Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 14 Ottobre 2004

Decisione 05 dicembre 2002, n.53871/00

53871/00
05/12/2002 Corte Decisione Irricevibile 245
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 53871/00
présentée par ISLAMISCHE RELIGIONSGEMEINSCHAFT e.V. contre l’Allemagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 5 décembre 2002 en une chambre composée de
M. I. CABRAL BARRETO, président,
M. G. RESS,
M. P. KURIS,
M. B. ZUPANCIC,
M. J. HEDIGAN,
Mme M. TSATSA-NIKOLOVSKA,
M. K. TRAJA, juges,
et de M. V. BERGER, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 18 octobre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT
La requérante, Islamische Religiongemeinschaft e.V., est une association à but religieux, dont le siège se trouve à Berlin. Elle est représentée devant la Cour par Mes H. Reckschmidt et J.M. Schödler, avocats à Berlin.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
1. La genèse de l’affaire
La requérante a été créée en février l’année 1990 en République démocratique allemande (RDA) par des citoyens de confession islamique.
Le 1er mars 1990, elle obtint l’agrément de l’Etat en tant qu’association religieuse dotée de la personnalité morale (rechtsfähig).
Le 25 mai 1990, la présidence de la direction (Präsidium des Parteivorstands) du Parti du socialisme démocratique (Partei des demokratischen Sozialismus – PDS) décida de faire un don (Spende) à hauteur de 75 millions de Marks de la RDA à la requérante, suite à la demande de cette dernière en ce sens.
Le 31 mai 1990, le président de la requérante reçut un chèque de ce montant.
Le 6 juin 1990, il présenta le chèque à la banque de la requérante, qui crédita le compte de cette dernière le même jour.
2. La procédure devant les autorités et juridictions de la RFA
Par une lettre du 17 avril 1991, la commission indépendante pour la vérification du patrimoine des partis et organisations de masse en RDA (Unabhängige Kommission zur Prüfung des Vermögens der Parteien und Massenorganisationen in der DDR) constata que le don en question constituait un patrimoine relevant de l’article 20a § 2 de la loi du 21 février 1990 sur les partis et autres associations politiques, aussi appelée loi sur les partis (Gesetz über Parteien und andere politische Vereinigungen / Parteiengesetz), dans la version de la loi du 31 mai 1990 sur la modification de la loi sur les partis (Gesetz zur Änderung des Parteiengesetzes) (voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous). Ce patrimoine était donc soumis à l’administration de l’établissement fiduciaire (Treuhandanstalt).

Elle considéra également que cette manière de disposer illégalement du patrimoine du PDS, sans le consentement de l’établissement fiduciaire en méconnaissance de l’article 20b § 1 de la loi sur les partis, était en réalité une transaction fictive (Scheingeschäft), destinée à permettre au président de l’association requérante, un proche du PDS, de conserver la somme litigieuse.
a. Les décisions de l’Office fédéral pour les tâches spéciales liées à la réunification allemande des 14 janvier et 13 avril 1992
Par une décision du 14 janvier 1992, l’Office fédéral pour les tâches spéciales liées à la réunification allemande (Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben), « l’Office fédéral », considéra que la somme (reconvertie) de 37,5 millions de Marks allemands (DM), y compris les intérêts, figurant sur le compte bancaire de la requérante, était un patrimoine soumis à l’administration de l’établissement fiduciaire, et qu’il ne pouvait en être disposé qu’avec le consentement de cette dernière en vertu de l’article 20b § 1 de la loi sur les partis.
Or d’après l’Office fédéral, la somme en question faisait partie du patrimoine du PDS, qui était soumis à l’administration de l’établissement fiduciaire à compter du 1er juin 1990, conformément à l’article 20 § 2 de la loi sur les partis. Etant donné que la somme en question n’avait été créditée sur le compte bancaire de la requérante qu’après le 1er juin 1990, cette modification de patrimoine aurait dû être soumise à l’autorisation de l’établissement fiduciaire, conformément à l’article 20b § 1 de la loi sur les partis, ce qui n’aurait pas été le cas.
Le 5 février 1992, la requérante fit opposition contre cette décision, au motif notamment que le versement du don était devenu effectif par la remise du chèque le 31 mai 1990 – conformément à l’article 76 § 1 du code civil de la RDA (Zivilgesetzbuch DDR) – et que ce don avait dès lors agrandi son patrimoine dès cette date.
Par une décision du 13 avril 1992, l’Office fédéral rejeta l’opposition.
b. Le jugement du tribunal administratif de Berlin du 9 mai 1994
La requérante saisit alors le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Berlin afin qu’il annule les décisions de l’Office fédéral, au motif notamment qu’elle n’était pas une organisation liée au PDS, mais une association religieuse qui devait bénéficier de la protection de la Loi fondamentale (Grundgesetz).
Par un jugement du 9 mai 1994, le tribunal administratif de Berlin fit entièrement droit à sa demande.
D’après le tribunal administratif, les conditions d’application de l’article 20b de la loi sur les partis n’étaient pas réunies. La requérante n’était ni une personne morale ni une organisation liée au PDS, et l’administration de l’établissement fiduciaire ne s’étendait pas à des valeurs patrimoniales qui – même s’il s’agissait d’accords contractuels non valables (unwirksam) – étaient passées dans le pouvoir de disposition (Verfügungsgewalt) de tiers. Par ailleurs, il n’était pas établi que la création de la requérante poursuivait d’autres buts que ceux énoncés dans ses statuts.
c. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Berlin du 22 novembre 1996
L’Office fédéral interjeta appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel (Oberverwaltungsgericht) de Berlin.
Par un arrêt du 22 novembre 1996, la cour administrative d’appel de Berlin rejeta l’appel et confirma le jugement du tribunal administratif de Berlin.
D’après la cour administrative d’appel, la décision litigieuse de l’Office fédéral manquait de base légale, car la requérante n’était ni une personne morale ni une organisation liée au PDS. Même si les circonstances de sa création ainsi que celles entourant le versement du don en question demeuraient à certains égards douteuses, il n’y avait pas en l’espèce suffisamment d’éléments démontrant l’existence d’un lien entre la requérante et le PDS.
La cour administrative d’appel ajouta qu’en vertu de l’article 76 § 2 du code civil de la RDA, le pouvoir de disposer de la somme litigieuse n’était devenu effectif qu’au moment où celle-ci avait été créditée sur le compte bancaire de la requérante. Il est vrai qu’au moment de l’entrée en vigueur de la loi sur les partis le 1er juin 1990, la somme litigieuse faisait encore partie du patrimoine du PDS. Cependant, cela ne justifiait pas les agissements de l’Office fédéral, car celui-ci ne pouvait obtenir des dommages intérêts de tiers que par la voie civile. Il ne pouvait exercer ses prérogatives de puissance publique par la voie administrative qu’à l’encontre du cercle de personnes morales désignées à l’article 20b de la loi sur les partis.
d. L’arrêt de la Cour administrative fédérale du 10 décembre 1998
L’Office fédéral fit alors un recours en révision devant la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltunsggericht).
Par un arrêt du 10 décembre 1998, la Cour administrative fédérale fit droit au recours de l’Office fédéral et annula l’arrêt de la cour administrative d’appel, au motif qu’elle méconnaissait le droit fédéral (Bundesrecht).
D’après la Cour administrative fédérale, l’Office fédéral avait valablement pu constater qu’en vertu de l’article 20b § 2 de la loi sur les partis, le don versé sur le compte bancaire de la requérante était soumis à l’administration de l’établissement fiduciaire.
Elle estima, d’une part, que la somme litigieuse figurait bien dans le patrimoine du PDS à la date clé du 7 octobre 1989 et que, d’autre part, l’administration de l’établissement fiduciaire prévue à l’article 20b § 2 de la loi sur les partis pouvait s’étendre à des tiers autres que ceux désignés dans cette disposition.
Sur le premier point, la Cour administrative fédérale se référa à sa propre décision du 7 novembre 1997, et rappela que la modification du patrimoine ne prenait pas effet le jour de la remise du chèque, mais uniquement le jour où la somme y figurant était créditée sur le compte bancaire. En l’espèce, cela n’était intervenu que le 6 juin 1990, soit après le 1er juin 1990, date d’entrée en vigueur de la loi modifiant la loi sur les partis soumettant la somme litigieuse à l’administration de l’établissement fiduciaire.
La Cour administrative fédérale considéra ensuite que la somme litigieuse n’avait pas non plus disparu du patrimoine du PDS parce qu’en raison du virement, la créance du PDS à l’encontre de sa banque s’était transformée en une créance de la requérante à l’encontre de sa propre banque, et que la somme litigieuse figurait sur un compte sur lequel se trouvait déjà un avoir de la requérante. A cet égard, elle rappela que l’objectif de l’article 20b § 2 de la loi sur les partis était, conformément à sa propre jurisprudence, de préserver les avoirs des partis acquis d’une manière contraire à l’Etat de droit (rechtsstaatswidrig), afin de les restituer aux anciens ayants droit ou de les utiliser à des fins d’utilité publique. L’article 20b § 2 de la loi sur les partis devait dès lors être interprétée selon des critères économiques (wirtschaftliche Kriterien), ce qui signifiait que l’administration fiduciaire d’argent liquide ou d’argent se trouvant sur un compte bancaire ne s’éteignait pas en raison de simples opérations civiles, mais continuait à exister aussi longtemps que la somme litigieuse pouvait encore être suffisamment individualisée pour être attribuée au parti concerné, comme c’était le cas en l’espèce.
Sur le second point, la Cour administrative fédérale considéra que le pouvoir d’administration de l’Office fédéral n’était pas un pouvoir d’administration fiduciaire au sens classique du terme, mais lui permettait de faire valoir ses pouvoirs souverains d’administration et de disposition (hoheitliche Verwaltungs-und Verfügungsbefugnisse) à l’encontre de quiconque sous forme d’un acte administratif déclaratoire (feststellender Verwaltungsakt). En effet, en vertu de l’article 20b § 2 de la loi sur les partis, l’activité de l’établissement fiduciaire ne visait pas la défense des intérêts bien compris du parti ou de l’organisation liée. Au contraire, l’établissement fiduciaire devait s’assurer, après avoir mis le patrimoine à l’abri, que ce dernier était restitué aux anciens ayants droit à des fins de réparation (Wiedergutmachung) ou – si cela s’avérait impossible – utilisé à des fins d’utilité publique. Ce n’était que dans le cas où ce patrimoine avait été acquis d’une manière conforme à l’Etat de droit qu’il devait être restitué au parti ou à l’organisation liée. Les pouvoirs souverains attribués à l’Office fédéral comprenaient dès lors également le droit de les établir à l’encontre de tiers par le biais d’un acte administratif.

e. La décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 21 avril 1999
La requérante saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d’un recours constitutionnel.
Par une décision du 21 avril 1999, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, refusa d’examiner le recours.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
La loi du 31 mai 1990 sur la modification de la loi sur les partis (Gesetz zur Änderung des Parteiengesetzes), à savoir de la loi du 21 février 1990 sur les partis et autres associations politiques, aussi appelée loi sur les partis (Gesetz über Parteien und andere politische Vereinigungen / Parteiengesetz) de la RDA, est entrée en vigueur le 1er juin 1990.
L’article 20a § 1 de ladite loi prévoit que le Président du Comité des ministres (Ministerpräsident) désigne une commission indépendante, qui émet un rapport sur les valeurs patrimoniales (Vermögenswerte) de tous les partis et organisations liées, des personnes morales et des organisations de masse de la RDA sur le territoire de la RDA et à l’étranger.
En vertu de l’article 20a § 2, les partis et organisations liées, les personnes morales et les organisations de masse doivent notamment remettre à cette commission un aperçu de l’ensemble de leur patrimoine existant au 7 octobre 1989 et des modifications effectuées depuis cette date.
L’article 20b § 1 prévoit que dès l’entrée en vigueur de cette loi, toute modification de leur patrimoine ne peut intervenir qu’avec l’accord du président de la commission indépendante.
L’article 20b § 2 est ainsi rédigé :
« Afin d’assurer la préservation des valeurs patrimoniales des partis ou des organisations liées, personnes morales et organisations de masse, le patrimoine des partis et des organisations liées, des personnes morales et des organisations de masse, qui a existé au 7 octobre 1989 ou qui a remplacé ce patrimoine depuis cette date, est soumis à l’administration fiduciaire. »
(« Zur Sicherung von Vermögenswerten von Parteien oder ihnen verbundenen Organisationen, juristischen Personen und Massenorganisationen wird das Vermögen der Parteien un der ihnen verbundenen Organisationen, juristischen Personen und Massenorganisationen, das am 7. Oktober 1989 bestanden oder seither an die Stelle dieses Vermögens getreten ist, unter treuhänderische Verwaltung gestellt. »)

GRIEFS
La requérante soutient que la décision des autorités et juridictions allemandes de placer le don d’un montant de 37,5 millions de DM, qu’elle avait reçu du Parti du socialisme démocratique, sous l’administration de l’établissement fiduciaire, a méconnu son droit au respect de ses biens, garanti à l’article 1 du Protocole no 1. Elle invoque aussi l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no1.
Elle soutient ensuite que la décision litigieuse a porté atteinte à l’exercice de la liberté de religion, garanti à l’article 9 de la Convention. Elle invoque aussi l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9.
EN DROIT
1. La requérante soutient que la décision des autorités et juridictions allemandes de placer le don d’un montant de 37,5 millions de DM, qu’elle avait reçu du Parti du socialisme démocratique, sous l’administration de l’établissement fiduciaire, a méconnu son droit au respect de ses biens, garanti à l’article 1 du Protocole no 1, ainsi rédigé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
La requérante se réfère aux décisions du tribunal administratif et de la cour d’appel administrative de Berlin, qui ont estimé que l’établissement fiduciaire ne pouvait disposer que du patrimoine de partis ou d’organisations liées désignées dans l’article 20b § 2 de la loi sur les partis. Or elle ne pourrait aucunement être considérée comme une organisation liée au PDS. D’après elle, la Cour administrative fédérale, en étendant les pouvoirs de l’établissement fiduciaire, a interprété cette disposition de manière erronée. La requérante estime par ailleurs qu’elle était le propriétaire légitime de la somme litigieuse, car le transfert du patrimoine était intervenu le 31 mai 1990, date de la remise du chèque à son président, conformément à l’article 282 § 1 du code civil de la RDA. A l’appui de sa thèse, elle soumet à la Cour l’expertise juridique de M. M. Posch, professeur de droit à l’université de Iéna.
La Cour rappelle que « l’article 1 garantit en substance le droit de propriété (…). Il contient « trois normes distinctes » : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires à cette fin (…). Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (…) » (voir, parmi beaucoup d’autres, Döring c. Allemagne (déc.), no 37595/97, CEDH 1999-VIII, Schmelzer
c. Allemagne (déc.), no 45176, 12.12.2000, et Honecker, Axen, Teubner et Jossifov c. Allemagne (déc.), nos 53991/00et 54999/00, CEDH 2001-XII).
Par ailleurs, d’après la jurisprudence constante des organes de la Convention, la notion de « biens » contenue à l’article 1 du Protocole no 1 peut recouvrir tant des « biens actuels » (Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48) que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (voir Pine Valley Developments Limited et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51, Pressos Compania Naviera S.A. c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, § 31, et Malhous c. République tchèque (déc.), [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII).
En l’espèce, la Cour relève que le placement sous l’administration fiduciaire du don que la requérante avait reçu du PDS a constitué une ingérence dans la jouissance de son droit au respect de ses biens, protégé par la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1.
Il y a lieu d’abord de déterminer si le texte applicable en l’espèce est la seconde phrase du premier alinéa ou le second alinéa.
La saisie des avoirs de la requérantes entraînait, il est vrai, une privation de propriété ; toutefois, en l’occurrence, celle-ci s’inscrivait dans le cadre de la réglementation générale, mise en place en RDA au cours de la période précédant la réunification, visant à vérifier la provenance des avoirs appartenant aux partis politiques et organisation liées.
D’après la Cour, l’ingérence litigieuse s’analyse dès lors en une mesure de réglementation de l’usage des biens, à examiner sous l’angle du second alinéa de l’article 1 du Protocole no1 (voir Agosi c. Royaume-Uni, arrêt du 24 octobre 1986, série A no 108, p. 17, § 51, et Raimondo c. Italie, arrêt du 22 février 1994, série A no 281-A, p. 16, § 29).
Quant à la légalité de l’ingérence, la Cour relève tout d’abord que la mesure litigieuse était fondée sur la loi de la RDA sur les partis, dans la version de la loi modifiant la loi sur les partis, entrée en vigueur le 1er juin 1990. D’après l’article 20b § 2 de cette loi, le patrimoine des partis et des organisations liées, qui existait au 7 octobre 1989 ou qui a remplacé ce patrimoine depuis cette date, est soumis à l’administration de l’établissement fiduciaire, afin d’assurer la préservation des valeurs patrimoniales des partis ou des organisations liées.
Dans son arrêt du 10 décembre 1998, la Cour administrative fédérale, la plus haute juridiction administrative, a interprété et appliqué la disposition en question au cas d’espèce, en considérant que le don versé par le PDS à la requérante tombait dans le champ d’application de celle-ci.
Or la Cour considère que cette interprétation n’était pas arbitraire, et elle rappelle à cet égard qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, CEDH 2001-II, § 49).
En ce qui concerne la finalité de l’ingérence, la Cour estime qu’en l’espèce, l’ingérence poursuivait un but d’intérêt général : il paraissait en effet légitime pour le législateur en RDA, après des élections démocratiques, puis pour les tribunaux de la RFA, après la réunification, pour des exigences de moralité publique, de procéder à la vérification de la provenance des avoirs des partis et de les placer le cas échéant sous l’administration de l’établissement fiduciaire.
Enfin, la Cour doit se pencher sur la proportionnalité de l’ingérence.
A cet égard, elle rappelle que le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article. La Cour a dégagé de celle-ci la condition qu’une mesure d’ingérence ménage un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, entre autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69, et James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, p. 34, § 50). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (arrêt Tre Traktörer précité, p. 23, § 59). Ce faisant, elle reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en oeuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (voir l’arrêt Agosi précité, p. 18, § 52 et la décision Honecker, Axen, Teubner et Jossifov précitée).

En l’espèce, la Cour administrative fédérale a d’abord considéré qu’en vertu de l’article 76 § 2 du code civil de la RDA, le transfert de propriété n’était pas devenu effectif le 31 mai 1990, date de la remise du chèque par la direction du PDS au président de l’association requérante, mais uniquement le 6 juin 1990, date à laquelle la somme litigieuse figurant sur le chèque a effectivement été créditée sur le compte bancaire de la requérante. Or la loi modifiant la loi sur les partis étant entrée en vigueur le 1er juin 1990, la somme litigieuse relevant du patrimoine du PDS tombait dans le champ d’application de l’article 20b § 2 de la loi sur les partis.
La Cour administrative fédérale a estimé ensuite qu’à la lumière des objectifs de la loi sur les partis, qui étaient de préserver les avoirs des partis et organisations liées acquis d’une manière contraire à l’Etat de droit, afin de les redistribuer aux anciens ayants droit ou de les utiliser à des fins d’utilité publique, ainsi que de sa propre jurisprudence en la matière, l’établissement fiduciaire pouvait exercer ses pouvoirs souverains par la voie administrative à l’encontre de tiers autres que ceux désignés dans la loi sur les partis.
Même si la requérante n’était pas une organisation liée au PDS, la Cour estime fondé le raisonnement de la Cour administrative fédérale quant aux pouvoirs souverains accordés à l’établissement fiduciaire à la lumière des objectifs de la loi de la RDA sur les partis. Il s’agissait en effet de veiller à ce que les avoirs des partis, dont la provenance était douteuse, ne soient pas dilapidés, mais placés sous l’administration fiduciaire afin d’être restitués aux anciens ayants droit à des fins de réparation ou – si cela s’avérait impossible – d’être utilisés à des fins d’utilité publique.
Compte tenu de tous ces éléments, et notamment des circonstances exceptionnelles liées à la réunification allemande, la Cour estime que l’Etat défendeur n’a pas excédé sa marge d’appréciation et qu’il n’a pas manqué, eu égard aux objectifs légitimes poursuivis, de ménager un « juste équilibre » entre les intérêts de la requérante et l’intérêt général de la société allemande.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

2. La requérante invoque aussi l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. L’article 14 est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La requérante rappelle qu’à l’instar du dernier gouvernement de la RDA, le PDS avait souhaité répartir son patrimoine en soutenant des activités dans des domaines étatiques, sociaux, économiques ou culturels qui avaient été consciemment ou inconsciemment négligées par le régime du SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – Parti socialiste unifié). Ce soutien comprenait également le versement de fonds à des associations religieuses, la liberté de culte ayant été considérablement entravée sous l’ancien régime. Ainsi la fondation Centrum Judaicum aurait obtenu le versement d’un don de 70 millions de Marks de la RDA, d’autres association juives auraient également obtenu des dons, et l’université Humboldt de Berlin aurait bénéficié d’un versement de 250 millions de Marks de la RDA. Or, à sa connaissance, aucune saisie n’aurait été opérée sur des dons versées à d’autres associations ou institutions.
La Cour rappelle que d’après sa jurisprudence constante, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour “la jouissance des droits et libertés” qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’emprise de l’une au moins desdites clauses (voir notamment Gaygusuz c. Autriche, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1141, § 36, et Kuna c. Allemagne (déc.), no 52449/99, CEDH 2001-V).
Compte tenu du raisonnement suivi sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour estime qu’aucune question séparée ne se pose sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3. La requérante soutient ensuite que la décision litigieuse des autorités et juridictions allemandes a porté atteinte à l’exercice de sa liberté de religion, garanti à l’article 9 de la Convention, ainsi rédigé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La requérante affirme que le don en question devait servir à l’établissement d’une communauté islamique à buts pacifiques sur le territoire de la RDA, domaine qui relève de la liberté de manifester sa religion ou ses convictions religieuses, et de la protection des communautés religieuses garantie par la Convention. Le don devait notamment servir à la construction d’un centre culturel islamique. Or d’après l’association requérante, la saisie illégale de la quasi-totalité de ses fonds démontrerait que le gouvernement avait délibérément cherché à entraver le développement d’une telle communauté islamique.
La Cour rappelle que la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société (voir notamment Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 60, CEDH 2000-XI, et Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Roumanie, no 45701/99,
§ 114,CEDH 2001-XII).
La Cour a des doutes quant à l’existence, en l’espèce, d’une ingérence dans l’exercice de la liberté de religion, car, contrairement à d’autres affaires dont elle a eu à connaître, la décision litigieuse des autorités et juridictions allemandes n’avait trait ni à l’organisation interne de l’association requérante, ni à sa reconnaissance officielle par l’Etat, puisqu’elle avait justement obtenu l’agrément de ce dernier en mars 1990. De plus, aucun élément dans leur décision ne permet de conclure qu’elles aient délibérément cherché à entraver l’activité religieuse de la requérante.
En effet, la décision litigieuse s’inscrivait dans le cadre de la réglementation générale, mise en place en RDA au cours de la période précédant la réunification, et visant à vérifier la provenance des avoirs appartenant aux partis politiques et organisation liées, quels que soient les destinataires de ces fonds.
De toute façon, la Cour n’est pas appelée en l’espèce à se prononcer sur la nature de la décision litigieuse au regard de l’article 9.
En effet, elle relève que la décision litigieuse était prévue par la loi – elle reposait sur l’article 20b § 2 de la loi de la RDA sur les partis – et elle poursuivait les buts légitimes de protection de la morale publique et des droits et libertés d’autrui.
Or à l’instar de son raisonnement suivi sur le terrain de l’article 1 du Protocole no1, la Cour estime que la décision litigieuse n’était pas disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis par la loi sur les partis.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

4. La requérante prétend enfin qu’elle est victime d’une discrimination religieuse, contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9. L’article 14 est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
La requérante reprend ses arguments développés à l’appui de son grief relatif à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, et considère que la saisie opérée à son encontre a constitué une discrimination flagrante notamment par rapport aux associations religieuses juives. Elle s’estime donc victime d’une politique anti-islamique délibérée.
Eu égard au raisonnement suivi sur le terrain de l’article 9 de la Convention, la Cour estime qu’aucune question séparée ne se pose sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9.
Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Vincent BERGER Ireneu CABRAL BARRETO
Greffier Président