelle. Il convient donc de soutenir les structures de coordination d’organisatons culturelles émergentes en dehors de la stricte sphère des cultes. Il n’y a pas lieu de laisser la primauté aux organes des cultes comme interlocuteurs identitaires et culturels même lors d’événements tragiques.

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4. CULTURE ET DIVERSITE

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4.2.1. LES RADIOS ET TELEVISIONS PUBLIQUES

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– les programmes cultuels

La VRT et la RTBF sont tenues par les mêmes obligations légales de concéder des émissions cultuelles lorsqu’un projet a été introduit par les organes représentatifs des cultes reconnus auprès des instances compétentes. On constate une différence de place en terme de temps et de grille horaire accordée à ces émissions entre les deux chaînes. Il faut aussi mentionner que s’il n’y a d’émission du culte musulman ni à la RTBF ni à la VRT, c’est parce qu’il n’y a pas eu de demande formalisée dans ce sens.
La retransmission de la messe catholique est réalisée dans le cadre d’un programme propre à la VRT et la RTBF.

PROPOSITIONS

La Commission constate que le système des émissions concédées est une juxtaposition d’émissions cultuelles et philosophiques. Cependant, dans une perspective de maintien de ce système, et dans l’objectif de garantir 1’égalité de traitement, la Commission préconise une politique incitative envers le culte musulman afîn qu’il introduise un projet auprès des instances compétentes.
Néanmoins, à côté de ces émissions concédées, la Commission encourage les médias publics télévisuels et radiophoniques à créer, sozis responsabilité journalistique, des émissions qui situent les religions et la laicité dans la société moderne et qui permettent la rencontre entre les différents courants.

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4.2.2. ORGANES ET INSTANCES DE CONTROLE

Il existe pour le secteur de l’audio-visuel des dispositions décrétales en matière de respect de la dignité humaine et de lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et toutes les formes de discriminations tant en Communauté frangaise, qu’en Communauté flamande.

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4.3. LA LIBERTE ET L’ORGANISATION DES CULTES EN BELGIQUE

La notion-clé dans ce débat doit être la neutralité de l’Etat. Cette neutralité n’est pas une notion clairement définie: elle peut indiquer une absence d’action de l’Etat vis-à-vis de tous les groupes religieux et philosophiques présents sur le territoire. Dans ce cas, il s’agit d’une neutralité plutôt passive. Mais la neutralité peut tout aussi bien se définir par la générosité de l’Etat qui se montre impartial et qui garantit à tous les groupes religieux et philosophiques un traitement basé sur le principe de l’égalité. Dans ce cas, la neutralité devra se réaliser sur deux terrains:
– le terrain de la liberté religieuse et philosophique;
– le terrain des rapports entre les groupes religieux ou philosophiques et l’Etat.
Dans le domaine des pratiques cultuelles et religieuses, il nous semble important de rappeler que les femmes ont toujours eu des difficultés à faire admettre leurs droits et leur autonomie, quelles que soient les religions.

4.3.1. LA LIBERTE RELIGIEUSE ET PHILOSOPHIQUE

La liberté religieuse et philosophique, droit fondamental reconnu par tous, doit être garantie à tous les groupes religieux et philosophiques. L’Etat a le devoir de garantir cette liberté de façon non-discriminatoire. Il s’agit donc, à première vue, d’un devoir de neutralité passive: l’Etat n’intervient pas activement mais observe une politique de laisser-faire, n’acceptant aucune distinction entre les groupes concernés. Ceci signifie par exemple que tout groupe religieux ou philosophique doit avoir accès aux moyens nécessaires lui permettant de participer à la vie en société. Cela implique la constitution d’associations, la liberté d’acquérir des biens, la garantie de ne subir aucune discrimination sur base d’une conviction religieuse.
Le contexte social et politique dans lequel la liberté religieuse et philosophique prend forme est moins neutre qu’il n’y paraît. Les notions de moralité et d’ordre public qui traditionnellement limitent les droits et libertés sont en effet implicitement colorées par une culture plutôt chrétienne. Les autres religions, dont la présence est plus récente en Belgique, se heurtent plus souvent à l’ordre public belge que les groupes religieux d’origine chrétienne ou occidentale. Il convient de s’interroger sur l’adéquation entre le système juridique belge et certains prescrits religieux.
Autrement dit, le problème ne se situe pas tant au niveau du principe de la liberté religieuse et philosophique qu’au niveau de ses limites. Ces limites semblent être atteintes plus rapidement lorsque la religion concernée s’éloigne du contexte culturel que nous acceptons implicitement comme cadre de référence.

4.3.2. LES RAPPORTS ENTRE LES GROUPES RELIGIEUX ET PHILOSOPHIQUES ET L’ETAT

Sur ce deuxième terrain, la neutralité s’avère beaucoup plus active. En effet, depuis l’origine de la Belgique, notre pays établit un système de reconnaissance de groupes religieux et philosophiques. Cette reconnaissance donne droit à un traitement préférentiel de la part de l’Etat.
Il est important de souligner que ce système de reconnaissance ne contrevient pas à la liberté religieuse et philosophique, telle qu’elle est protégée par la Convention européenne des Droits de l’Homme et par la Constitution belge. En effet, même les groupes religieux et philosophiques qui ne demandent ou n’obtiennent pas cette reconnaissance jouissent pleinement de cette liberté.
Quand un groupe religieux ou philosophique demande cette reconnaissance, le principe d’égalité demande un traitement égal. Des critères objectifs doivent être développés. Certains membres de la Commission estiment que ces critères devraient trouver leur place dans la Constitution. D’autres membres trouvent que l’approche jurisprudentielle existante, l’administration belge qui développe des critères tout en ne les formalisant pas dans une loi, s’avère satisfaisante.
Il importe aussi de traiter de façon égale tous les groupes religieux et philosophiques bénéficiant d’une reconnaissance. Ainsi, le principe d’égalité ne se limite pas au simple droit d’obtenir la reconnaissance, mais concerne aussi la façon dont la pratique est organisée sur le terrain.
L’article 21 al. l de la Constitution prévoit le principe de non-ingérence de l’Etat dans les affaires d’un culte. Cependant des interprétations diffèrent quant à une possibilité d’ingérence de 1’Etat lorsqu’il y a un financement.

PROPOSITIONS

La Commission estime que le débat pourrait s’ouvrir sur la question de 1’interpretation de l’article 21 al. 1er de la Constitution. Il pourrait porter sur une ingérence de l’Etat dans l’organisation ecclésiastique strictement limitée à la vérification de l’usage du financement public afin qu’il ne serve pas à la propagation de doctrines allant à 1’encontre des principes et libertés fondamentaux. Le débat pourrait également porter sur la possibilité de conditionner le bénéfice du financement public à 1’acceptation des règles et principes de 1’Etat démocratique. Dans ce cadre, on pourrait parler d’une approche quasi contractuelle: 1’octroi d’avantages matériels à une religion ou à une philosophie reconnue est subordonné au respect d’exigences déterminées par l’Etat. Cela signifie, par exemple, qu’en contrepartie d’une rémunération des représentants des différentes religions et philosophie, 1’Etat exige certaines qualifications. La rémunération pourrait impliquer un certain contrôle. Un débat peut porter sur la justification d’un contrôle pour les cas où aucune rémunération n’est payée. Dans ces cas, l’intervention étatique se situerait en dehors de toute relation contractuelle et risqueraitt de menacer directement la liberté religieuse. C’est donc le soutien qui justifierait le contrôle. Autrement dit, la neutralité active offre plus de moyens de contrôle que ne le fait la neutralité passive qui, or de tout contact avec les groupes religieux, perd par conséquent toute possibilité de contrôle.
Dans le cas concret de 1’islam, la Commission tient à signaler le travail de la Fondation Roi Baudouin: un comité se penche sur les questions de la formation et de la reconnaissance des imams et des professeurs de religion islamique. La Commission attend les résultats de ce travail avant de s’exprimer sur le fond de ce dossier, elle auditionnera la Fondation dans la suite de ses travaux.
Toutefois la Commission distingue quatre pistes à examiner:
– la création de centre(s) (inter)universitaire(s) ayant pour objet principal l’étude de l’islam semble tout à fait souhaitable. II est recommandé que ce centre ait une dimension interdisciplinaire;
– il y a un besoin urgent de former des professeurs de religion musulmane pour tous les niveaux de l’enseignement obligatoire. Cette formation pourrait se faire dans des institutions publiques ou privées;
– la défînition du contenu de la,formation des imams est de la compétence exclusive des représentants du culte musulman. L’Etat n’intervient pas en la matière. Cette formation pourrait toutefois s’articuler sur des enseignements dispersés par ailleurs en assurant une égalité de traitement entre les divers étudiants;
– la reconnaissance des imams appartient aux seuls représentants du culte. Lorsqu’un imam a été reconnu, 1’Etat assume ses responsabilités sur base d’un règlement similaire pour tous les ministres des cultes reconnus.
La neutralité active devrait conduire notamment, à l’élimination des discriminations de fait en matière de rites funéraires, à une attention accrue aux prescriptions alimentaires ou à la possibilité d’observer les jours de ,fête religieuse…

5. LE CHAMP SOCIO-EDUCATIF ET L’INTERCULTUREL

5.1. L’ENSEIGNEMENT

L’un des noeuds fondamentaux de 1’interculturalité se trouve dans le processus d’éducation.

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Des élèves font l’objet de discriminations, et parfois d’actes de racisme, en raison de leur origine ou de leur appartenance culturelle ou cultuelle.

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Certains élèves, entre autres d’origine musulmane, manifestent une radicalisation. Le port du voile en est le symptóme le plus médiatisé, mais sans doute à tort. Les phénomènes les plus inquiétants sont le prosélytisme religieux, 1’homophobie, le machisme (qui se traduit notamment par le refus de la mixité et une suspicion à 1’égard des membres féminins du personnel enseignant et dirigeant de 1’école), le refus du contenu de certains enseignements (le libre-examen, la biologie, l’éducation sexuelle; les cours de natation et gymnastique), le refus de participer à certaines activités extra-scolaires (bien que parfois, les raisons en soient autant financières que culturelles), ainsi que la pression exercée à l’encontre des jeunes d’origine musulmane qui ne portent pas le voile ou ne pratiquent pas le Ramadan.

[…]

PROPOSITIONS

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L’absence constatée en matière de formation à la citoyenneté et d’éducation de base telle que l’histoire des différentes cultures et traditions qu’elles soient religieuses ou non, qui s’adresserait à tous les jeunes quels que soient leur origine, leur contexte ou leurs quartiers est également pointée comme participant à la méconnaissance, aux rejets, aux peurs et aux incompréhensions de l’autre. Une formation au respect de l’autre ne peut faire l’économie d’un renforcement de formation, d’accès à 1’éducation et à la connaissance.

[…]

La Commission étudiera dans son rapport final la rnanière dont les cours philosophiques pourraient contribuer au dialogue interculturel, à travers:

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– l’histoire comparée des religions et des philosophies laïques et des dimensions culturelles entre autres par le développement de contacts, d’échanges entre les cours de religions et de philosophie.

[…]

5.1.1. LA QUESTION DU FOULARD

Par rapport à l’ensemble des phénomènes évoqués jusqu’ici la question du foulard islamique ne représente sans doute pas selon nous le plus haut degré d’inquiétude. La Commission a auditionné tant des directeurs d’écoles (où l’on interdit et où l’on tolère le foulard) que des associations demandant la levée de toute interdiction. Il est apparu à la Commission qu’il y avait au moins consensus entre toutes les personnes auditionnées pour reconnaître que les véritables enjeux de l’intégration et de l’interculturalité se situent ailleurs que dans la seule question du foulard, dont l’impact médiatique a sans doute été exagéré par la polémique née en France suite à l’adoption de la loi sur les signes religieux.
Il semble également douteux à la Commission que l’on puisse statuer a priori sur la symbolique du foulard: signe d’aliénation de la femme ou expression légitime de la liberté religieuse ou encore marque de pudeur, parure de nature esthétique, tradition culturelle, … Ce débat est sans fin.
Le cadre juridique général est le suivant: l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit «la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites». Le paragraphe 2 du même article précise que cette liberté «ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection d’autrui».
En Belgique, il faut pouvoir distinguer le concept de neutralité et celui de laïcité. Le principe de laïcité de l’Etat compris comme l’autonomie du politique à l’égard du religieux, la rupture complète avec toute forme de théocratie et l’organisation de la société et du pouvoir hors de toute référence, doctrine ou norme religieuse, n’est pas contenu comme tel dans la Constitution. Cependant, le principe de laïcité découle des articles 10, 20 et 21. Il ne revêt toutefois pas un caractère doctrinaire.

POUR LES ENSEIGNANTS DE L’ENSEIGNEMENT OFFICIEL

En Communauté française, il faut souligner que le décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement et le décret du 17 décembre 2003 de l’enseignement officiel neutre subventionné, précisent ce que revêt ce principe en ce qui concerne le personnel enseignant, à savoir “que devant les élèves, l’enseignant refuse de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique (…) et s’abstient de témoigner en faveur d’un système religieux”. La seule possibilité de déroger à ce principe réside dans le cas des écoles pluralistes, en effet la loi du Pacte scolaire du 29 mai 1959, définit en son article 2 une différence entre l’école neutre et l’école pluraliste, celle-ci est définie comme une école “avec un esprit ouvert qui reconnaît la diversité des opinions et attitudes…” et ” …qui donne la liberté pour le membre du personnel de faire connaître, en s’abstenant de tout prosélytisme, son engagement personnel…”. Selon nos informations aucune école pluraliste n’est reconnue à ce jour.
La lecture des deux décrets, confirmée par les deux pouvoirs organisateurs, implique que les représentants et le personnel enseignant doivent s’abstenir d’arborer de manière ostensible et ostentatoire tout signe religieux.
En Communauté flamande, l’Administration publique (de VOI – de Vlaamse Openbare Instelling Het Gemeenschapsonderwijs- ), qui représente l’enseignement officiel, a rédigé une déclaration de neutralité conformément à l’article 24 de la Constitution. Cette neutralité est conçue comme une expression du pluralisme. La déclaration interprète le concept de neutralité et stipule que toute personne impliquée dans le travail pédagogique, doit en toute occasion, diffuser les valeurs d’une société pluraliste auprès des élèves et des étudiants. Un enseignement neutre doit donc former à la tolérance, à l’engagement social, au sens de justice, de la responsabilité et de l’honnêteté.
Cette déclaration est intégrée dans le projet pédagogique. Elle est signée par tous les membres du personnel. Le ‘Pedagogisch Project’ est rédigé sur base de l’article 34, l’ du décret spécial du 14 juillet 1998 concernant l’enseignement de la Communauté. Le principe qui prévaut pour le corps enseignant est celui de la neutralité. Il doit donc s’abstenir de porter tout signe d’appartenance religieuse ou philosophique à l’exception des enseignants des cours de religion.
Ceci étant, le statut de l’enseignement libre subventionné et de son personnel enseignant ne rencontre pas d’office les mêmes prescrits.

PROPOSITIONS

Les trois propositions envisagées par la Commission en ce qui concerne la neutralité de l’Etat et singulièrement de ses agents, ne peuvent être appliquées comme telles pour les enseignants. En effet, il y a lieu de distinguer la nature des pouvoirs organisateurs et leurs libertés respectives.
Un débat a partagé les membres de la Commission pour ce qui touche à l’enseignement officiel et neutre subventionné. La discussion a dégagé trois positions:
l. l’interdiction totale du port de toute marque d’appartenance religieuse ou philosophique, cette position se justifiant par la nécessaire distance dont l’enseignant doit faire preuve vis-à-vis de ses élèves de façon à ce que ceux-ci ne soient pas influencés par les appartenances de l’adulte référent (qui, de surcroît, exerce une fonction d’autorité au sein de la classe et de l’école);
2. la même interdiction sauf pour les enseignants chargés des cours de religion, et pour le personnel non pédagogique;
3. la liberté pour l’enseignant de montrer ses appartenances. Cette position offre aux jeunes une image plurielle des adultes qui les entourent. Cette liberté est toutefois soumise à des restrictions: l’enseignant doit s’abstenir de toute forme de prosélytisme.
Certains membres de la Commission optent pour que la liberté soit accordée à chaque réseau d’apprécier et de gérer les situalions.
D’autres commissaires plaident pour que l’école publique maintienne une grande cohérence dans l’image de ses équipes éducatives, dans le plus grand respect de la neutralité.

POUR LES ELEVES DE L’ENSEIGNEMENT OFFICIEL

Il y a lieu d’examiner l’ensemble des dispositions. L’article 24 §3 de la Constitution consacre le droit de chaque élève à un enseignement dispensé dans le respect des libertés et droits fondamentaux. Ce qui implique le droit des élèves d’extérioriser leur appartenance à un courant philosophique ou religieux.
En Communauté française, les décrets du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française et du 17 décembre 2003 pour l’enseignement officiel subventionné prévoient la liberté de manifester sa religion sous certaines conditions. Les élèves sont donc en principe autorisés à arborer un signe religieux. Deux limites existent toutefois. D’une part, cette liberté s’exerce “à la seule condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, et que soit respecté le règlement d’ordre intérieur”. D’autre part, l’enseignant doit veiller “à ce que sous son autorité ne se développe ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisés par ou pour les élèves”.
Ces décrets mentionnent comme motif de restriction admissible le règlement d’ordre intérieur de l’établissement. Cela entraîne une diversité des situations d’une école à l’autre, parfois dans le même réseau. Dans certains établissements la situation est appréciée au cas par cas, alors que dans d’autres on admet la possibilité d’interdire de manière générale tantôt le port de signes qui expriment une opinion ou une appartenance philosophique ou religieuse, tantôt plus prosaïquement, le couvre-chef.
En Communauté flamande, l’enseignement officiel de la Communauté flamande dispose d’une autonomie dans le cadre de la Vlaamse Openbare Instelling. Le fondement du projet pédagogique de l’enseignement communautaire est le pluralisme actif et transversal: il ne s’agit pas uniquement de la reconnaissance de la diversité mais aussi de l’octroi d’une place effective à cette diversité dans l’enseignement. Une attention particulière est notamment accordée au contenu des cours.
Le projet pédagogique et la déclaration de neutralité ont comme objectif la formation des élèves à la tolérance, à l’engagement social, au sens de la justice, de la responsabilité et de l’honnêteté.
Dans la pratique, la situation des établissements différent quant à la question de l’acceptation du port de signes religieux ou philosophiques. Certains établissements l’interdisent, d’autres l’autorisent. Dans ce dernier cas des restrictions sont admises sur base des critères d’hygiène et de sécurité.
Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pris position qu’une seule fois sur la question précise de l’admissibilité, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, d’une mesure d’interdiction du port du voile imposée aux élèves d’un établissement d’enseignement public. Ce fut dans son arrêt Leyla Sahin c. Turquie du 29 juin 2004, à propos de l’interdiction adressée par l’Université d’Istanbul à une étudiante en médecine de fréquenter les cours revêtue de son voile. A l’unanimité, l’arrêt a rejeté la requête que cette étudiante avait fondée sur l’article 9 précité. Il convient de souligner combien la motivation de la Cour est prudente et contextualisée. Celle-ci ne se prononce pas de manière générale. Au contraire, elle rappelle que dans la matière sensible des relations entre l’Etat et les religions, il ne peut être question d’imposer un standard européen uniforme. Elle fut particulièrement attentive au caractère fondateur du principe de laïcité pour la démocratie turque et aux dangers induits par l’existence de mouvements fondamentalistes dans ce pays. Dans une société très largement musulmane, une pression considérable est inévitablement exercée sur les jeunes filles qui choisissent de ne pas porter le voile. Dans ce contexte, l’interdiction du port du voile protège la liberté de choix des femmes. Cet arrêt à ce jour isolé et qui n’a été rendu que par une chambre à sept juges ne peut donc pas être présenté comme formant jurisprudence. Le mode de raisonnement qui le sous-tend n’est pas directement exportable en dehors du contexte propre à la Turquie.
Si l’on examine ensuite les leçons du droit comparé, il apparaît que l’immense majorité des Etats européens n’interdisent pas le port du voile par les jeunes filles dans les écoles. Le fait est que la Turquie et la France sont isolées.
Par ailleurs, et toujours dans le registre du droit comparé, il convient de rapporter un considérant d’importance majeure exposé par la Cour constitutionnelle allemande dans son arrêt du 24 septembre 2003 rendu à ce propos. Celle-ci a tenu à répondre à l’argument souvent avancé par les partisans d’une interdiction générale du port du voile dans les écoles, argument consistant à justifier cette interdiction par la signification symbolique de ce vêtement: l’obligation faite aux musulmanes de le porter serait le signe d’une infériorité de la femme constitutive d’une discrimination sexuelle et, par conséquent, une mesure d’interdiction générale serait appelée par la nécessaire promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. La Cour a souligné que le port du voile n’a pas de signification univoque et qu’il ne symbolise donc pas nécessairement la soumission de la femme à l’homme.
Si l’on se tourne enfin vers les données du droit belge, on peut faire en substance les observations suivantes. Avant que la France n’adopte la législation que l’on connaît, la jurisprudence belge se référait à la solution dégagée depuis 1989 par le Conseil d’Etat de France. Après avoir rappelé que la laïcité, élément de la neutralité des services publics, «impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves», cette haute juridiction considérait que, «dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses». Mais elle ajoutait aussitôt que «cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient une atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public».
Le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies a considéré pour sa part, dans ses «concluding observations» de l’année 2004 sur le rapport de l’Allemagne, que l’exclusion des professeurs de l’école publique en raison du port du foulard ne contribue pas à la compréhension par l’enfant du droit à la liberté de religion et au développement d’une attitude de tolérance, tels que définis à l’article 29 de la Convention des droits de l’enfant. Cet article prévoit les lignes directrices de l’éducation de l’enfant: l’épanouissement de la personnalité de l’enfant, l’enseignement du respect des droits de l’Homme, la promotion du respect de son identité, de sa langue, de ses valeurs culturelles ainsi que des valeurs nationales du pays dans lequel il vit.
Sur cette question, la Commission n’a pas tranché et a distingué trois positions.
1. La première position prône une interdiction généralisée du port de tous signes religieux ou philosophiyues à l’école. Cette position s’appuie sur l’existence dans le chef de chaque élève d’une liberté individuelle de pratiquer ou non une religion. Elle permet de mettre tous les élèves dans une position d’égalité de droits et de devoirs. Cette position s’accompagne de la mise en place de mécanismes de dialogue avec les élèves et les parents ainsi que la mise en oeuvre de projets pédagogiques visant le respect de l’autre dans ses différences. L’école doit être un espace neutre commun où toutes les convictions religieuses et philosophiques cohabitent harmonieusement sans que l’une prime sur l’autre. Certains directeurs d’écoles que nous avons auditionnés y sont favorables, au nom de la laïcité et/ou de l’émancipation des femmes. L’adoption généralisée de cette position permettrait de rencontrer l’objectif de déconcentration des écoles à forte population musulmane. La mise en oeuvre de cette position devra s’accompagner d’une communication claire.
Mais une telle interdiction présente des inconvénients: elle risque d’être interprétée comme une manifestation d’hostilité par certains musulmans de Belgique. La limitation qu’elle pose aux principes de la liberté religieuse n’est-elle pas disproportionnée eu égard à son objectif, ne comporte-t-elle pas le risque d’amener à l’exclusion de fait des jeunes filles portant le foulard? Enfin, on peut s’interroger sur la manière dont une telle disposition pourrait voir le jour alors que l’enseignement relève de la compétence des Communautés, et dépend de plusieurs pouvoirs organisateurs.
2. La deuxième position préconise une solution souple, visant avant tout à favoriser le dialogue au sein de l’école. Dans cette perspective, il ne paraît pas souhaitable de prendre de mesure législative généralisée qui irait à l’encontre de l’autonomie reconnue de longue date, tant des écoles via leur projet pédagogique et leur règlement d’ordre intérieur que des pouvoirs organisateurs.
Cependant, un certain nombre de balises peuvent être posées:
– l’affirmation de la liberté individuelle et religieuse dans l’espace public est le principe de base auquel on ne peut apporter des limitations que proportionnées et justifiées;
– l’interdiction de tout signe ostensible d’appartenance religieuse ou philosophique dans les écoles primaires et maternelles est de mise ainsi que l’interdiction, à l’école comme dans l’espace public en général, de tout vêtement couvrant le visage;
– si une école ou un pouvoir organisateur interdit le port de signes religieux ou philosophiques, il convient que cela se fasse à une double condition:
– justifier l’interdiction au travers d’un projet pédagogique clair et explicité;
– instaurer un dialogue entre élèves, parents et enseignants.
Par ailleurs, il serait nécessaire d’encourager au préalable une concertation avec les écoles situées dans la même aire géographique, quel que soit le réseau auquel elles appartiennent.
Cette position présente l’inconvénient d’engendrer éventuellement une forme d’instabilité et d’hésitation dans le chef des responsables des établissements et des pouvoirs organisateurs quant aux décisions à adopter.
Les membres de la Commission qui soutiennent cette deuxième position estiment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un cadre législatif pour confirmer la légalité des règlements d’ordre intérieur. Cependant, si une législation devait voir le jour, celle-ci devrait respecter l’autonomie des écoles en privilégiant le dialogue et la concertation au sein des pouvoirs organisateurs, au sein des écoles et entre les acteurs concernés.
3. Le troisième position prône une intervention législative visant à garantir la liberté de porter des signes ostentatoires à l’école. Il s’agit donc d’interdire d’interdire. Les principes de la liberté individuelle et de la liberté religieuse seraient ainsi réaffirmés. Une partie de la communauté musulmane y verrait un signe de reconnaissance. Cette position considère que l’interdiction générale par les règlements d’ordre intérieur est contraire aux dispositions légales.
Cette position présente des inconvénients: ne fragiliserait-elle pas davantage les jeunes filles d’origine musulmane qui ne désirent pas porter le foulard. Et à nouveau, une mesure généralisée sur ce sujet est-elle compatible avec la pluralité des niveaux de pouvoir en Belgique ?
Pour certains membres, dans le cadre de cette position, et le cas échéant, si des restrictions devaient être émises à la liberté de porter des signes par le biais de dispositions reprises dans les règlements d’ordre intérieur des établissements, elles devraient être prévues par des décrets. Cette considération s’appuie notamment sur les objections qui ont été adressées par le Professeur Xavier Delgrange dans le Journal du Juriste contre la validité de ce type de règlements qui méritent l’attention et justifient un débat au sein des Conseils de Communauté. Les voici: «Tout d’abord, tant la Convention relative aux droits de l’enfant que la Convention européenne des droits de l’homme ou la Constitution n’admettent des restrictions à la liberté religieuse que si elles sont prévues par la loi. Certes, la Cour européenne des droits de l’homme admet une acception large de la notion de loi, qui peut englober un règlement d’ordre intérieur édicté par la direction d’une école. Toutefois, le droit constitutionnel belge se montre plus exigeant en la matière, requérant que les restrictions aux droits et libertés soient décidées par une assemblée délibérante élue. La majorité de la doctrine, s’appuyant notamment sur des arrêts de la Cour de cassation, considère que le régime plus protecteur propre à la Belgique doit prévaloir sur le droit subsidiaire de la Convention européenne des droits de l’homme. Un règlement d’ordre intérieur ne pourrait donc pas établir une limitation à la liberté religieuse, mais tout au plus l’organiser. Ensuite, un règlement d’ordre intérieur ne peut déroger aux normes supérieures, parmi lesquelles les décrets relatifs à la neutralité. Ceux-ci conditionnent bien l’exercice des libertés au respect du règlement d’ordre intérieur. Mais lui-même doit nécessairement être conforme au décret. Il en résulte que le voile ne peut faire l’objet d’une interdiction générale au sein de l’école. Il ne doit être retiré que s’il est conjugué soit à une attitude prosélyte, soit à une atteinte à la sécurité, à l’ordre public, … (la direction pourrait alors prohiber le voile dans certains lieux ou pour certaines activités). La circonstance que l’interdiction n’est prononcée qu’au niveau de l’école ne la valide pas pour autant: elle demeure générale alors que la direction ne pourrait trouver dans la législation que l’habilitation à prendre des mesures limitées et justifiées par des considérations particulières».
Ainsi certains membres de la Commission sont d’avis de recommander aux Parlements de nos trois Communautés d’énoncer les conditions dans lesquelles les directions d’écoles peuvent limiter le port par les élèves de signes manifestant leur appartenance religieuse ou philosophique. L’élaboration de ces décrets serait l’occasion d’ouvrir le débat sur leur applicabilité à l’enseignement libre subventionné. D’autres membres de la Commission estiment pour leur part qu’il est possible d’éviter la voie législative tel que cela a été énoncé plus haut, et recommandent à tout le moins que d’éventuels décrets ne statuent pas sur le contenu des règlements d’ordre intérieur.

PROPOSITIONS

Les directeurs et préfets d’école entendus ont mis en avant la difficulté de faire respecterl’assiduité scolaire en pointant la pratique de certains médecins qui donnaient des certificats médicaux pour raison philosophique. La Commission, unanime, condamne ce type de pratique et invite nos autorités à rappeler aux Conseils de l’Ordre l’importance de leur rôle en la matière.
D’une manière générale, la Commission recommande aux pouvoirs publics de tout mettre en ouevre pour instaurer un maximum de concertation et de collaboration entre les écoles, afin d’éviter autant que possible la formation d’écoles ghettos.
De la même manière, concernant des thématiques aussi sensibles, il importe de renforcer le fonctionnement des structures de dialogue dans les écoles afin d’en débattre collectivement au sein des instances démocratiques prévues par la loi (en Communauté française, les conseils de classe et conseils de participation prévus par le décret «Missions»).
Aucune dérogation ne peut contrevenir aux conditions de sécurité et d’hygiène.

[…]

5.2.1. L’AFFIRMATION IDENTITAIRE

Comme l’indique Bernard DEVOS: «Puisqu’on leur dénie le droit d’être belge à part entière, tout en leur enjoignant de chercher indéfiniment à l’être, les jeunes descendants d’immigrés n’ont qu’une sortie par le haut: positiver leur différence. Certains s’essaieront à la délinquance, l’arrogance ou la provocation, d’autres à l’affirmation d’une néo-religiosité. Les deux voies sont défensives mais ne sont pas équivalentes: la délinquance confine les jeunes dans la marginalité et la haine alors que la revendication d’une identité musulmane, en permettant aux individus de s’investir d’un contenu choisi et valorisant une différence qui leur est de toute façon imposée est, contrairement à ce que pensent la majorité des «Belges de souche», une façon de pouvoir être aussi belge: belge musulman.».
On peut également constater à travers d’autres analyses, que l’identification religieuse s’explique par la situation internationale (conflits au Moyen Orient, …) mais aussi par une identification réactive (réaction à la discrimination à l’emploi, à l’inégalité dans les réseaux scolaires).

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5.2.2. LES IDENTITES PLURIELLES : SOURCE DE TENSIONS

On observe des phénomènes de tiraillement entre deux, voire plusieurs, cultures, identités sociales, modes de vie, cadres de références qui produisent des tensions internes dans les choix, les voies à suivre et des difficultés de reconnaissance du/des groupe(s) d’appartenance. La Commission a entendu des témoignages recueillis auprès de jeunes femmes et de jeunes hommes ou de jeunes homosexuel(le)s d’origine étrangère et de culture musulmane qui abondent dans ce sens. On peut voir, comme le souligne Fabienne Brion auditionnée en groupe de travail de la Commission, des situations où les personnes sont mises dans des positions contradictoires parce qu’ elles sont en même temps sommées d’incarner la modernité et l’intégration et chargés de personnifier l’authenticité et la fidélité à la tradition.
Il faut aussi indiquer que ces tiraillements ne sont pas propres à une culture ou à une religion et qu’ils se constatent à travers l’ensemble des systèmes de croyances ou de valeurs qui comportent des positions fermées et rigides ou des diktats à l’égard des différences.

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Il est relevé par ailleurs que la méconnaissance par certains jeunes de leur culture et/ou religion d’origine les amène à avoir des interprétations erronées ou fondamentalistes de nature à les placer dans des situations d’incompatibilité entre leurs croyances et le modèle social dans lequel ils évoluent. Il est dès lors important de leur transmettre une meilleure connaissance de leur culture d’origine (traditions, religion, histoire…), de leur culture «d’accueil» et de les soutenir dans l’affirmation d’une identité plurielle.

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PROPOSITIONS

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Les pouvoirs publics devraient renforcer le soutien aux associations de terrain menant des projets de soutien aux jeunes filles et jeunes garçons aux identités plurielles et confrontés aux doubles loyautés, entre notamment les prescrits religieux et les normes séculières;

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