Decisione 10 luglio 2001, n.41754/98
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section)
41754/98
10/07/2001 Corte Decisione Irricevibile 107
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41754/98
présentée par JOHANNISCHE KIRCHE & Horst PETERS
contre l’Allemagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 juillet 2001 en une chambre composée de
MM. A. PASTOR RIDRUEJO, président,
G. RESS,
L. CAFLISCH,
J. MAKARCZYK,
I. CABRAL BARRETO,
Mme N. VAJIC,
M. M. PELLONPÄÄ, juges,
et de M. V. BERGER, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 8 avril 1998 et enregistrée le 18 juin 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La première requérante est une communauté religieuse chrétienne (libre église) bénéficiant du statut de collectivité de droit public (Körperschaft des öffentlichen Rechts) et dont le conseil de direction (Vorstand) siège à Berlin. Le second requérant est un ressortissant allemand, né en 1926 et résidant à Waischenfeld (Allemagne). Ils sont représentés devant la Cour par Me Arsène Verny, avocat à Prague (République tchèque).
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
En juillet 1991, la première requérante demanda un permis de construire pour une chapelle et un cimetière sur un terrain lui appartenant.
Après avoir été déboutée de sa demande par les autorités administratives, la première requérante saisit le tribunal administratif de Bayreuth. Lors de l’audience publique devant ce tribunal, elle demanda la suspension de la procédure quant au cimetière.
Le 20 décembre 1993, après s’être rendu sur le lieu de la construction projetée, le tribunal administratif rejeta la demande quant à la chapelle au motif que l’endroit où la chapelle devait être érigée se trouvait dans une zone protégée sans aucune construction (Außenbereich) et que la viabilisation (Erschließung) du terrain n’était pas assurée.
Le 10 août 1994, après avoir entendu notamment le service de la santé publique, le bureau de la gestion des eaux (Wasserwirtschaftsamt), la ville de Waischenfeld, sur le territoire duquel se trouvait le terrain de la première requérante, et d’autres services qui n’avaient pas donné leur consentement ou seulement sous certaines conditions, l’autorité administrative de Bayreuth rejeta la demande concernant le cimetière dont la procédure avait été reprise après le jugement du tribunal administratif, au motif que l’endroit du cimetière se trouvait dans une zone protégée sans aucune construction et que la viabilisation du terrain n’était pas assurée, car la ville de Waischenfeld refusait d’accorder à la première requérante le droit de traverser le terrain communal limitrophe pour accéder au cimetière projeté.
Le 15 décembre 1994, le tribunal administratif de Bayreuth rejeta la demande, essentiellement aux mêmes motifs que ceux exposés dans le jugement du 20 décembre 1993 auquel le tribunal administratif fit par ailleurs amplement référence.
Le 4 juillet 1996, après s’être rendue sur le lieu de la construction du cimetière projetée, la cour d’appel administrative de Bavière confirma le jugement du tribunal administratif de Bayreuth du 15 décembre 1994. Elle releva notamment que la construction du cimetière n’était pas compatible avec le caractère de l’environnement autour de l’endroit visé, et ce d’autant moins que depuis l’entrée en vigueur, le 14 juillet 1995, du décret-loi sur l’instauration du Parc naturel de la Suisse franconienne (Naturpark Fränkische Schweiz), était interdit tout acte portant atteinte au caractère du parc naturel même localement. Le fait que la première requérante était une communauté religieuse ne pouvait pas changer ce constat dans la mesure où elle pouvait réaliser la construction du cimetière sur d’autres terrains moins exposés à des restrictions d’ordre environnemental. La cour d’appel releva en outre que le manque de viabilisation du terrain en question s’opposait aussi au projet de la première requérante.
La cour d’appel décida en outre de ne pas autoriser un pourvoi en cassation. La première requérante recourut contre cette dernière décision.
Le 7 mars 1997, la Cour administrative fédérale rejeta le recours au motif qu’il ne soulevait pas de question d’importance fondamentale. Elle nota que la liberté de religion trouvait ses limites dans les valeurs imposées par la Constitution même. Parmi ces valeurs constitutionnelles figurait notamment la protection des bases naturelles de la vie (natürliche Lebensgrundlagen), comme le proclamait l’article 20 a de la Loi fondamentale, dont faisait partie l’instauration des zones protégées. En outre, les dispositions relatives à la planification s’appliquaient à tout le monde sans aucune distinction et n’imposaient pas plus de limitations aux communautés religieuses qu’à d’autres personnes ou groupes de personnes. En ce qui concernait les dispositions relatives aux cimetières, il n’était pas contestable que la création d’un cimetière était soumise à des lois relatives à la santé publique et à la gestion de l’eau. La liberté d’une communauté religieuse de droit public de pratiquer sa religion n’obligeait pas les autorités à accorder une dispense des restrictions législatives relatives à la protection de l’environnement et du paysage. Par ailleurs, la question de savoir si une telle dispense aurait dû être accordée, aux termes du décret-loi du 14 juillet 1995 relatif à l’instauration du Parc naturel de la Suisse franconienne, concernait des dispositions émanant du législateur bavarois, c’est-à-dire d’un Land, et ne pouvait de ce fait être invoquée devant la Cour administrative fédérale.
Le 14 octobre 1997, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel de la première requérante. Elle releva notamment que la liberté de religion et de la manifester n’était pas illimitée et pouvait être mise en balance avec d’autres valeurs constitutionnelles dont l’article 20a de la Loi fondamentale. Elle nota aussi que la première requérante pouvait construire le cimetière sur d’autres terrain moins exposés à des restrictions normatives.
GRIEF
Invoquant l’article 9 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que les autorités allemandes ont méconnu leur droit à la liberté de religion lorsqu’elles ont rejeté la demande de la première requérante. Leur religion est marquée par la croyance qu’après la mort il n’y a plus aucune différence sociale et que les êtres humains seront tous égaux devant Dieu. Cette croyance trouve son expression dans l’aménagement très naturel du cimetière projeté en ce que toutes les pierres tombales doivent être couchées et uniformes, même si l’enterrement d’un membre de la première requérante dans un cimetière traditionnel n’est pas interdit.
EN DROIT
Les requérants estiment que le refus des autorités allemandes d’accorder à la première requérante le permis de construire un cimetière est contraire à l’article 9 de la Convention dont les parties pertinentes sont libellées ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté (…) de religion ; ce droit implique la liberté (…) de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
D’après les requérants, la construction et le maintien d’un cimetière ne sont pas seulement l’expression de la liberté de pratiquer sa religion mais font partie de la liberté de religion même.
La Cour relève d’emblée que le second requérant qui n’a pas été partie dans les procédures devant les autorités et juridictions allemandes se présente comme un « intervenant » (Streithelfer) dans la présente requête. La Cour estime inutile de se prononcer sur la question de savoir si, de ce fait, le second requérant ne peut passer pour un requérant au sens de l’article 34 de la Convention, car la requête doit de toute manière déclarée irrecevable pour les motifs suivants.
La Cour rappelle que la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une société démocratique au sens de la Convention. Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 de la Convention énumère diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Néanmoins, il ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction (arrêts Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n° 30985/96, § 60, CEDH 2000-XI ; Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [GC], n° 27417/95, § 73, CEDH 2000- VII ; Kalaç c. Turquie du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1209, § 27)
La Cour note que les décisions litigieuses des autorités allemandes peuvent s’analyser en une restriction au droit de manifester sa religion, au sens de l’article 9 § 2 de la Convention, dans la mesure où la manière d’enterrer les morts et d’aménager les cimetières représente un élément essentiel de la pratique religieuse de la première requérante et de ses membres (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France précité, §§ 73-74).
La Cour constate en outre que cette ingérence était prévue par la loi, ce que la première requérante ne conteste d’ailleurs pas.
Elle rappelle ensuite que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité d’une ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent. La tâche de la Cour consiste à rechercher si les mesures prises au niveau national se justifient dans leur principe et sont proportionnées (arrêts Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, p. 21, § 47, et Manoussakis et autres c. Grèce du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1364, § 44, et).
La Cour note en l’espèce que les autorités ont motivé leur refus d’autoriser la construction du cimetière par des dispositions relatives à la planification, à la protection de l’environnement et à la viabilisation, et particulièrement par le fait qu’il n’existait aucune autre construction dans la zone en question.
Il est vrai que l’autorité administrative et le tribunal administratif de Bayreuth n’ont fait aucune allusion au fait que la première requérante était une communauté religieuse et que ce n’est que devant la cour d’appel administrative de Bavière qu’une possible ingérence dans le droit à la liberté religieuse de la première requérante a été examinée.
Cependant, la cour d’appel administrative a relevé que le statut de la première requérante ne lui accordait pas le droit de construire un cimetière à un endroit particulièrement protégé par le décret-loi relatif à l’instauration du Parc naturel de la Suisse franconienne. Quant aux juridictions fédérales, la Cour constate qu’elles ont dûment exposé comment et dans quelle mesure le droit à la liberté de religion, garanti par la Loi fondamentale sans restrictions expresses, trouve ses limites dans les droits d’autrui et dans les valeurs constitutionnelles telles que la protection des bases naturelles de la vie, comme le proclame l’article 20 a de la Loi fondamentale. Il ressort de ces décisions que les autorités allemandes, en rejetant la demande de la première requérante, ne visaient pas cette dernière en tant que communauté religieuse, mais que l’interdiction de construire s’appliquait à n’importe quelle autre personne demandant un permis de construire dans la zone en question.
A la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la grande marge d’appréciation des États contractants en matière de planification (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A n° 52, p. 26, § 69 ; et Commission, n° 20490/92, Iskcon et autres c. Royaume-Uni, décision du 8 mars 1994, DR 76, p. 91), la Cour estime que la mesure litigieuse s’analyse en une restriction du droit de la première requérante à la liberté de manifester sa religion justifiée dans son principe et proportionnée à l’objectif visé (protection des droits et libertés d’autrui) et, partant, en une ingérence conforme à l’article 9 § 2 de la Convention.
Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent BERGER Antonio PASTOR RIDRUEJO
Greffier Président
44774/98
02/07/2002 Corte Decisione Ricevibile 27
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 44774/98
présentée par Leyla ŞAHİN
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 2 juillet 2002 en une chambre composée de
Sir Nicolas BRATZA, président,
M. M. PELLONPÄÄ,
Mme E. PALM,
MM. R. TÜRMEN,
M. FISCHBACH,
J. CASADEVALL,
S. PAVLOVSCHI, juges,
et de M. M. O’BOYLE, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 21 juillet 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mme Leyla Şahin, est une ressortissante turque, née en 1973. Elle est étudiante à la faculté de médecine de l’université de Vienne. Elle est représentée devant la Cour par Mes L. Hincker et S. Yaşar, respectivement avocats à Strasbourg et Istanbul.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 26 août 1997, la requérante, alors étudiante en cinquième année à la faculté de médecine de l’université de Bursa, s’inscrivit à la faculté de médecine de l’université d’Istanbul.
A l’époque des faits, la requérante portait un foulard islamique entendant respecter une prescription coranique.
Le 23 février 1998, le rectorat de l’université d’Istanbul émit une circulaire disposant que des étudiants barbus et des étudiantes portant le foulard islamique ne pouvaient être admis à des cours, à des stages et à des travaux dirigés.
Par ailleurs, le 13 mars 1998, le Conseil de l’enseignement supérieur (Yüksek Öğretim Kurumu) publia une note d’information intitulée « Considérations juridiques au sujet de la tenue vestimentaire » portant sur les règles régissant la tenue vestimentaire dans les établissements de l’enseignement supérieur. Dans cette note, il était indiqué qu’à la lumière de la législation en la matière, de la jurisprudence qui se dégage des arrêts de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et des tribunaux administratifs, ainsi que de la Commission européenne des Droits de l’Homme, le fait que des étudiantes portent le foulard islamique dans les locaux des établissements de l’enseignement supérieur constituait une infraction tant disciplinaire que pénale.
Avant la diffusion de cette note, le 12 mars 1998, l’accès de la requérante aux épreuves écrites du cours d’« oncologie de la radiation » fut refusé par les surveillants au motif qu’elle portait le foulard islamique. Ce refus fut consigné par un notaire d’Istanbul.
Le 20 mars 1998, la requérante s’adressa au secrétariat de la chaire de traumatologie orthopédique pour son inscription administrative, laquelle fut rejetée en raison de son foulard. Cette exclusion fut également consignée par un notaire d’Istanbul.
Le 16 avril 1998, toujours pour le même motif, elle ne fut pas admise au cours de neurologie.
Le 3 juin 1998, le conseil d’administration de la faculté imposa un blâme à la requérante pour avoir porté le foulard contrairement aux règles sur les tenues universitaires.
Enfin, le 10 juin 1998, l’accès aux épreuves écrites du cours de « santé populaire » fut refusé à la requérante.
A une date non précise, la requérante abandonna ses études supérieures à la faculté de médecine de l’université d’Istanbul et, le 16 septembre 1999, elle s’inscrivit à l’université de Vienne où elle poursuit ses études supérieures.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Le statut du « foulard islamique » dans les établissements de l’enseignement supérieur
Le port du foulard islamique dans les établissements de l’enseignement supérieur est un sujet relativement récent en Turquie. D’abord, la loi n° 3511 du 10 décembre 1988 portant modification de la loi n° 2547 relative à l’enseignement supérieur contenait « une disposition provisoire relative à l’article 16 ». Cette disposition provisoire autorisait le port du foulard pour des motifs religieux dans les établissements de l’enseignement supérieur. Toutefois, par un arrêt rendu le 7 mars 1989, la Cour constitutionnelle déclara cette disposition contraire à la Constitution et l’annula. Suite à cet arrêt, le 25 octobre 1990, la loi n° 3670 fut adoptée et le principe selon lequel « la tenue est libre » fut posé. Ladite loi interdisait toutefois toute tenue contraire aux lois en vigueur. Dans son arrêt du 9 avril 1991, la Cour constitutionnelle considéra cette nouvelle disposition conforme à la Constitution.
Dans la pratique, le port du foulard était toléré dans certains établissements de l’enseignement supérieur, alors que certaines universités adoptaient une application stricte de la loi en vigueur.
2. La Constitution
L’article 24 est ainsi libellé :
« Chacun a droit à la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuse. Les prières, les rites et les cérémonies religieux sont libres à condition de ne pas violer les dispositions de l’article 14. Nul ne peut être contraint de participer à des prières ou à des cérémonies et rites religieux ni de divulguer ses croyances et ses convictions religieuses; nul ne peut être blâmé ni inculpé à cause de ses croyances ou convictions religieuses. (…)
Nul ne doit, de quelque manière que ce soit, se servir ni abuser de la religion, des sentiments religieux ou des choses considérées comme sacrées par la religion dans le but de faire reposer, fût-ce partiellement, l’ordre social, économique, politique ou juridique de l’Etat sur des préceptes religieux ou d’en retirer un profit ou une influence politiques ou personnels. »
3. La loi n° 2547 du 4 novembre 1981 relative à l’enseignement supérieur
L’article provisoire 17 de la loi n° 2547, tel qu’il a été modifié par la loi n° 3670 du 25 octobre 1990, dispose que :
« A condition de ne pas être contraire aux lois en vigueur, dans les établissements de l’enseignement supérieur, la tenue est libre ».
4. La jurisprudence constitutionnelle
Par un arrêt rendu le 7 mars 1989, publié dans le Journal officiel le 5 juillet 1989, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnelle une disposition légale autorisant le port du foulard pour des motifs religieux dans les établissements d’enseignement supérieur du fait que cette disposition était contraire au principe de laïcité énoncé dans la Constitution. D’après la Cour constitutionnelle, le principe de laïcité englobe par sa nature la neutralité et exige l’absence de l’octroi de privilège en faveur d’une religion précise. De plus, le foulard est considéré par la Cour constitutionnelle comme un signe religieux évident. Le port du foulard par les étudiants peut troubler le pluralisme et entraîner une divergence d’opinion, de conviction ou de religion entre les étudiants. Dès lors, l’autorisation de porter le foulard est de nature à perturber l’ordre dans l’établissement ainsi que l’ordre public.
La disposition provisoire relative à l’article 17 de la loi n° 2547 du 4 novembre 1981 portant sur l’enseignement supérieur a été également l’objet d’un arrêt de la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt du 9 avril 1991, celle-ci a déclaré la disposition en question conforme à la Constitution au motif qu’à la lumière de sa jurisprudence antérieure, cet article, qui interdit toute sorte de tenue vestimentaire contraire aux lois en vigueur, n’autorise pas le port du foulard pour des motifs religieux dans les établissements d’enseignement supérieur.
5. La jurisprudence des tribunaux administratifs
La requérante a produit divers arrêts rendus par le Conseil d’Etat en matière de port du foulard par les étudiantes, notamment ceux des 16 novembre 1987 (n° 1987/128) et 16 octobre 1997 (n° 1995/5366).
Il ressort du premier arrêt que le Conseil d’Etat a estimé que, nonobstant son apparence inoffensive et sa valeur coutumière, le port du foulard est devenu un signe des courants antilaïques, antirépublicains et un défi contre les libertés des femmes. Dès lors, il a confirmé l’emploi d’un blâme à l’encontre d’une étudiante portant le foulard.
GRIEFS
La requérante prétend que l’interdiction du port du foulard islamique dans les établissements de l’enseignement supérieur constitue une violation des droits et libertés énoncés aux articles 8, 9, 10 et 14 de la Convention, ainsi qu’à l’article 2 du Protocole n° 1.
1. La requérante se plaint en premier lieu d’une atteinte à son droit à la liberté de religion, au sens de l’article 9 de la Convention, dans la mesure où l’interdiction en cause emporte une restriction injustifiée à son droit de manifester sa religion. D’après elle, le port du foulard est une exigence de la religion musulmane et, de surcroît, il en constitue une pratique « généralement reconnue ».
2. La requérante se plaint par ailleurs d’une atteinte injustifiée à son droit à l’instruction, énoncé par l’article 2 du Protocole n° 1 à la Convention, du fait que l’Etat a failli à son obligation de sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif en interdisant le port du foulard dans les établissements de l’enseignement supérieur.
3. D’après la requérante, l’interdiction du port du foulard aux étudiantes constitue une discrimination prohibée par l’article 14 de la Convention, combiné avec son article 9, dans la mesure où elle impose un choix entre la religion et l’enseignement et entreprend ainsi une discrimination entre les croyants et non-croyants.
4. Sans donner de précision et se basant sur les mêmes faits, la requérante invoque enfin la violation des articles 8 et 10 de la Convention.
EN DROIT
La requérante prétend que l’interdiction du port du foulard islamique dans les établissements de l’enseignement supérieur constitue une violation des droits et libertés énoncés aux articles 8, 9, 10 et 14 de la Convention, ainsi qu’à l’article 2 du Protocole n° 1.
1. Sur l’épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D’après lui, n’ayant pas contesté la légalité de la réglementation concernant la tenue vestimentaire devant les tribunaux administratifs, la requérante ne peut pas être considérée comme ayant épuisé les voies de recours internes.
En outre, le Gouvernement soutient que la requérante aurait pu intenter un recours en annulation de la mesure disciplinaire.
La requérante s’oppose aux thèses du Gouvernement. D’après elle, vu la jurisprudence établie des tribunaux internes, notamment celles de la Cour constitutionnelle et du Conseil d’Etat en matière de port du foulard dans les établissements de l’enseignement supérieur, un recours en annulation contre l’arrêté en question et la sanction disciplinaire qui lui a été infligée ne présentait aucune chance de succès. En outre, étant donné la durée de la procédure devant les tribunaux administratifs (qui varie entre quatre et cinq ans), un recours en annulation ne constitue pas une voie de recours adéquate.
La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, par exemple, les arrêts Hentrich c. France du 22 septembre 1994, série A n° 296-A, p. 18, § 33, Remli c. France du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 571, § 33). Néanmoins, les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11–12, § 27 ; Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38).
La Cour souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, § 34). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (arrêt Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, p. 18, § 35). « Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste, non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également [notamment] du contexte juridique (…) dans lequel ils se situent (…) (voir mutatis mutandis arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1211, § 69). »
L’article 35 § 1 prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement de convaincre la Cour que le recours en question était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (voir arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 76, CEDH 1999-V).
Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour décide, au vu des circonstances de la cause et des arguments des parties, de joindre l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes au fond.
2. Sur le fond
D’après le Gouvernement, l’interdiction faite à la requérante de porter le foulard lors des cours et des travaux dirigés ne constitue pas une ingérence dans son droit à la liberté de religion, étant donné que cette mesure découlait tant des règles du droit interne en matière de tenue vestimentaire des étudiants adopté par l’université que des principes du droit international. D’après lui, il ressort de la jurisprudence des organes de Strasbourg que l’article 9 de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par une conviction et ne confère pas le droit d’invoquer ses convictions pour refuser de se soumettre à une législation dont la Convention prévoit la mise en œuvre et qui s’applique de manière générale et neutre dans le domaine public.
Le Gouvernement soutient par ailleurs que de telles règles portant sur la tenue vestimentaire appliquées dans des établissement de l’enseignement supérieur ont pour but de préserver le caractère laïque des universités. Ce principe est une garantie pour la coexistence pacifique des différentes croyances au sein de la même société ou du même établissement.
Si la Cour devait estimer que la mesure litigieuse constitue une ingérence dans le droit à la liberté de religion de la requérante, le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que celle-ci est justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention.
D’après le Gouvernement, la mesure litigieuse a une base légale, à savoir la circulaire de l’université d’Istanbul du 12 février 1998. Les buts poursuivis sont indéniablement légitimes et figurent parmi ceux énoncés au second paragraphe de l’article 9 de la Convention. L’interdiction du port du foulard islamique par la requérante est motivée par le principe de la neutralité confessionnelle de l’école et, dans une perspective plus large, de la paix religieuse.
Par ailleurs, le Gouvernement explique que l’interdiction incriminée se fonde sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt du 7 mars 1989, cette dernière a justifié cette mesure entre autres par la neutralité de l’enseignement public. La mesure incriminée est également proportionnée aux buts poursuivis, étant donné que les autorités de l’université ont d’abord infligé un blâme à la requérante et que, par la suite, selon ses dires, l’accès aux cours lui a été interdit jusqu’à ce qu’elle accepte de se conformer aux règles en matière de tenue vestimentaire à l’université.
Enfin, le Gouvernement précise que l’interdiction est nécessaire dans une société démocratique, dans la mesure où, en choisissant de faire ses études à l’université, la requérante a librement accepté les exigences liées aux principes de laïcité, condition sine qua non du principe de neutralité confessionnelle de l’université. D’après lui, les mesures n’ont pas dépassé la marge d’appréciation reconnue par la jurisprudence de la Cour. L’obligation du respect du principe de laïcité imposée aux étudiants de l’université doit être considérée comme étant conforme aux restrictions prévues au deuxième paragraphe de l’article 9 de la Convention.
La requérante conteste les thèses du Gouvernement et soutient que la mesure litigieuse constitue une ingérence manifeste dans son droit à la liberté de religion, dans la mesure où, en portant le foulard, elle entend respecter une prescription coranique enjoignant aux femmes « de ramener leurs voiles sur elle » devant les adultes de sexe masculin et pubères. Elle prétend que l’enseignement public doit respecter cette pratique reconnue. D’après elle, le fait de porter le foulard dans les établissements de l’enseignement supérieur ne trouble absolument pas la paix confessionnelle régnant dans ces établissements. Par ailleurs, le fait qu’elle soit voilée n’a jamais provoqué le moindre problème et les autorités de l’université doivent tolérer le port du foulard comme faisant partie du pluralisme confessionnel.
Se référant aux arrêts des tribunaux turcs, la requérante soutient que ceux-ci ont adopté une approche idéologique face à une prescription religieuse. D’après elle, le principe de laïcité ne justifie point des restrictions apportées aux droits fondamentaux ; pour renforcer sa thèse, elle se réfère aux arrêts du Conseil d’Etat français rendu au même sujet. En outre, elle explique qu’en Turquie, il n’existe aucun établissement de l’enseignement supérieur qui ne dépende du Conseil de l’enseignement supérieur et qui, dès lors, échappe à cette interdiction.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Michael O’BOYLE Nicolas BRATZA
Greffier Président
Autore:
Corte Europea dei Diritti dell'Uomo
Dossier:
C.E.D.U. - Strasburgo
Parole chiave:
Confessioni religiose, Cimiteri e sepolture
Natura:
Decisione