Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 7 Febbraio 2006

Sentenza 31 gennaio 2006

Corte Europea dei Diritti dell’Uomo. Sentenza 31 gennaio 2006: “Giniewski c. France: reato di diffamazione e violazione dell’art. 10 CEDU”.

DEUXIÈME SECTION.
Requête no 64016/00.

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Giniewski c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. BAKA, président,
J.-P. COSTA,
R. TÜRMEN,
K. JUNGWIERT,
M. UGREKHELIDZE,
Mmes A. MULARONI,
E. FURA-SANDSTRÖM, juges,
et de Mme S. DOLLE, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 juin 2005 et 10 janvier 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64016/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant autrichien, M. Paul Giniewski (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 décembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par la société civile professionnelle Arnaud Lyon-Caen, Françoise Fabiani, Frédéric Thiriez, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le gouvernement de l’Autriche, que la greffière avait informé de son droit d’intervenir (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1a) du règlement), a indiqué, par lettre du 29 juin 2005, qu’il n’entendait pas se prévaloir de ce droit.
4. Le requérant alléguait qu’une atteinte avait été portée à son droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention.
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Les 1er novembre 2001 et 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7. Par une décision du 7 juin 2005, la chambre a déclaré la requête recevable.
8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
9. Par lettres du 15 juin 2005 transmises par l’intermédiaire du greffe aux parties, la Cour a invité ces dernières à lui soumettre, si elles le souhaitaient, des informations et observations complémentaires. Elle a également invité le représentant du requérant à transmettre ses demandes de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention dans un délai échéant le 9 septembre 2005.
10. Le 20 septembre 2005, sans qu’une demande de prorogation du délai imparti ne soit parvenue à la Cour, le requérant présenta des observations complémentaires et ses demandes de satisfaction équitable. Celles-ci ayant été déposées en dehors du délai imparti, le président de la chambre décida, en vertu de l’article 38 § 1 du règlement, de ne pas les verser au dossier.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE

A. La procédure
11. Le requérant est né en 1926 et réside à Paris. Il explique qu’il est journaliste, sociologue et historien. Il expose que, dans l’ensemble de ses œuvres, il s’efforce de défendre le rapprochement entre juifs et chrétiens.
12. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
13. Dans le numéro du 4 janvier 1994, le journal « Le quotidien de Paris » fit paraître un article signé par le requérant et intitulé « L’obscurité de l’erreur » à propos de l’encyclique papale « Splendeur de la vérité » publiée fin 1993 (« Veritatis Splendor »).
14. Par un acte du 18 mars 1994, l’association « Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne » (AGRIF) fit citer directement devant le tribunal correctionnel de Paris M. P. Tesson, directeur de publication du journal, le requérant et la SARL « Le quotidien de Paris » respectivement en qualité d’auteur, de complice et de civilement responsable, pour y répondre du délit de diffamation raciale envers la
communauté chrétienne, prévu et réprimé par l’article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, pour la publication de l’article précité, retenu plus spécialement en raison des passages suivants :
« L’Eglise catholique s’auto-institue seule détentrice de la vérité divine (…). Elle proclame fortement l’accomplissement de l’ancienne alliance dans la nouvelle, la supériorité de cette dernière (…).
(…) de nombreux chrétiens ont reconnu que l’anti-judaïsme scripturaire et la doctrine de « l’accomplissement » de l’ancienne par la nouvelle Alliance, conduisent à l’antisémitisme et ont formé le terrain où ont germé l’idée et l’accomplissement d’Auschwitz ».
15. Par un jugement rendu le 4 octobre 1994, le tribunal correctionnel rejeta les exceptions de nullité soulevées par le requérant et, notamment, renvoya l’affaire. Par un jugement rendu le 8 mars 1995, le tribunal correctionnel déclara constitué le délit de diffamation publique envers un groupe de personnes en raison de son appartenance à une religion, en l’espèce la communauté des chrétiens. Le directeur de publication et le requérant furent condamnés chacun à une peine de 6 000 francs français (FRF) d’amende.
16. Déclarant recevable la constitution de partie civile de l’AGRIF, le tribunal condamna solidairement le directeur de publication et le requérant à verser à cette association 1 FRF à titre de dommages et intérêts ainsi que 7 000 FRF par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale. De plus, le tribunal ordonna la publication de sa décision, aux frais des prévenus, dans la limite de 10 000 FRF, dans un journal d’audience nationale. Dans son jugement, le tribunal releva notamment :
« Il est reproché à l’Eglise catholique, présentée comme détenant exclusivement et abusivement la vérité divine, de proclamer son attachement à la doctrine de l’accomplissement de l’ancienne alliance dans la nouvelle alliance, doctrine affirmée de nouveau dans l’encyclique « Splendeur de la vérité ». Il est ajouté que l’antijudaïsme scripturaire et cette doctrine de l’accomplissement « conduisent à l’antisémitisme et ont formé le terrain où ont germé l’idée et l’accomplissement d’Auschwitz. »
Ainsi, selon l’auteur du texte, non seulement l’idée, mais l’accomplissement même des massacres et des horreurs commis à Auschwitz, symbole des camps d’extermination nazis, se situent dans le prolongement direct de ce qui constitue l’un des fondements de la doctrine de la foi catholique, à savoir la doctrine de l’accomplissement de l’ancienne alliance dans la nouvelle, et engagerait donc directement la responsabilité des catholiques et d’une façon générale celle des chrétiens.
Une telle affirmation porte à l’évidence atteinte à l’honneur et à la considération des chrétiens et plus spécialement de la communauté catholique, et entre dans les prévisions de l’article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881.
(…) le lien de causalité entre l’appartenance à une religion et le fait imputé par le propos litigieux existe bien en l’espèce : c’est parce qu’ils appartiennent à une religion qui aurait manifesté un antisémitisme historique et parce qu’ils reconnaissent la valeur de l’encyclique du Pape et de la doctrine de l’accomplissement qui y est affirmée, qu’il est imputé aux chrétiens et aux catholiques d’avoir une part de responsabilité dans les massacres d’Auschwitz.
(…) Si le prévenu était en droit de dénoncer l’antisémitisme chrétien historique et de mettre en garde le lecteur contre toute nouvelle manifestation ou résurgence de ce sentiment, en rappelant que dans l’Histoire, les Eglises chrétiennes ont parfois accepté et même encouragé l’idée de « l’enseignement du mépris » à l’égard du peuple juif, présenté comme le peuple déicide, rien ne l’autorisait pour autant, à l’occasion de la parution de la nouvelle encyclique du Pape réaffirmant la doctrine de « l’accomplissement », à utiliser des termes outranciers et, par le procédé de l’amalgame, à rendre responsable la communauté catholique des massacres nazis commis à Auschwitz.
En effet, les témoins entendus à l’audience au titre de la bonne foi et à la demande du prévenu, ont tous affirmé que le nazisme, doctrine raciste et biologique, était totalement étranger à l’antisémitisme historique des chrétiens et à la doctrine de « l’accomplissement » qui est la réalisation dans toute sa plénitude de la loi de l’ancienne alliance de Dieu avec son peuple dans la nouvelle alliance née du sacrifice du Christ.
Enfin, l’amalgame réalisé entre d’une part, l’antisémitisme chrétien et l’encyclique « Splendeur de la Vérité », que Monsieur Giniewski s’est d’ailleurs abstenu de commenter à l’audience, et d’autre part, la persécution des Juifs à Auschwitz, traduisent une animosité personnelle du prévenu et un ressentiment à l’égard de la communauté chrétienne exclusifs de toute bonne foi, les propos poursuivis se situant bien au-delà de la discussion théorique et théologique.
A cet égard, le Tribunal relève l’emploi délibéré du même mot « accomplissement » pour désigner l’organisation des massacres d’Auschwitz et la doctrine réaffirmée par le Pape dans son encyclique.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la preuve de la bonne foi du prévenu n’est pas rapportée. »
17. Le requérant interjeta appel. Par un arrêt rendu le 9 novembre 1995, la cour d’appel de Paris confirma, en tant qu’il concernait le requérant, le jugement rendu le 4 octobre 1994, et infirma le jugement rendu le 8 mars 1995. La cour d’appel relaxa le requérant des fins de la poursuite et débouta la partie civile de ses demandes à son encontre. Elle considéra notamment que :
« (…) dans son article, Paul Giniewski reproche en substance à l’Encyclique « Splendeur de la Vérité » de consacrer, parmi les principes théologiques, la doctrine de « l’accomplissement » de l’ancienne Alliance par la nouvelle, doctrine qui lui paraît comporter des ferments d’antisémitisme ; que cette critique est exprimée sans ambiguïté dans l’avant-dernier alinéa de l’article (…) ;
(…) le sens du propos de Paul Giniewski peut se résumer ainsi : certains principes de la religion catholique teintés d’antisémitisme ont favorisé l’Holocauste ;
(…) la cour est pleinement consciente des réactions que peut susciter un tel article au sein de la communauté catholique, même si l’auteur affirme traduire l’opinion de « nombreux chrétiens » ;
(…) toutefois, (…) en critiquant de manière aussi vigoureuse l’Encyclique « Splendeur de la Vérité », Paul Giniewski soulève un débat à la fois théologique et historique sur la portée de certains principes religieux et sur les racines de l’Holocauste ; que la thèse soutenue par cet auteur, parce qu’elle relève exclusivement du débat doctrinal, ne constitue pas, sur le plan juridique, un fait précis susceptible de caractériser une diffamation (…). »
18. L’AGRIF se pourvut en cassation. Par un arrêt rendu le 28 avril 1998, la Cour de cassation cassa l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, « mais seulement en ses dispositions concernant l’action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ». Elle renvoya la cause et les parties devant la cour d’appel d’Orléans. La Cour de cassation précisa :
« (…) qu’en statuant ainsi, alors que les propos incriminés imputaient à la communauté catholique une incitation à l’antisémitisme et la responsabilité des massacres commis à Auschwitz, la cour d’appel n’a pas donné une base légale à sa décision ;
Que la cassation est encourue, mais seulement sur l’action civile (…) »
19. Par un arrêt rendu le 14 décembre 1998, la cour d’appel d’Orléans, statuant sur les intérêts civils et faisant sienne l’analyse de la Cour de cassation, confirma les jugements des 4 octobre 1994 et 8 mars 1995 en ce qu’ils concernaient le requérant. La cour d’appel alloua à l’AGRIF une nouvelle indemnité de 10 000 FRF sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Elle ordonna également la publication, dans un journal d’audience nationale au choix de la partie civile et aux frais du prévenu, dans la limite de 10 000 FRF, du communiqué suivant :
« Par arrêt du 14 décembre 1998, la cour d’appel d’Orléans a condamné Paul GINIEWSKI, journaliste, à verser à l’Alliance Générale contre le Racisme et pour le Respect de l’Identité Française et Chrétienne (AGRIF) 1 FRANC (1) à titre de dommages-intérêts après avoir constitué le délit de diffamation publique envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion, en l’espèce la communauté des chrétiens pour avoir publié (…) un article intitulé « A propos de l’Encyclique « Splendeur de la vérité », l’obscurité de l’erreur ».
20. Dans son arrêt, la cour d’appel releva notamment :
« (…) c’est à tort que le prévenu dénie avoir reproché aux catholiques et plus généralement aux chrétiens d’être responsables des massacres nazis ; qu’il importe peu en effet que cette responsabilité s’analyse à plus ou moins long terme compte tenu de l’emploi de l’expression « formé le terrain » ;
Qu’après analyse des documents communiqués ni le Pape ni l’Eglise de France n’impliquent la responsabilité directe des catholiques dans l’extermination perpétrée à Auschwitz ;
Qu’ainsi, en raison de leur appartenance religieuse, les chrétiens sont bien victimes du délit de diffamation ;
(…) la virulence du ton général de l’article, le parallèle dans le passage retenu entre la « doctrine de l’accomplissement » et « l’accomplissement d’Auschwitz », l’emploi même de ce dernier vocable qui évoque à lui seul et le génocide et l’extermination des opposants au régime nazi excluent la bonne foi de l’auteur (…) »
21. Le requérant se pourvut en cassation. Dans le cadre du moyen unique développé à l’appui de son pourvoi, il invoqua l’article 10 de la Convention et soutint que ses propos, objectifs et sincères, étaient dénués de tout caractère inutilement polémique et malveillant, et n’avaient donc pas manqué aux exigences de la bonne foi.
22. Le 14 juin 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (…) les énonciations de l’arrêt attaqué et l’examen des pièces de procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, après avoir analysé les circonstances particulières invoquées par le prévenu, exclu celui-ci du bénéfice du fait justificatif de bonne foi (…) »
B. L’article
23. Le texte publié était le suivant :
A propos de l’encyclique « Splendeur de la vérité »
« L’obscurité de l’erreur …
La nouvelle encyclique de Jean-Paul II, « la Splendeur de la vérité », a pour sujet le fondement de la théologie morale selon l’enseignement catholique. Elle veut fournir au fidèle les réponses à la question posée par un jeune homme à Jésus dans une parabole du Nouveau Testament : « Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? »
Malheureusement, du point de vue des autres religions et du point de vue juif, le texte papal s’appuie sur deux ordres d’affirmations :
1. L’Eglise catholique s’auto-institue seule détentrice de la vérité divine et s’arroge le « devoir » de diffuser sa doctrine comme seule universelle.
2. Elle proclame fortement l’accomplissement de « l’ancienne » Alliance dans la nouvelle, la supériorité de cette dernière, doctrine qui prolonge « l’enseignement du mépris » des juifs, jadis dénoncée par Jules Isaac en tant que fondatrice de l’antisémitisme.
Selon Jean-Paul II, l’interprétation authentique de « la parole de Dieu, écrite et transmise, a été confiée au seul magistère vivant de l’Eglise », qui est, par conséquent, fondée à déclarer incompatibles telles affirmations théologiques, voire « philosophiques avec la vérité révélée ». C’est l’Eglise catholique qui posséderait « une lumière et une force capables de résoudre même les questions les plus discutées et les plus complexes ».
Les non-catholiques sont regardés avec condescendance : « Tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Eglise le considère comme une préparation évangélique. »
Le dépassement du patrimoine religieux juif est affirmé avec la même arrogance.
La loi, que l’Eglise appelle « ancienne » n’est qu’une préfiguration de la perfection chrétienne. Le Décalogue de Moïse est « promesse et signe de l’Alliance nouvelle ». Jésus est le « nouveau Moïse ». La loi de Moïse n’est que « la figure de la vraie loi », « le prototype de la vérité ». Moïse est descendu du Sinaï portant « des tables de pierre » dans ses mains. Les apôtres ont apporté « l’esprit saint dans leurs cœurs ». La loi chrétienne est « écrite non avec de l’encre, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs ». Les prescriptions données par Dieu dans l’ancienne Alliance sont « parvenues à leur perfection dans la nouvelle ».
Car la loi ancienne est inefficiente. Elle a, certes, un rôle pédagogique. Mais la « justice » qu’elle exige, elle ne peut la donner à personne : seule la loi nouvelle confère la grâce, elle « ne se contente pas de dire ce qui doit se faire », mais elle donne aussi la force de « faire la vérité ».
On retrouve là les idées déjà développées, en 1992, dans le volumineux « Catéchisme de l’Eglise catholique ». Et comme dans ce regrettable catéchisme, quelques flèches sont également décochées, selon la tradition catholique, aux pharisiens. On demande aux fidèles une « grande vigilance », « afin de ne pas se laisser gagner par l’attitude pharisaïque », qui consiste, en notre temps, à adapter la norme morale aux capacités et intérêts de l’individu, c’est-à-dire à refuser le concept même de norme morale.
On doit se demander comment les catholiques, comment les autorités religieuses catholiques « encaisseraient » une agression juive équivalente contre la nouvelle Alliance.
On doit aussi de demander comment le pape polonais estime compatible son encyclique avec l’exhortation des « Dix points de Seelisberg », et avec l’exigence envisagée dans la première version du schéma sur les Juifs de Vatican II, demandant aux chrétiens de ne rien enseigner qui vilipende les juifs et leurs doctrines.
De nombreux chrétiens ont reconnu que l’anti-judaïsme scripturaire et la « doctrine de l’accomplissement » de l’ancienne par la nouvelle Alliance, conduisent à l’antisémitisme et ont formé le terrain où ont germé l’idée et l’accomplissement d’Auschwitz.
En 1993, on n’en tient aucun compte au Saint-Siège. Pour proclamer la splendeur de la vérité, on y persévère dans l’obscurité et l’erreur. »
C. Le contexte général
24. Les propos du requérant s’inscrivent dans le cadre d’un débat d’idées récurrent, auquel participent historiens, théologiens et autorités religieuses. Les deux derniers Papes eux-mêmes, Jean-Paul II et Benoît XVI, ainsi que les autorités de l’Eglise catholique, se sont exprimés sur la possibilité que la façon dont les Juifs sont présentés par le Nouveau testament ait contribué à créer une hostilité à leur égard. Il est fait référence en particulier à la « déclaration de repentance de l’Eglise de France », du 30 septembre 1997, qui souligne la responsabilité historique de l’Eglise de France envers le peuple juif, au discours prononcé le 31 octobre 1997 par Jean-Paul II lors d’un colloque sur les « Racines de l’antijudaïsme en milieu chrétien », ou, plus récemment, à l’ouvrage « Le peuple juif et ses saintes écritures dans la Bible chrétienne », publié en 2001 par la Commission biblique pontificale sous la direction du cardinal Joseph Ratzinger ; ce dernier, dans la préface, écrit notamment, à propos de la Shoah, que « ce qui doit résulter de ce qui s’est passé, c’est un nouveau respect pour l’interprétation juive de l’Ancien testament ».

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

25. Les articles pertinents de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse disposent ainsi :
Article 29
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »
Article 32
(Avant modification par l’ordonnance no 2000-916 du 19 septembre 2000 art. 3
(JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002))
« La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 80 000 F.
La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un an d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par l’alinéa précédent, le tribunal pourra en outre ordonner :
1o L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
26. Le requérant allègue que sa condamnation, fondée sur les articles 29 et 32 § 2 de la loi du 29 juillet 1881, a entraîné une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (…) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…). »
A. Thèses des parties
1. Le requérant
27. Le requérant estime que sa condamnation pour la publication de l’article litigieux constitue une ingérence illégitime dans son droit à la liberté d’expression. Il s’oppose à l’interprétation de son article telle qu’elle ressort des décisions des juridictions internes. Selon lui, le texte dénonçait l’attitude de l’Eglise catholique en tant qu’elle « s’auto-institue seule détentrice de la vérité divine ». Il a ensuite voulu démontrer que la doctrine de suprématie qui s’incarne à travers la primauté conférée à la nouvelle Alliance, parce qu’elle a pour corollaire la dévalorisation de l’ancienne Alliance passée entre Dieu et le peuple Juif, a jeté l’opprobre sur ce dernier et a été le ferment de l’antisémitisme sans lequel il n’y aurait pu y avoir Auschwitz. L’article litigieux n’affirme pas que la doctrine de l’Eglise catholique est intrinsèquement antisémite, mais que « l’antijudaïsme scripturaire » conduit à l’antisémitisme, ce qui est une nuance non négligeable. L’on ne saurait donc reprocher au requérant, sans opérer de raccourci relevant de la caricature et du simplisme, d’avoir imputé à l’Eglise catholique d’être responsable des crimes perpétués à Auschwitz. Il ajoute que les juridictions internes auraient opéré une extrapolation systématique de ses propos en les étendant à l’ensemble de la chrétienté, alors qu’ils ne font état que de l’Eglise catholique.
28. Le requérant conteste ensuite l’affirmation selon laquelle, sous prétexte que l’article litigieux porte sur une question sensible d’ordre religieux, sa liberté d’expression peut être plus étroitement encadrée. Il estime que les circonstances de l’espèce sont éloignées de celles analysées par la Cour dans les arrêts Wingrove c. Royaume-Uni (25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V) et Otto-Preminger-Institut c. Autriche (20 septembre 1994, série A no 295-A, pp. 18-19). En l’espèce, il ne s’agit pas d’apprécier la forme de son article mais uniquement l’idée qu’il a exposée, sans animosité ni volonté de nuire. Il précise qu’en sa qualité d’historien et de journaliste émérite, il entendait exclusivement contribuer à la réflexion sur la genèse de l’antisémitisme et de l’extermination des Juifs et donc participer à une controverse d’intérêt général. S’il conçoit que sa thèse n’est pas partagée par tous, y compris par l’AGRIF, il estime cependant que son article a contribué à un débat essentiel. Conscient que son discours ait pu heurter ou choquer certains, il estime cependant qu’eu égard aux éléments ci-dessus, il ne devait pas faire l’objet d’une condamnation, cette dernière n’étant pas « nécessaire dans une société démocratique ».
29. Enfin, la question du montant des sanctions pécuniaires n’est pas l’objet du présent débat qui porte fondamentalement sur une contestation du principe même de sa condamnation.
2. Le Gouvernement
30. Le Gouvernement ne conteste pas que la condamnation du requérant constitue une « ingérence » dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression et que cette ingérence est « prévue par la loi », à savoir les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881.
31. Le Gouvernement considère toutefois que le grief tiré de l’article 10 de la Convention est dénué de fondement.
32. Avant tout, l’ingérence précitée poursuivait un des buts légitimes prévus au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui, la condamnation du requérant visant à protéger les chrétiens contre la diffamation.
33. Surtout, l’ingérence était, selon le Gouvernement, « nécessaire dans une société démocratique ». En effet, la condamnation du requérant répondait aux critères de nécessité et de proportionnalité dégagés par la Cour dans sa jurisprudence, eu égard à la marge d’appréciation dont doivent bénéficier les autorités nationales en la matière.
34. A cet égard, le Gouvernement considère d’abord que les motifs sur lesquels se sont fondées les juridictions nationales sont « pertinents et suffisants », la condamnation du requérant ayant été prononcée à la suite d’une analyse approfondie et minutieuse des propos incriminés.
35. Quant au caractère proportionné de la condamnation par rapport au but légitime poursuivi, le Gouvernement expose que les propos du requérant visaient un groupe important de personnes, la communauté chrétienne, par le biais d’un journal à diffusion nationale, et revêtaient une particulière gravité. De plus, si le Gouvernement reconnaît le caractère en principe réduit de la marge d’appréciation des Etats en matière de liberté d’expression s’agissant de discours politiques ou de questions sérieuses d’intérêt général, il estime cependant que cette même marge d’appréciation peut s’avérer plus étendue en matière d’attaques contre des convictions religieuses (notamment Wingrove, précité). Il s’ensuit que le requérant aurait dû prendre davantage de précaution dans la rédaction de son article. Cela serait d’autant plus vrai que le passage incriminé ne constitue pas un jugement de valeur, mais évoque un fait dont la matérialité pouvait se prouver ou se réfuter. En effet, l’article affirme clairement la responsabilité de l’Eglise catholique, et donc de ceux qui y adhèrent, dans l’extermination des Juifs par le régime nazi. Le requérant n’a donc pas exprimé une opinion mais a imputé un fait « à la charge » de la communauté chrétienne.
36. A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que les propos du requérant, s’ils devaient être interprétés comme constituant un jugement de valeur, ont dépassé le stade de la participation, même polémique, à un débat historique, et constituent un amalgame calomnieux aboutissant à imputer à l’Eglise catholique une responsabilité dans l’un des plus grands crimes de l’Histoire.
37. Le Gouvernement souligne enfin le faible montant pécuniaire de la sanction prononcée à l’égard du requérant et conclut que les juridictions internes ont pris soin de ménager un juste équilibre entre la liberté d’expression, d’une part, et le respect des droits d’autrui, d’autre part.
B. Appréciation de la Cour
38. La condamnation litigieuse s’analyse sans conteste en une « ingérence » dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression. Pareille immixtion enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs des buts légitimes mentionnés audit paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.
1. « Prévue par la loi »
39. Les parties s’accordent à considérer que l’ingérence était « prévue par la loi », à savoir les articles 29 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, tels qu’ils étaient libellés à l’époque des faits (voir paragraphe 26 ci dessus). La Cour partage cette opinion.
2. But légitime
40. La Cour relève que l’ingérence avait pour objectif la protection contre la diffamation d’un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l’espèce la communauté chrétienne. Ce but correspond à celui de la protection « de la réputation ou des droits d’autrui » au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention. Il cadre aussi parfaitement avec l’objectif de protection de la liberté religieuse offerte par l’article 9 (voir, mutatis mutandis, Wingrove, précité, § 48).
41. Le point de savoir s’il y avait un réel besoin de protection de la communauté des chrétiens comme l’ont affirmé les juridictions internes et le Gouvernement, ou si, comme le soutient le requérant, l’article litigieux se limite à une critique de la seule Eglise catholique, et de l’encyclique papale « Splendeur de la vérité », relève de l’analyse des motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier l’ingérence et donc de la condition de « nécessité dans une société démocratique » examinée ci-dessous.
42. Par conséquent, l’ingérence contestée avait un but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.
3. « Nécessaire dans une société démocratique »
43. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de toute société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside c. Royaume Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49). Ainsi que le reconnaît le paragraphe 2 de l’article 10, l’exercice de cette liberté comporte toutefois des devoirs et responsabilités. Parmi eux – dans le contexte des opinions et croyances religieuses – peut légitimement être comprise une obligation d’éviter des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain (voir, mutatis mutandis, les arrêts Otto-Preminger-Institut, précité, § 49, Wingrove, précité, § 52, et Gündüz c. Turquie, no 35071/97, § 37, CEDH 2003 XI).
44. En examinant si les restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », la Cour a maintes fois déclaré que les Etats contractants jouissent d’une marge d’appréciation certaine mais pas illimitée (Wingrove, précité, § 53). Le manque d’une conception uniforme, parmi les pays européens, des exigences afférentes à la protection des droits d’autrui s’agissant des attaques contre des convictions religieuses, élargit la marge d’appréciation des Etats contractants, lorsqu’ils réglementent la liberté d’expression dans des domaines susceptibles d’offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale ou de la religion (voir Otto Preminger-Institut, précité, § 50 ; Wingrove, précité, § 58, et Murphy c. Irlande, arrêt du 10 juillet 2003, Recueil 2003-IX, § 67). C’est au demeurant à la Cour européenne de se prononcer en dernière analyse sur la compatibilité de la restriction avec la Convention et elle le fait en appréciant, dans les circonstances de la cause, notamment, si l’ingérence correspond à un « besoin social impérieux », si elle est « proportionnée au but légitime visé » (voir, mutatis mutandis, Wingrove, précité, § 53).
45. En l’espèce, la Cour note d’emblée, comme la cour d’appel de Paris, dont l’arrêt a été en partie cassé, que l’article du requérant reproche en substance à l’Encyclique « Splendeur de la vérité » de consacrer, parmi les principes théologiques, la doctrine dite de « l’accomplissement » de l’ancienne Alliance par la nouvelle, et la supériorité de cette dernière. Or, selon l’article litigieux, cette doctrine comporte des ferments d’antisémitisme qui ont favorisé la conception et l’accomplissement de l’Holocauste.
46. Selon les juridictions nationales, et notamment la cour d’appel d’Orléans, dont l’arrêt a été confirmé par la Cour de cassation, cela revient à reprocher « aux catholiques et plus généralement aux chrétiens d’être responsables des massacres nazis ». Il s’ensuit, toujours selon la cour d’appel, qu’en raison de leur appartenance religieuse les chrétiens sont donc victimes du délit de diffamation.
47. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse.
48. Elle observe d’abord que l’action en diffamation intentée contre le requérant a été formée par une association, l’« Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne ». Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la représentativité de ce groupement, ni sur sa vocation à défendre l’Eglise catholique ou la chrétienté en général. Ce n’est pas non plus le rôle de la Cour, qui se substituerait aux juridictions nationales, d’apprécier si l’article en cause portait directement atteinte à l’association plaignante ou aux intérêts qu’elle entend défendre.
49. La Cour relève ensuite que si l’article du requérant critiquait une Encyclique papale et donc la position du Pape, une telle analyse ne saurait être étendue à l’ensemble de la chrétienté qui, comme le rappelle le requérant, comporte divers courants différents, dont plusieurs rejettent l’autorité papale.
50. La Cour considère surtout que le requérant a voulu élaborer une thèse sur la portée d’un dogme et sur ses liens possibles avec les origines de l’Holocauste. Le requérant a ainsi apporté une contribution, par définition discutable, à un très vaste débat d’idées déjà engagé (voir le paragraphe 24 ci-dessus), sans ouvrir une polémique gratuite ou éloignée de la réalité des réflexions contemporaines.
51. En envisageant les conséquences dommageables d’une doctrine, le texte litigieux participait donc à la réflexion sur les diverses causes possibles de l’extermination des Juifs en Europe, question relevant incontestablement de l’intérêt général dans une société démocratique. Dans ce domaine, les restrictions à la liberté d’expression appellent une interprétation étroite. En effet, si en l’espèce la question soulevée concerne une doctrine défendue par l’Eglise catholique, et donc un sujet d’ordre religieux, l’analyse de l’article litigieux montre qu’il ne s’agit pas d’un texte comportant des attaques contre des convictions religieuses en tant que telles, mais d’une réflexion que le requérant a voulu exprimer en tant que journaliste et historien. A cet égard, la Cour considère qu’il est primordial dans une société démocratique que le débat engagé, relatif à l’origine de faits d’une particulière gravité constituant des crimes contre l’humanité, puisse se dérouler librement (voir, mutatis mutandis, Lehideux et Isorni c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998 VII, §§ 54 et 55). Elle a par ailleurs eu l’occasion de noter que « la recherche de la vérité historique fait partie intégrante de la liberté d’expression », et « qu’il ne lui revient pas d’arbitrer » une question historique de fond (voir Chauvy et autres c. France, arrêt du 29 juin 2004, § 69).
52. Si, comme le requérant le reconnaît lui-même, le texte publié contient des conclusions et des formulations qui peuvent heurter, choquer ou même inquiéter certains, la Cour a affirmé à plusieurs reprises que de telles idées ne perdent pas, en tant que telles, le bénéfice de la liberté d’expression (voir, notamment, De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, § 46). L’article rédigé par le requérant n’avait d’ailleurs aucun caractère « gratuitement offensant » (voir Otto Preminger-Institut, précité, § 49), ni injurieux (voir, a contrario, l’arrêt İ.A. c. Turquie, no 42571/98, § 29, 13 septembre 2005), et il n’incite ni à l’irrespect ni à la haine. En outre, il ne vient en aucune manière contester la réalité de faits historiques clairement établis (voir, a contrario, Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, CEDH 2003 IX).
53. Compte tenu de ce qui précède, les motifs avancés à l’appui de la condamnation du requérant ne suffisent pas pour convaincre la Cour que l’ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressé à la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » ; en particulier, la condamnation de celui-ci du chef de diffamation publique envers la communauté des chrétiens ne répondait pas à un « besoin social impérieux ».
54. Quant à la proportionnalité de l’ingérence litigieuse par rapport au but légitime poursuivi compte tenu des sanctions infligées, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération (voir, par exemple, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 03, CEDH 2004 …). La Cour doit aussi faire preuve de la plus grande prudence lorsque les mesures ou sanctions prises par les autorités nationales sont de nature à dissuader la presse ou les auteurs de participer à la discussion de questions présentant un intérêt général légitime (voir, mutatis mutandis, Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 298, pp. 25-26, § 35).
55. En l’espèce, le requérant a fait l’objet d’une relaxe pénale. Au civil, il a été condamné à payer 1 FRF de dommages et intérêts à l’association demanderesse, et surtout à la publication d’un communiqué à ses frais dans un journal d’audience nationale. Or, si en principe une telle publication n’apparaît pas comme une mesure par trop restrictive de la liberté d’expression (Chauvy et autres, précité, § 78), dans la présente affaire la mention de l’existence du délit de diffamation dans le communiqué revêt un caractère dissuasif certain et la sanction ainsi infligée paraît disproportionnée, compte tenu de l’importance du débat auquel le requérant a voulu légitimement participer et sur l’intérêt duquel il est inutile de revenir (voir les §§ 48 et 49 supra).
56. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

57. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
58. La Cour note que le requérant n’a présenté, après la décision sur la recevabilité, aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti.
59. Selon sa jurisprudence constante (voir, notamment, Andrea Corsi c. Italie, no 42210/98, 4 juillet 2002, Andrea Corsi c. Italie (révision), no 42210/98, 2 octobre 2003, Willekens c. Belgique, no 50859/99, 24 avril 2003, et Mancini c. Italie, no 44955/98, CEDH 2001-IX), la Cour n’octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n’ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l’article 60 § 1 du règlement.
60. Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 60 du règlement. Aucune demande de satisfaction équitable n’ayant été valablement formulée, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’octroyer au requérant une indemnité à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
2. Dit qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 41 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2006, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.