Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 10 Marzo 2004

Decisione 03 maggio 1993, n.16278/90

COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME. Décision sur la recevabilite de la requête No 16278/90 présentée par Senay KARADUMAN contre la Turquie.

STRASBOURG
3 mai 1993

La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en chambre du conseil le 3 mai 1993 en présence de:

MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
M.A. NOWICKI
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

Vu l’article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales;

Vu la requête introduite le 9 mars 1989 par Senay KARADUMAN contre la Turquie et enregistrée le 8 mars 1990 sous le No de dossier 16278/90;

Vu la décision de la Commission, en date du 14 janvier 1992, de communiquer la requête;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 27 mars 1992 et les observations en réponse présentées par la
requérante le 14 mai 1992;

Vu le rapport prévu à l’article 47 du Règlement intérieur de la Commission;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante:

EN FAIT

La requérante, ressortissante turque, née en 1966, a une licence en pharmacie et réside à Bursa (Turquie).

Les faits, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La requérante, ayant terminé ses études universitaires à la faculté de pharmacie d’Ankara, demanda au service de la scolarité de
l’université de lui fournir un certificat provisoire attestant qu’elle avait obtenu la licence. Elle fournit une photo d’identité sur laquelle elle portait un foulard sur la tête. Par lettre du 28 juillet 1988, le doyen de la faculté informa la requérante qu’il refusait de lui délivrer le certificat en question, la photo d’identité produite par la requérante n’étant pas conforme au règlement disciplinaire de l’université et à la circulaire du 30 décembre 1982 du haut conseil de l’enseignement supérieur. Le doyen précisa qu’il était prêt à fournir le certificat demandé à condition que la requérante produise une photo d’identité conforme au règlement.

Le 19 septembre 1988, la requérante introduisit devant le tribunal administratif d’Ankara un recours en annulation de la décision administrative du 28 juillet 1988. Elle allégua, entre autres, une atteinte à son droit à la liberté de religion et à la liberté de manifester sa religion, tel que garanti par la Constitution turque et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Par jugement du 9 mars 1989, le tribunal administratif d’Ankara rejeta le recours de la requérante pour deux motifs.

Il constata, d’une part, que l’article 29 du règlement de l’université d’Ankara sur l’enseignement portant sur la préparation des diplômes, prévoyait qu’une photo d’identité prise conformément aux “règles de tenues” de l’université soit apposée sur le diplôme. Le tribunal observa, d’autre part, que la circulaire émise le 30 décembre 1982 par le haut conseil de l’enseignement supérieur à propos des tenues vestimentaires des étudiants de l’université, prévoyait que les étudiants devaient porter des vêtements propres, simples, bien repassés, qu’ils ne devaient rien porter sur la tête et qu’ils devaient être bien coiffés. Le tribunal, compte tenu des dispositions des deux actes réglementaires, estima que la requérante devait produire une photo d’identité conforme à la tenue décrite ci-dessus.

D’autre part, le tribunal constata que sur la photo d’identité en cause, la requérante était coiffée d’un foulard qui encadrait le visage de la requérante au niveau du front, des oreilles et de la mâchoire inférieure et que, dès lors, cette photo ne pouvait suffire à déterminer l’identité de l’étudiante.

Le 25 avril 1989, la requérante attaqua ce jugement devant le Conseil d’Etat. Elle invoqua entre autres l’inapplicabilité des règlements invoqués par le tribunal administratif pour rejeter son recours et allégua également une violation de son droit à la liberté de religion, tel que présenté devant la première instance. Elle fit valoir également que sa carte d’identité, son passeport et son permis de conduire comportaient une photo sur laquelle elle était coiffée d’un foulard.

La défense de l’administration (de l’université d’Ankara) se fondait sur les dispositions du circulaire du 30 décembre 1982 interdisant le port du foulard islamique dans les universités.

Par arrêt du 16 octobre 1989, le Conseil d’Etat confirma, à la majorité, le jugement du 9 mars 1989. Elle considéra, à la lumière de sa jurisprudence établie, que l’acte administratif attaqué par la requérante était conforme au règlement intérieur de l’université concernant la tenue vestimentaire des étudiants.

Entre-temps, par arrêt rendu le 7 mars 1989 et publié dans le Journal Officiel le 5 juillet 1989, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnelle une disposition légale autorisant le port du foulard dans les établissements d’enseignement supérieurs au motif que cette disposition était contraire au principe de laïcité énoncé dans la Constitution.

Deux conseillers d’Etat indiquèrent dans leur opinion dissidente que le refus opposé par l’université était entaché de nullité du fait qu’aucune disposition réglementaire ‘apportait expressément une description de la photo à apposer sur le diplôme.

GRIEFS

Devant la Commission, la requérante se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, contrairement à l’article 9 de la Convention, dans la mesure où son diplôme ne lui a pas été délivré pendant deux ans faute d’avoir fourni une photo d’identité à tête nue alors que cette tenue était contraire à la manifestation de ses convictions religieuses.

La requérante se plaint également d’une discrimination faite par les autorités administratives entre les étudiantes de nationalité étrangère et celles de nationalité turque. Elle prétend que les ressortissantes étrangères bénéficient d’une liberté totale de tenue vestimentaire dans les universités turques alors que les étudiantes turques subissent les restrictions mentionnées ci-dessus et portant atteinte à leur liberté de religion. Elle invoque à cet égard l’article
14 de la Convention.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La présente requête a été introduite le 9 mars 1989 et enregistrée le 8 mars 1990.

Le 14 janvier 1992, la Commission, en application de l’article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l’inviter à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci. Le Gouvernement a présenté ses observations le 27 mars 1992 et la requérante y a répondu le 14 mai 1992.

EN DROIT

La requérante se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté de religion et de conscience, étant donné que la tenue qu’on exige d’elle pour la photo d’identité à apposer sur son diplôme d’université est contraire à ses convinctions religieuses. Elle invoque à cet égard l’article 9 de la Convention.

L’article 9, par. 1, de la Convention reconnaet à toute personne le “droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par la culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites”.

Le Gouvernement soutient en premier lieu que le refus dont se plaint la requérante ne constitue pas une ingérence dans sa liberté de religion et de culte. Il estime que le fait d’avoir la tête non couverte dans les locaux des universités ainsi que le fait de fournir une photo d’identité à tête nue afin de se conformer aux règles disciplinaires de l’université n’empêche pas la personne de pratiquer sa religion.

Le Gouvernement défendeur soutient en deuxième lieu que l’obligation du respect du principe de laïcité imposée aux étudiants de l’université doit être considérée comme étant conforme aux restrictions prévues au par. 2 de l’article 9 de la Convention. Il fait observer que la Cour constitutionnelle turque, par arrêt du 7 mars 1989, a déclaré inconstitutionnelle une disposition légale permettant le port du foulard dans les établissements d’enseignement supérieur au motif que cette disposition était contraire au principe de laïcité. La Cour constitutionnelle a précisé, ajoute le Gouvernement défendeur, que le port du foulard islamique pouvait conduire à prétendre que les femmes qui n’en portent pas sont des athées, et ainsi faire na”tre des conflits dans la société.

En revanche, la requérante fait observer que, bien qu’elle ait terminé avec succès ses études universitaires il y a cinq ans, elle ne peut toujours pas obtenir son diplôme pour n’avoir pas fourni une photo d’identité sur laquelle elle doit appara”re la tête non couverte. Elle soutient que l’acte de couvrir sa tête par un foulard fait partie des rites et des pratiques prévues par la religion.

La requérante soutient en outre que le refus de l’université de lui fournir son diplôme constitue une ingérence dans sa liberté de religion et de conviction, qui ne peut être justifiée par le respect du principe de laïcité. Elle fait une distinction entre le principe de laïcité et la tenue vestimentaire. Elle soutient que la laïcité fait partie des principes politiques d’un modèle gouvernemental. Le fait de porter individuellement le foulard ou le turban islamique ne correspond qu’à l’accomplissement d’une pratique religieuse et n’enfreint pas la laïcité de l’Etat.

La Commission rappelle que l’article 9 de la Convention protège expressément “le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites” d’une religion ou d’une croyance.

La Commission a déjà décidé que l’article 9 de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par cette conviction. Notamment, le terme “pratiques”, au sens de l’article 9, par. 1, ne désigne pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction (cfr. nº 7050/75 Arrowsmith c/ Royaume Uni, rapport Comm. par. 71, D.R. 19 p. 5 et nº 10358/83, déc. du 15.12.83, D.R. 37 p. 142).

Pour savoir si cette disposition a été méconnue en l’espèce, il faut d’abord rechercher si la mesure litigieuse constituait une ingérence dans l’exercice de la liberté de religion.

La Commission observe que les règles applicables aux photos d’identité à utiliser pour apposer sur les diplômes, bien que ne concernant pas directement les règles disciplinaires régissant la vie quotidienne dans les universités, font cependant partie des règles universitaires établies dans le but de préserver la nature “républicaine”, donc “laïque”, de l’université ainsi que l’ont constaté les juridictions nationales ayant statué en l’espèce.

La Commission est d’avis qu’en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire. Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. Notamment, dans les pays où la grande majorité de la population adhère à une religion précise, la manifestation des rites et des symboles de cette religion, sans restriction de lieu et de forme, peut constituer une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas ladite religion ou sur ceux adhérant à une autre religion. Les universités laïques, lorsqu’elles établissent les règles disciplinaires concernant la tenue vestimentaire des étudiants, peuvent veiller à ce que certains courants fondamentalistes religieux ne troublent pas l’ordre public dans l’enseignement supérieur et ne portent pas atteinte aux croyances d’autrui.

La Commission note que dans la présente affaire, le règlement de l’université concernant la tenue vestimentaire impose aux étudiants, entre autres, d’avoir la tête non couverte par un foulard. La Commission prend également en considération les observations de la Cour institutionnelle turque qui estime que le port de foulard islamique dans les universités turques peut constituer un défi à l’égard de ceux qui ne le portent pas.

La Commission rappelle qu’elle avait estimé compatible avec la liberté de religion, protégée par l’article 9 de la Convention, l’obligation imposée à un enseignant de respecter les heures de travail qui correspondaient, selon lui, à ses heures de prière (nº 8160/78, X. c/ Royaue-Uni, déc. 12.3.81, D.R. 22 p. 27). Il en est de même pour ce qui est de l’obligation faite à un motocycliste de porter un casque qui était, selon lui, en conflit avec ses devoirs religieux (nº 7992/77, X. c/ Royaume-Uni, déc. du 12.7.78, D.R. 14 p. 234). La Commission considère que le statut d’étudiant dans une université laïque implique, par nature, la soumission à certaines règles de conduite établies afin d’assurer le respect des droits et libertés d’autrui. Le règlement d’une université laïque peut prévoir également que le diplôme qu’on fournit aux étudiants ne reflète en aucune manière l’identité d’un mouvement s’inspirant d’une religion et auquel peuvent participer ces étudiants.

La Commission est d’avis également qu’un diplôme universitaire a pour but d’attester des capacités professionnelles d’un étudiant et ne constitue pas un document destiné à l’attention du grand public. La photo apposée sur un diplôme a pour fonction d’assurer l’identification de l’intéressé et ne peut être utilisée par celui-ci afin de manifester ses convictions religieuses.

La Commission observe en l’espèce que les autorités administratives ainsi que les juridictions nationales ont constaté que le règlement de l’université exige que la requérante fournisse une photo d’identité conforme à la tenue vestimentaire réglementaire. Elle note par ailleurs que le rejet opposé par l’administration de la faculté à la demande de la requérante d’obtenir son diplôme n’est pas définitif mais circonstancié: la délivrance du diplôme est en effet liée à la condition que la requérante produise une photo conforme au règlement.

La Commission relève en outre que la requérante ne fait aucunement observer avoir été obligée, lors de ses études à l’université, de respecter, contre sa volonté, la règlement concernant la tenue vestimentaire.

Dans ces conditions, la Commission estime, compte tenu des exigences du système de l’université laïque, que le fait de réglementer la tenue vestimentaire des étudiants ainsi que celui de leur refuser les services de l’administration, tels la délivrance d’un diplôme, aussi longtemps qu’ils ne se conforment pas à ce règlement, ne constitue pas en tant que tel une ingérence dans la liberté de religion et de conscience.

La Commission ne relève donc aucune ingérence dans le droit garanti par l’article 9 par. 1, de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 27, par. 2, de la Convention.

Par ailleurs, dans la mesure où la requérante se plaint d’une discrimination, quant à la tenue vestimentaire dans les universités turques, entre les étudiantes de nationalité étrangères et celles de nationalité turques, la Commission n’est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par la requérante révèlent l’apparence d’une violation de cette disposition. En effet, aux termes de l’article 26 (art. 26) de la Convention, “la Commission ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes”.

Cette condition ne se trouve pas réalisée par le seul fait que la requérante a soumis son cas aux différents tribunaux compétents. Il faut encore que le grief formulé devant la Commission ait été soulevé, au moins en substance, pendant la procédure en question. Sur ce point,la Commission renvoie à sa jurisprudence constante (cf. par exemple No 5574/72, déc. 21.3.75, D.R. 3 pp. 10, 22 ; No 10307/83, déc. 6.3.84,
D.R. 37 pp. 113, 127).

En l’espèce, la requérante n’a pas soulevé au cours de la procédure devant le Conseil d’Etat ce grief précis dont elle se plaint maintenant devant la Commission. De plus, l’examen de l’affaire n’a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser la requérante de soulever ce grief dans la procédure susmentionnés.

Il s’ensuit que la requérante n’a pas satisfait à la condition relative à l’épuisement des voies de recours internes et que cette partie de sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l’article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

Le Secrétaire de la Commission
(H.C. KRÜGER)
Le Président de la Commission
(C.A. NØRGAARD)