Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 2 Novembre 2004

Decisione 23 settembre 2004, n.49346/99

La Cour européenne des Droits de l’Homme
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 49346/99
présentée par Hüsnü ÖZ
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 23 septembre 2004 en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
B. Zupančič,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juin 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT
Le requérant, Hüsnü Öz, est un ressortissant turc, né en 1959 et résidant en Allemagne. Il est représenté devant la Cour par Mes Yusuf Akmaz et Ali Bulut, avocats à Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En 1993, le requérant fut nommé à un poste d’imam par la Direction des affaires religieuses («la Direction»), auprès du consulat général de la Turquie à Münster (« le consulat ») et pour une période de six ans. Parallèlement à ses fonctions au Ccnsulat, le requérant commença à exercer dans la mosquée de Westehold au cours de la même année.
Le 26 avril 1994, la Commission commune interministérielle de la culture (Bakanlıklararası Ortak Kültür Komisyonu) décida la mutation du requérant en Turquie et lui demanda de reprendre ses fonctions dans les délais prévus par la loi no 657 à partir du 2 mai 1994.
Le 18 mai 1994, le requérant présenta sa démission au consulat qui l’accueillit le 24 mai suivant, et continua à travailler dans la mosquée de Westehold.
Par une lettre du 22 août 1994, la Direction fit part au requérant de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre pour un double motif : il aurait, d’une part, prêché dans la mosquée de Westehold dirigée par une association dénommée «Association d’opinion nationale de l’Europe» (Avrupa Milli Gorüş Teşkilatı), en des termes visant à vilipender la République de Turquie et Atatürk et à soutenir le mouvement de Cemalettin Kaplan1 en Allemagne ; qu’il aurait, d’autre part, essayé d’endoctriner les musulmanes répétant dans ses discours que «les laïques sont des infidèles». Le requérant fut en outre invité à présenter ses observations en défense relatives à la sanction disciplinaire.
Le 20 février 1995, en application de l’article 125/E de la loi no 657 sur les fonctionnaires d’État, la Direction décida la révocation du requérant de la fonction publique.
Le 25 avril 1995, le requérant introduisit devant le tribunal administratif d’Ankara (« le tribunal administratif ») une demande en annulation de la sanction disciplinaire infligée à son encontre, ainsi que la mise en place de mesures provisoires (yürütmenin durdurulması) contre la sanction en question. Dans son mémoire, il déclara ne pas avoir tenu les propos en question et contesta l’impartialité des témoins. Il plaida ainsi :
«Les accusations sont malveillantes et dénuées de tout fondement. Accuser un homme religieux d’avoir commis des actes de cette nature est une voie extrêmement banale et facile pour le discréditer à l’égard de l’opinion publique. Par ailleurs, les actes qui me sont rapprochés constituent une infraction au sens du code pénal. Si j’ai commis de tels actes, il faut alors déposer une plainte auprès du procureur compétent. (…). Mais dans ce cas, ils auraient besoin de preuves dont ils ne disposent pas. Dans la décision de la Direction, on parle de témoins. Qui sont ces témoins ? Les employés de la mosquée de Westehold et plusieurs membres de la communauté musulmane à Münster ont déposé des pétitions pour rendre témoignage à décharge (…). »
Le requérant contesta par ailleurs l’équité de la procédure disciplinaire en faisant valoir qu’il n’avait pas eu la possibilité d’accéder au dossier d’instruction, d’obtenir la convocation des témoins à décharge et de se défendre devant la commission disciplinaire (« la commission »).
Par un jugement du 8 février 1996, s’appuyant sur les enregistrements des discours tenus par le requérant, le tribunal administratif débouta le requérant de sa demande. Il précisa en outre que le rejet de la demande du requérant quant à l’accès au dossier d’instruction, à la convocation des témoins et à la défense devant la commission disciplinaire était attribuable au manque de vigilance du requérant qui avait omis de formuler ces demandes dans les délais prévus par la loi no 657 qui commencent à courir à partir de la lettre du 22 août 1994 du ministère.
Le 8 avril 1996, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il fit valoir que la sanction disciplinaire reposait sur des faux témoignages et que sa responsabilité disciplinaire ne pouvait être établie. Il demanda en outre la mise en place de mesures provisoires.
Par une décision du 17 mai 1996, le Conseil d’État rejeta la demande du requérant quant aux mesures provisoires et par un arrêt du 20 mars 1997, confirma l’arrêt du 8 février 1996 de la juridiction de première instance.
Le pourvoi en rectification de l’arrêt du requérant fut repoussé par le Conseil d’État par un arrêt du 10 décembre 1998, notifié au requérant le 27 janvier 1999.
B. Le droit interne pertinent
La loi no 657 sur les fonctionnaires d’État contient les dispositions suivantes :
Article 125/E/j/k
« Révocation définitive de la fonction publique :
Les faits qui donnent lieu à l’imposition d’une sanction de révocation sont les suivants :
(…)
j) Se comporter d’une manière à discréditer l’État ou à porter atteinte à la dignité de la fonction lors des missions à l’étranger,
k) Violation de la loi no 5816 sur les infractions portant atteinte à Atatürk,
(…) »
Article 129
« (…) le fonctionnaire qui fait l’objet d’une instruction disciplinaire pouvant mener à sa révocation, a droit à examiner le dossier d’instruction (…), à faire interroger des témoins, à présenter lui-même sa défense oralement ou par écrit ou à bénéficier de l’assistance d’un représentant devant la commission disciplinaire. »
Article 130
« Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée sans que le fonctionnaire ait été entendu en ses moyens de défense.
Le fonctionnaire qui n’a pas présenté sa défense dans un délai de sept jours, accordé par la commission d’instruction, est présumé renoncer à son droit à la défense.»

GRIEFS
Le requérant fait grief de ce que lors de la procédure disciplinaire devant la commission, il n’a pas eu la possibilité de préparer sa défense, d’accéder au dossier d’instruction et de faire interroger des témoins. Il invoque l’article 6 § 3) a) b), c) et d) de la Convention.
Le requérant soutient par ailleurs que son exclusion de la fonction publique en raison de ses activités à la mosquée de Westehold a enfreint son droit à la liberté d’expression. Il invoque les articles 9 et 10 de la Convention.

EN DROIT
1. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la défense lors de la procédure litigieuse, notamment de ne pas avoir eu la possibilité d’accéder au dossier d’instruction et de faire interroger des témoins, contrairement à l’article 6 § 3) a) b), c) et d) de la Convention, qui dispose :
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
La Cour ne juge pas nécessaire d’examiner la question de l’applicabilité de l’article 6 dans la mesure où elle estime que le grief est irrecevable pour les motifs suivants :
La Cour constate que dans sa lettre du 22 août 1994, la Direction a d’une part, fait part au requérant de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre et, d’autre part, lui a demandé de présenter sa défense relative à la sanction disciplinaire. Le requérant n’ayant pas répondu à cette demande dans les délais prévus par l’article 130 de la loi no 657, il a été présumé renoncer à son droit à la défense devant la commission disciplinaire.
A cet égard, la Cour rappelle qu’un recours interne est en principe réputé non épuisé lorsqu’il a été rejeté suite au non-respect d’une formalité par son auteur (voir, parmi beaucoup d’autres, Asikis et 106 autres c. Grèce (déc.), no 48229/99, 22 juin 2000, ainsi que requête no 19117/91, décision de la Commission du 12 janvier 1994, DR 76, p. 70, et requête no 18079/91, décision de la Commission du 4 décembre 1991, DR 72, p. 263). Dès lors, ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint que sa révocation de la fonction publique a porté atteinte à son droit à liberté de pensée, de conscience et d’expression. Il invoque les articles 9 et 10 de la Convention, rédigés en ces termes :
Article 9
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 10
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
La Cour rappelle d’emblée que selon l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après « l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus ».
Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que le requérant a contesté la base légale des mesures litigieuses devant la juridiction compétente. Il faut encore que le grief formulé devant la Cour ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point, la Cour renvoie à sa jurisprudence constante (voir, entre autres, Ahmet Sadık c. Grèce, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, pp. 1653-1654, § 30, et, plus récemment, Hakan Onen c. Turquie (déc.), 32860/96, 10 février 2004).
Or le requérant ne s’est appuyé à aucun moment devant les juridictions nationales, ni sur les articles 9 et 10 de la Convention ni sur des moyens d’effet équivalent ou similaires fondés sur le droit interne. Il s’est borné à contester les faits, la légalité des mesures litigieuses et l’impartialité des témoins.
Dans ces circonstances, la Cour relève que le requérant n’a pas épuisé les voies de droit dont il disposait en droit turc. Dès lors, cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président
1 Leader du mouvement islamiste radical «L’État fédéré islamiste de l’Anatolie » (Anadolu Federe Islam Devleti) fondé en Allemagne après sa rupture avec l’« Association d’opinion nationale de l’Europe » (Avrupa Milli GörüşTeşkilatı) au début des années quatre-vingts.