Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 13 Novembre 2004

Sentenza 11 dicembre 1997, n.JB40558_2

Numéro : JB40558_2 Date : 1997-12-11
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE BRUXELLES, PRESIDENT SIEGEANT EN REFERE
Siège : DESMEDT
Numéro de rôle : 971775C

(omissis)

Attendu que l’action est basée sur l’article 584 du code judiciaire et tend, vu l’urgence particulière et au provisoire, à entendre :
dire l’action recevable et fondée;
en conséquence, ordonner à la défenderesse d’admettre aux cours de 3ème. année(département social) les trois premières demanderesses et de 2ème. année (département social) les trois dernières demanderesses, de leur permettre de participer aux stages correspondants, à toutes activités extérieures et à toutes les sessions d’examens afférents à leurs études entamées pendant l’année académique 1997/1998;
ordonner à la défenderesse d’inscrire les demanderesses dans leurs cours respectifs si celles-ci remplissent toutes les autres conditions que celle imposée dernièrement aux demanderesses de ne pas porter de signe distinctif ou emblématique;
dire que les effets de cette ordonnance s’éteindront au 31 août 1998;
condamner la défenderesse au paiement d’une astreinte de 5 000 F. par jour et par demanderesse si elle venait à refuser de respecter tous les termes de l’ordonnance à intervenir, et ce à dater de la signification de ladite ordonnance;
condamner la défenderesse aux dépenses, en ce compris l’indemnité de procédure;
sous réserve de majoration ou de diminution en cours d’instance, et sous réserve de tous autres droits;

LES FAITS :

Attendu que la première demanderesse Mlle. El B. est née le … 1975 à Schaerbeek; qu’elle a la nationalité marocaine;
Attendu que Mlle. I., deuxième demanderesse, est née le … 1976 à Saint-Josse-ten-Noode, et a la nationalité belge;
Attendu que la troisième demanderesse, Mlle. M… T. est née le … 1976 à Bruxelles et a la nationalité belge;
Attendu que la quatrième demanderesse, Mlle. S. est née le … 1976 à Anderlecht et possède la nationalité marocaine;
Attendu que Mlle. H., cinquième demanderesse, est née le … 1976 à Saint-Josse-ten-Noode et possède la nationalité belge;
Attendu que la sixième demanderesse, Mlle. A… T. est née le … 1976 à Bruxelles et possède la nationalité grecque;
Que deux demanderesses habitent à Schaerbeek, deux à Molenbeek-Saint-Jean, une à Saint-Gilles et une à Anderlecht;
Attendu que les demanderesses sont toutes étudiantes à la Haute Ecole Libre de Bruxelles ” Ilya Prigogine “; qu’elles sont – pour les trois premières – inscrites en 3ème. année à l’école ouvrière supérieure – pour les trois autres – en 2ème. année de la même Haute Ecole (département social);
Attendu que les demanderesses ont jusqu’à présent suivi assidûment les cours et les stages qui sont organisés depuis la 2ème. année d’études (en première année, il y a, outre les cours, des visites extérieures);
Attendu que les demanderesses prétendent avoir appris par des communications verbales, en fin octobre 1997, qu’elles ne pourraient plus fréquenter leur lieu de stages au motif qu’elles portent un signe distinctif de leur religion, à savoir un (Hijab);
Attendu que les demanderesses, comme d’autres élèves d’ailleurs n’appartenant pas à la même confession, ont tenté d’obtenir des éclaircissements; que certains enseignants ont confirmé qu’une décision avait été prise modifiant le règlement d’ordre intérieur interdisant le port des signes distinctifs ou emblématiques pendant les stages et les activités extérieures;
Que les demanderesses auraient tenté d’entrer en contact avec la directrice qui aurait été, malheureusement, absente;
Que les bruits devenant de plus en plus persistants, les demanderesses se sont adressées à d’autres instituts supérieurs aux fins de pouvoir s’y faire inscrire;
Qu’ainsi notamment, en date du 6 novembre 1997, les demanderesses ont reçu une lettre de l’Institut Supérieur de Formation Sociale et de Communication les informant que leur demande ne pouvait pas être prise en compte, puisqu’une demande de ” changement d’établissement d’un groupe d’étudiantes en cours d’années ” était impossible (il était notamment justifié par l’augmentation de la population étudiante dans l’enseignement supérieur social);
Attendu que les demanderesses se sont alors adressées – par écrit – au président du conseil d’administration de la Haute Ecole, regroupant différentes écoles, dont l’école ouvrière supérieure qu’elles fréquentaient;
Que cette lettre, datée du 12 novembre 1997, avait pour but d’entamer une conciliation;
Que le président du conseil d’administration, par lettre du 17 novembre 1997, a répondu aux demanderesses qu’il pourrait les rencontrer le vendredi 21 novembre 1997 à 14 H., en présence d’une directrice et d’un directeur (et non pas du conseil d’administration);
Qu’il signalait également le 17 novembre 1997 :
” Je vous rappelle que la date ultime des inscriptions est fixée au 15 novembre de l’année académique en cours… Je souhaite que vous puissiez prendre une décision rapide et régulariser votre situation afin de pouvoir terminer vos études au sein du département social de la Haute Ecole… “;
Attendu que les demanderesses se sont présentées à cette réunion qu’elles avaient demandée, le 21 novembre;
Qu’il leur aurait été seulement intimé l’ordre de signer leur acceptation du règlement d’ordre intérieur et de son complément;
Que, par lettre recommandée du 25 novembre 1997 (cachet de la poste), le même président dudit conseil d’administration a parlé à l’entrevue du 21 novembre en ces termes :
” Nous vous avons proposé de signer votre bulletin d’inscription, ce que vous avez refusés de faire, reconçant ainsi à régulariser votre inscription pour l’année académique 1997-1998. Nous vous prions donc de prendre acte de ce que vous n’êtes pas inscrite à notre Haute Ecole et que l’accès aux activités d’enseignement ne vous est pas autorisé. En effet, comme nous l’avons déjà dit verbalement, l’inscription n’est effective que pour autant que le candidat-étudiant signe – chaque année avant le 15 novembre – le bulletin dé finitif d’inscription, et se soumette au règlement de la Haute Ecole… “;
Attendu que cette lettre recommandée n’a évidemment pu étre reçue par les demanderesses qu’en fin de matinée du mercredi 26 novembre 1997;
Qu’elles s’étaient présentées tout normalement à leurs cours et en ont été éconduites;
Que les demanderesses demandent, par voie de référé, de pouvoir être réintégrées;
Attendu que l’Ecole Ouvrière Supérieure, en abrégé EOS, est devenue depuis 1996 l’une des composantes de la Haute Ecole Libre de Bruxelles ” Ilya Prigogine “. Sa mission depuis sa création est d’assurer la formation d’auxiliaires ou d’assistants sociaux;
Cette école fut créée en 1921 et a toujours manifesté une volonté claire d’accepter des étudiants de toute confession et de toute opinion, pour autant qu’il ne soit pas question d’extrémisme;
Cette institution d’enseignement libre non confessionnel compte ainsi parmi ses diplômés des marxistes, des religieux catholiques, un pasteur protestant, un moine boudhiste, des animistes africains, des musulmans, des laïcs convaincus et actifs, etc…;
L’acceptation de la différence a toujours fait la fierté de l’EOS et il n’est jamais entré dans ses intentions de changer de politique;
C’est ainsi notamment que le port du (Hijab), puisque c’est de cela qu’il s’agit en l’espèce, a toujours été accepté dans l’enceinte de l’école, ceci tant dans le chef des demanderesses que dans celui d’autres étudiantes;
Cette volonté d’ouverture a cependant comme limite le fait que la priorité de l’école reste, bien évidemment, de former des assistants sociaux de qualité et assumant pleinement leur fonction;
A cet égard, la philosophie de l’EOS, reprise par la défenderesse, a toujours été qu’un assistant social devait être entièrement au service des demandeurs d’aide et que cela impliquait qu’il ne devait, en aucune mesure, exprimer ou afficher ses propres convictions lorsqu’il agit en qualité d’assistant social;
Afficher ou exprimer ses convictions revient en effet à transmettre un message, ce qui ne relève pas de la fonction d’un assistant social qui doit au contraire être sans réserve à l’écoute des autres. Une telle philosophie fait évidemment intrinsèquement partie de l’enseignement dispensé par la défenderesse;
Compte tenu du fait qu’il était apparu que de plus en plus d’étudiants portaient, de façon visible, des signes distinctifs de leurs convictions personnelles, le conseil d’administration de l’EOS estima nécessaire, à l’occasion d’une réunion du 27 novembre 1995, de rappeler les principes défendus, dans les termes suivants :
” A propos du statut de la femme, le CA engage une discussion à propos des signes distinctifs d’une appartenance religieuse (croix, , étoile de David, …) portés par des étudiants.
Si l’EOS veut rester accueillante à tous, il est certain qu’il faut rappeler aux étudiants que notre philosophie est résolument laïque et qu’il n’est pas question que lors de leurs stages, les é tudiants portent des signes distinctifs : dans le travail social, vis-à-vis des usagers, porter un signe distinctif est déjà donner à ceux-ci un message porteur de certaines valeurs. “;
Ceci, que l’EOS considérait clairement comme n’étant qu’un simple rappel, fut communiqué aux professeurs par voie d’affichage;
Par ailleurs, une information à ce sujet fut donnée à au moins deux reprises aux étudiants de première année, et ce en présence de mesdames T. A… et M…, El B. et I., durant le cours d’histoire de Ière. année et lors de l’information sur les stages de 2ème. année que réalisa, début avril 1996, la coordinatrice des stages;
Au moment de leur inscription pour l’année académique 1996-1997, chacune des demanderesses signa une demande d’inscription, mentionnant notamment que :
” Avant de présenter cette demande d’inscription, vous devez avoir lu la convention pédagogique qui y est jointe et avoir accepté de vous y conformer. La demande d’inscription doit être renouvelée chaque année. “;
La convention pédagogique à laquelle il est ainsi fait référence, et qui a été acceptée en 1996 par les demanderesses, stipule notamment que :
” Lors des stages, les étudiants veilleront à ne porter aucun signe distinctif : dans le Travail Social, vis-à-vis des usagers, porter un signe distinctif (vestimentaire ou emblématique) est déjà donner à ceux-ci un message porteur de certaines valeurs “;
Compte tenu de la réorganisation de l’enseignement par la création de ” Haute Ecole ” (décret du 5 août 1995 de la Communauté Française) l’EOS créa la défenderesse en collaboration avec quatre autres établissements d’enseignement;
Conformément au prescrit des articles 27 et 28 du décret du 5 août 1995, les autorités de la Haute Ecole doivent adopter un règlement des études et l’inscription d’un étudiant doit impliquer l’adhésion de celui-ci au règlement dont question;
La défenderesse adopta dès lors un ” Règlement général des études et règlement d’ordre intérieur ” ainsi que des ” complément au règlement général des études “, ces derniers reprenant des règles plus spécifiques à chacune des sections de la défenderesse;
Un exemplaire de ces documents fut distribué à l’ensemble des étudiants le 13 septembre 1996;
Le ” Complément au règlement général des études ” spécifique au Département social – Ecole Ouvrière Supérieure de la défenderesse, reprend mot pour mot en son article 3 la clause précitée figurant déjà dans la convention pédagogique, à savoir que :
” Lors des stages, les étudiants veilleront à ne porter aucun signe distinctif : dans le Travail Social, vis-à-vis des usagers, porter un signe distinctif (vestimentaire ou emblématique) est déjà donner à ceux-ci un message porteur de certaines valeurs, ce qui est tout à fait contraire à la déontologie professionnelle de l'” AS “;
En date du 4 octobre 1996,
la directrice de l’EOS reçut la visite de deux étudiantes (El B.. et I.) venues lui expliquer qu’elles n’avaient pas compris immédiatement être, notamment, concernées par la demande de ne pas porter de signes distinctifs à l’occasion des stages et exposer le problème que leur poserait la difficulté de devoir trouver à ce stade de l’année une autre école susceptible de les accueillir;
A titre exceptionnel, la directrice de l’EOS accepta dès lors le port du (Hijab) pour cette année-là dans le cadre du stage, décision confirmée à deux autres étudiantes concernées (M… T. et A… T.) quelques jours plus tard;
Cette dérogation fut uniquement inspirée par des considérations bienveillantes et il ne fut jamais question que cela puisse devenir une exception générale à la règle;
A l’occasion de la rentrée académique 1997-1998, il fut procédé comme l’année précédente à une distribution, notamment, du texte du ” Complément au Règlement Général des études “, ainsi qu’à une lecture de celui-ci, en date des 15 et 16 septembre 1997.
Il fut par ailleurs bien précisé que ce document, de même que le Règlement général des études, devaient être acceptés par les étudiants désireux de s’inscrire. Ceci ne suscita initialement aucune réaction;
Il est cependant apparu assez rapidement que les demanderesses n’avaient aucune intention d’accepter les règlements de l’école;
Dans le courant du mois d’octobre 1997, la directrice du Département Social – Ecole Ouvière Supérieure de la défenderesse eut une discussion en classe de 3ème., en présence de quatre demanderesses, lesquelles affirmèrent n’avoir jamais été informées de rien et, ce qui est contradictoire, n’avoir pas eu connaissance du fait que la dérogation dont elles avaient bénéficié ne concernait que cette année-là. En d’autres termes, la directrice était ainsi ouvertement et publiquement accusée de mensonges;
En date du 16 octobre 1997, la directrice de l’école refit le tour des classes afin de réexpliquer les règlements et de préciser qu’il était possible de changer d’école jusqu’au 15 novembre, information qui fut confirmée par affichage le 20 octobre 1997;
Les demanderesses veillèrent alors à solliciter l’intervention de tiers, à avertir la presse (De Morgen et RTL-TVI), à distribuer des tracts à la sortie de l’école;
Par courrier du 17 novembre dernier, la défenderesse veilla à rappeler aux demanderesses qu’à défaut pour elles de signer le bulletin d’inscription, la date ultime étant en principe le 15 novembre, elles ne pourraient être considérées comme inscrites;
A leur demande, les demanderesses furent reçues par plusieurs membres du conseil d’administration de la défendersse, en date du 21 novembre 1997, réunion à l’issue de laquelle elles refusèrent de signer les documents d’inscription, au motif qu’elles n’entendaient pas accepter les règlements de la défenderesse;
La conséquence en est dès lors que, conformément au prscrit notamment de l’article 28 du Décret de la Communauté Française du 5 août 1995 relatif à l’organisation de l’enseignement, les demanderesses ne sont pas inscrites comme étudiantes, de sorte qu’elles ne peuvent évidemment pas suivre les cours, ce qui fut confirmé par une lettre de la défenderesse du 24 novembre 1997;

OBJET DE L’ACTION :

Attendu que les demanderesses se plaignent de l’existence d’un Complément au Règlement Général des études appliqué dans la section Département social – Ecole Ouvière Supérieure de la défenderesse, dont l’objet vise notamment à interdire aux étudiants de porter des signes distinctifs à l’occasion des stages;
Qu’elles soutiennent qu’il s’agirait là d’une modification du règlement dont elles n’auraient appris l’existence que fin octobre 1997 et contestent le fait que leur soit ainsi interdit le port d’un signe distinctif de leur religion, à savoir un (Hijab);
Qu’elles relèvent qu’elles auraient en définitive été exclues de l’école;
Que l’action introduite vise dès lors à ce que soit ordonnée l’admission des demanderesses aux cours dispensés par le Département social – Ecole Ouvière Supérieure de la défenderesse et que soient ainsi inscrites les demanderesses ” si celles-ci remplissent toutes les autres conditions que celle imposée dernièrement aux demanderesses de ne pas porter de signe distinctif ou emblématique “;

EN DROIT :

Attendu que la Constitution belge du 7 février 1831 a instauré une relation juridique particulière entre l’Eglise et l’Etat en Belgique. Le régime adopté se caractérise par une séparation relative et une indépendance mutuelle.
L’Etat fait à quelques exceptions malheureuses près preuve de tolérance et de neutralité vis-à-vis des convictions religieuses et des conceptions philosophiques des citoyens. La liberté de culte est garantie par la Constitution.
L’Etat ne tolère en principe aucune immixion de l’Eglise dans les affaires publiques. Les autorités écllésiastiques ne sont donc pas reconnues comme des pouvoirs publics. De son côté, l’Etat ne se mêle généralement pas non plus des affaires de l’Eglise. Le législateur a reconnu et financé certains cultes;
Attendu que le culte islamique est le cinquième culte a avoir été reconnu par l’Etat belge;
Qu’en effet en 1974, l’Islam s’est vu conférer, par la loi belge du 19 juillet 1974 (MB du 23.8.1974) le statut de religion reconnue;
Qu’à cet effet, la loi du 4 mars 1870 sur le ” temporel des cultes ” (MB 9.3.1870) a été modifiée;
Que cette reconnaissance s’est traduite essentiellement par l’introduction depuis 1978 de cours de religion islamique dans les écoles officielles et par l’organisation juridique sur une base territoriale provinciale du ” temporel du culte “;
Qu’il y a lieu d’observer qu’il existe une grande diversité entre les communautés musulmanes (marocaine, algérienne, tunisienne, turque etc…) et l’on ne peut ignorer des tensions qui sont nées par suite de l’interventionnisme de certains Etats é
trangers;
Qu’ainsi on compterait environ 300 000 musulmans (avec une dominante turque et marocaine) et environ 240 mosquées subsidiées par certains pays musulmans;
Qu’ainsi que l’on remarqué deux sociologues (un homme Farhad Khoszokbavar et une femme Françoise Gaspard) co-auteurs de l’ouvrage ” Le et la République ” (Edit. 1995, La Découverte, Paris) :
” le voile ne revêt pas un sens univoque chez les filles et les femmes musulmanes dont une majorité est le produit d’une immigration récente “;
Attendu que selon ces auteurs l’on peut distinguer trois cas de figure :
” celui des femmes traditionnelles, d’abord, appartenant en majorité à la génération des parents, qui vivent en France mais n’ont pas été acculturés par la société française. En deuxième lieu, celui des jeunes filles adolescentes ou préadolescentes. Enfin, celui des jeunes femmes de seize à vingt-cinq ans, acculturées par l’école française, et, quelquefois nées en France “;
Qu’en ce qui concerne les des adolescentes, les auteurs précités distinguent :
– celui de la jeune fille que le porte pour complaire à ses parents, le plus souvent des immigrés récents, dont le père est pratiquant, – et celui de la jeune fille qui ressent le comme une contrainte pure et simple exercée par les parents sur les jeunes filles qui refusent de le porter et qui dépourvues de moyens de défense, sont néanmoins forcées de s’incliner devant leur volonté. Le rôle du frère est souvent répressif…;
Qu’au-delà du voile traditionnel de l’immigrée, deux modèles dominant sont à distinguer : le voile imposé – instrumentalisé par la jeune fille ou implicitement rejeté par elle – et le voile revendiqué;
Que ce dernier voile (autonome), chez des jeunes de seize à vingt-cinq ans, qui le revendiquent, quelques fois en accord avec leurs parents, d’autres fois contre leur gré est de loin le plus inattendu… il marque… (le) refus de l’islam quiétiste et traditionaliste des parents. Il se veut militant… le voile est l’expression d’une identité…;
Les demanderesses soutiennent que le port du (Hijab) constitue une obligation de la femme musulmane basée sur les textes coraniques et les paroles prophétiques;
Dans notre état de droit qui n’est pas théocratique mais d’inspiration pluraliste, ces textes coraniques et paroles prophétiques, pas plus que la bible, l’évangile ou autres textes religieux, ne constituent une règle de droit à laquelle les organes de l’Etat seraient soumis;
Ils interviennent cependant dans la définition de la liberté de toute personne de manifester sa religion (article 9 du Traité de Rome approuvé par la loi du 13 mai 1955) et par déterminer le respect des conceptions philosophiques et religieuses que la loi scolaire du 29 mai 1959 impose comme un des critères de neutralité;
Les demanderesses pourraient donc s’en prévaloir pour faire reconnaître la prééminence du respect des droits de l’homme et des droits fondamentaux;
Les demanderesses ne peuvent cependant pas perdre de vue qu’en invoquant l’article 9 du Traité de Rome, ils acceptent implicitement les restrictions à la liberté de manifester leur religion prévues par l’article 9.2 de ce traité, à savoir ” celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui “;
La défenderesse y oppose son règlement d’ordre intérieur;
Attendu qu’il est certain qu’il n’appartient pas au pouvoir judiciaire ou aux autorités étatiques de définir le contenu d’une religion ou d’interpréter les commandements ou recommandations qu’elle impose à ses adeptes; que quand bien même certains Etats traditionnellement islamistes considèrent le voile comme un simple voeu ou l’interdisent en certaines circonstances, les références citées du Coran autorisent certains à penser qu’il s’agit d’une obligation; que l’opinion des fidèles adhérant à cette pensée est certainement respectable;
Que la liberté de pensée, de conscience et de religion s’exerce dans le for intérieur de l’individu et ne s’extériorise point (Velu, RPDB, Compl. VII, v° ” Convention européenne des droits de l’homme, p. 355, n° 14); qu’à cet aspect interne du droit reconnu par l’article 9 de la Convention, l’on oppose un aspect externe impliquant la liberté de manifester sa religion, individuellement ou collectivement (ibid., p. 357, n° 723) mais avec des restrictions possibles lorsque les pratiques sont de nature à provoquer le désordre (ibid. p. 358, n° 728);
Que les droits et libertés, qu’ils soient reconnus par des normes internationales ou constitutionnelles, ne sont jamais illimités et absolus (Cass., 19 oct. 1953, Pas., 1954, I, 110; Cass., 29 oct. 1973, Pas. 1974, I, 233); que les textes qui les instituent n’interdisent pas toute distinction de traitement dans l’exercice des droits et libertés reconnus, l’égalité de traitement n’étant violée que si la distinction est arbitraire, c’est-à-dire si elle manque de justification raisonnable et objective (Cass., 7 oct. 1981, Pas., 1982, I, 194);
Attendu que lorsqu’il interdit tout insigne, bijoux ou vêtements manifestant une opinion philosophique, religieuse ou politique, le règlement litigieux traite sans discrimination l’ensemble des élèves et vise à éviter le militantisme affiché qui peut constituer un défi à l’opinion plus discrète des autres ainsi qu’à l’autorité qui a la charge du bon ordre de l’établissement et doit veiller à la paisible coexistence des différentes opinions; que l’excès est principalement visé en ce qu’il contient de provocation, de refus des autres, de négation de la mission de l’école qui est aussi de préparer les élèves à la vie sociale active où ils devront s’intégrer dans le respect des habitudes du plus grand nombre;
Attendu que le règlement incriminé n’apparaît pas manifestement illégal ou contraire aux règles et principes garantissant aux étudiants les droits fondamentaux tenant à la liberté
de conscience et de culte;
Attendu que le droit à l’instruction garanti par l’article 2 du premier protocole de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne confère aux jeunes le droit d’être acceptés dans tout établissement de leur choix ou dans toute forme d’enseignement qu’ils souhaiteraient suivre (CE, 9 avril 1992, arrêt n° 39 198, RACE, 1992, p. 10); que dans son pouvoir de réglementation de l’enseignement, l’Etat doit ménager un juste équilibre entre la sauvegarde de l’intérêt général de la communauté et le respect des droits fondamentaux de l’homme (RPDB, compl. VII, déjà cité, p. 372, n° 774);
Attendu que la Commission européenne des droits de l’homme, après avoir rappelé que l’article 9 de la Convention protège expressément le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites d’une religion ou d’une croyance, ” a déjà décidé que l’article 9 de la convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par cette conviction ” (voy. décision du 3 mai 1993, JT, 1993, p. 22); que dans cette affaire, la Commission avait noté que ” le règlement de l’université concernant la tenue vestimentaire impose aux étudiants, entre autres, d’avoir la tête non couverte par un ” et relevait, en guise de justification des autorités turques ayant interdit le port du islamique, que ce vêtement pouvait ” constituer un défi à l’égard de ceux qui le portent pas “;
La Commission rappelle que l’article 9 de la Convention protège expressément ” le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ” d’une religion ou d’une croyance;
La Commission a déjà décidé que l’article 9 de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par cette conviction, notamment, le terme ” pratiques “, au sens de l’article 9, par. 1, ne désigne pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction (cf. n° 7050/75 Arrowsmith c/Royaume Uni, rapport Comm. par. 71, DR 19, p. 5 et n° 10358/83, déc. du 15.12.83, DR 37, p. 142);
Pour savoir si cette disposition a été méconnue en l’espèce, il faut d’abord rechercher si la mesure litigieuse constituait une ingérence dans l’exercice de la liberté de religion;
La Commission est d’avis qu’en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire. Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. Notamment, dans les pays où la grande majorité de la population adhère à une religion précise, la manifestation des rites et des symboles de cette religion, sans restriction de lieu et de forme, peut constituer une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas ladite religion ou sur ceux adhérant à une autre religion. Les universités laïques, lorsqu’elles établissent les règles disciplinaires concernant la tenue vestimentaire des étudiants, peuvent veiller à ce que certains courants fondamentalistes religieux ne troublent pas l’ordre public dans l’enseignement supérieur et ne portent pas atteinte aux croyances d’autrui;
La Commission note que le règlement de l’université concernant la tenue vestimentaire impose aux étudiants, entre autres, d’avoir la tête non couverte par un . La Commission prend également en considération les observations de la Cour Constitutionnelle turque qui estime que le port de islamique dans les universités turques peut constituer un défi à l’égard de ceux qui ne le portent pas.
La Commission considère que le statut d’étudiant dans une université laïque implique, par nature, la soumission à certaines règles de conduite établies afin d’assurer le respect des droits et libertés d’autrui. Le règlement d’une université laïque peut prévoir également que le diplôme qu’on fournit aux étudiants ne reflète en aucune manière l’identité d’un mouvement s’inspirant d’une religion et auquel peuvent participer ces étudiants;

DISCUSSION :

A. LA LEGALITE DES PRINCIPES DEFENDUS PAR LA DEFENDERESSE ET DU REGLEMENT DONT QUESTION :
Que la position de la défenderesse n’a rien de nouveau et n’est prima facie pas discriminatoire, ce litige n’ayant aucun lien avec un problème d’acceptation de différences ou de conceptions religieuses;
Qu’objectivement, il existe une différence sensible entre accepter les convictions des uns et des autres et permettre que celles-ci soient affichées dans le cadre d’une mission comme celle d’assistante sociale;
Que la position de la défenderesse, selon laquelle la personne doit s’effacer devant les devoirs d’un assistant social, peut ne pas être partagée, mais ne saurait certainement pas être critiquée;
Que la défenderesse est loin d’être la seule à adopter une telle conception, puisque l’Union des Associations francophones d’Assistants Sociaux a édité, en 1985, un code de déontologie disposant notamment que :
Titre I, Article 1-2 : ” le respect des opinions religieuses, philosophiques et politiques d’autrui s’impose à l’assistant social dans l’exercice de sa profession quelles que soient ses propres convictions “.
Titre II, Article 2-2 : ” Toute activité professionnelle de l’assistant social est basée sur le respect inconditionnel de la personne, sans distinction de sexe, de condition sociale, d’opinions politiques, philosophiques ou religieuses, d’appartenance culturelle ou raciale “;
Que les principes ainsi énoncés ont été repris à l’article 3 d’un Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 15 mai 1997 relatif au code de déontologie des travailleurs sociaux dans le domaine de l’aide à la jeunesse;
Que la position de l’EOS, et à présent de la défenderesse, a toujours été qu’il est de la fonction même d’un assistant social de ne jamais faire état de ses propres convictions dans le cadre de sa mission, et d’être au contraire entièrement au service des personnes qui sollicitent une aide;
Que ceci est notamment rappelé dans le code de déontologie précité de 1985, disposant en son Titre II, article 3 que : ” l’assistant social donne la primauté aux intérêts et volontés des personnes, groupes et collectivités pour lesquelles il est amené à intervenir professionnellement. “;
Que si les demanderesses ne pouvaient accepter ces principes, ce qui est une question de choix personnel, il leur appartenait de rechercher sans retard un autre établissement d’enseignement acceptant leurs positions;
Qu’il convient de préciser que plusieurs étudiantes, qui portent habituellement un , ont accepté le point de vue de la défenderesse et admettent donc de retirer ce signe distinctif lors des stages;
Que la clause critiquée des règlements de la défenderesse reposant sur des considérations objectives propres à une certaine conception du rôle d’un assistant social, il ne saurait être question en l’espèce de discrimination;
B. L’INFORMATION DES DEMANDERESSES :
Attendu que si les conceptions de la défenderesse ne paraissent pas critiquables et sont parfaitement légales, un problème pourrait cependant se poser si, comme l’affirment les demanderesses, le règlement critiqué n’avait été communiqué à ces dernières que fin octobre 1997, soit trop tard pour changer d’école;
Qu’il résulte cependant à l’évidence de l’exposé des faits que les affirmations des demanderesses sont fausses;
Que les demanderesses T. A. et M…, El B. et I. ont reçu une information verbale sur l’interdiction du port de signe distinctifs à l’occasion des stages à au moins deux reprises durant leur première année (les stages ne débutent qu’en deuxième année);
Que chacune des demanderesses a lu et déclaré accepter, lors de l’inscription pour l’année académique 1996-1997, la convention pédagogique rappelant, notamment, l’interdiction du port de signes distinctifs;
Que chacune des demanderesses a reçu, le 13 septembre 1996, le texte du Complément au règlement général des études;
Que les quatre demanderesses déjà inscrites en 2ème. année à ce moment ne peuvent soutenir ne pas avoir eu leur attention attirée sur cette interdiction, puisqu’elles ont eu des contacts à ce propos avec la directrice de l’école;
Qu’à l’occasion de la rentrée académique 1997-1998, le texte des règlements a été distribué les 15 et 16 septembre 1997, sans que cela ne suscite d’ailleurs initialement la moindre action;
Qu’il est donc totalement contraire à la vérité de prétendre que les demanderesses n’auraient pas été correctement informées, ceci étant d’autant moins vrai qu’elles ont accepté d’adhérer à la convention pédagogique, reprenant explicitement l’interdiction à présent querellée;
Attendu que les demanderesses ne sauraient tirer argument du fait que certaines d’entre elles ont bénéficié d’une dérogation durant l’année académique 1996-1997 et ont donc été autorisées à porter le durant les stages (Mesdemoiselles T.
A… et M.., El B. et I.);
Qu’outre, incidemment, que le fait que cette dérogation ait été sollicitée prouve que les demanderesses étaient parfaitement informées de la situation, il ne fut en toute hypothèse jamais question d’une modification du règlement;
Que la défenderesse a sans doute eu le tort de croire que certaines des demanderesses pouvaient avoir été inattentives à la règle de l’absence du port de signes distinctifs durant les stages et a fait montre de trop de bienveillance, car il y a tout lieu de penser, au vu de la situation actuelle, que les demanderesses ont toujours eu l’intention de poursuivre leurs études dans la même école, mais sans pour autant en respecter les aspects du règlement qui ne leur convenaient pas;
C. CONCLUSION : ABSENCE DE FONDEMENT DE L’ACTION :
1.
Attendu qu’il convient tout d’abord d’être clair sur le fait que, contrairement à ce que prétendent les demanderesses, ces dernières n’ont aucunement été exclues de l’école;
Que la défenderesse n’a en effet pris aucune mesure disciplinaire à leur encontre;
Que la réalité est plus simple, puisque les demanderesses ont refusé de signer les documents d’inscriptions;
Que conformément au Décret précité du 5 août 1995 et à la circulaire de la Communauté Française relative à la rentrée académique 1997-1998, chaque étudiant doit signer un bulletin d’inscription au plus tard le 15 novembre, ce que les demanderesses n’ignoraient aucunement;
Qu’à défaut pour ces dernières de s’être régulièrement inscrites dans les délais, elles ne sauraient évidemment pas être admises à suivre les cours;
Que ceci ne dépend aucunement de la volonté de la défenderesse, à qui peut seulement être reproché d’avoir accepté le minerval avant la signature du formulaire d’inscription;
2.
Attendu que même si les délais d’inscription n’étaient pas clôturés, ce qui est cependant incontestablement le cas, il ne saurait être admis que les demanderesses soient autorisées à suivre les cours sans avoir préalablement déclaré adhérer aux règlements de la défenderesse, ceci sans restriction;
Qu’il s’agit à nouveau là d’une obligation, de même que la défenderesse a de son côté l’obligation, en vertu de l’article 27 du Décret du 5 août 1995 précité, d’adopter un règlement général des études;
3.
Attendu qu’il y a par ailleurs lieu de tenir compte du fait que le règlement critiqué par les demanderesses n’a prima facie rien d’illégal (cf. Commission européenne des droits de l’homme, décision du 3 mai 1993, req. n° 16278/90, Karaduman c/Turquie, Journal des Tribunaux des Communautés européennes);
Que les conceptions de la défenderesse ne relèvent aucunement de la discrimination, à défaut de quoi elle aurait, au minimum, adopté une interdiction généralisée du port du ;
Que non seulement il n’est pas question d’une telle interdiction générale mais, en outre,
le règlement critiqué est loin de s’appliquer à la seule question du port d’un ;
Que si les demanderesses estiment que leurs convictions personnelles sont prioritaires par rapport à la fonction d’assistant social, ou encore considèrent que l’affichage des unes n’est pas incompatible avec la mission de l’autre, ceci ne regarde qu’elles, mais force est de constater que cela est en contradiction avec les conceptions de la défenderesse, qui n’a aucune raison de se laisser imposer un point de vue qui n’est pas le sien et qui n’est d’ailleurs pas partagé par la grande majorité de la population estudiantine, toutes confessions et convictions philosophiques confondues;
Que les demanderesses savent depuis le début de leurs études que la défenderesse place la consience professionnelle avant les convictions personnelles, et elles ont toujours été libres, soit d’accepter ce point de vue, soit de rechercher une autre école susceptible de les accepter;
Qu’enfin, et surabondamment, il convient de rappeler qu’il a déjà été jugé que l’interdiction du port d’insignes manifestant une opinion politique, religieuse ou philosophique n’était pas manifestement contraire à la liberté de conscience et de culte garantie aux étudiants, lorsque ceci est appliqué sans discrimination et repose sur des considérations objectives (Liège, 23 février 1995, JT 1995, p. 720);
4.
Attendu, enfin, qu’au delà du fait que les demanderesses ne sauraient légalement être autorisées à suivre les cours dispensés par la défenderesse, et de la circonstance que le règlement litigieux est parfaitement justifié, la défenderesse ne peut à ce jour que s’opposer fermement au retour des demanderesses;
Qu’il ne saurait être perdu de vue que la volonté de ” conciliation ” des demanderesses a notamment impliqué l’avertissement de la presse et la distribution de tracts à la sortie de l’école;
Qu’en outre, il ne saurait être perdu de vue non plus qu’une dizaine d’étudiantes de confession islamique, et portant habituellement un , sont régulièrement inscrites aux cours de la défenderesse et ont accepté le règlement de cette dernière interdisant le port de signes distinctifs à l’occasion des stages;
Qu’une dérogation spéciale éventuelle au profit des demanderesses serait discriminatoire à l’égard de ces autres étudiantes, sans compter ceux et celles qui ont accepté de retirer leur croix catholique, leur étoile de David etc…;

PAR CES MOTIFS,

Nous, DESMEDT H.,
juge désigné pour remplacer le président du tribunal de première instance de Bruxelles;
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire et l’article 584 du code judiciaire;

Statuant au provisoire, contradictoirement;
Rejetant toutes conclusions autres plus amples ou contraires;
Déclarons l’action recevable mais non fondée;
Déboutons les demanderesses de l’ensemble de leurs prétentions;
Condamnons les demanderesses aux dépens, en ce compris l’indemnité de procédure, liquidés :
pour les parties demanderesses à
la somme de 2 800 + 3 835 + 4 100 francs et pour la partie défenderesse à celle de 4 100,- francs.)