Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

Olir

Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 4 Novembre 2004

Decisione 04 novembre 2004, n.65831/01

QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 65831/01
présentée par Roger GARAUDY
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 24 juin 2003 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. M. Pellonpää,
J.- P Costa,
Mme E. Palm,
MM. M. Fischbach,
J. Casadevall,
J. Borrego Borrego, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 octobre 2000,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT
Le requérant, Monsieur Roger Garaudy, est un ressortissant français, né en 1913 et résidant à Chennevières-sur-Marne. Philosophe, écrivain, il fut aussi homme politique. Il est représenté devant la Cour par Me I. Coutant Peyre, avocate au barreau de Paris.

A. Les circonstances de l’espèce
Le requérant explique qu’il est l’auteur de nombreux livres et essais relatifs notamment à l’histoire, à la philosophie et aux problèmes du marxisme, mais aussi à la religion et au dialogue des civilisations. Homme politique, humaniste marxiste puis chrétien, il s’est ensuite converti à l’Islam.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En décembre 1995, le requérant publia un ouvrage intitulé « Les mythes fondateurs de la politique israélienne », paru hors commerce aux éditions « La vielle taupe » puis à compte d’auteur dans le courant des mois d’avril et de mai 1996 sous la forme de « Samiszdat Roger Garaudy ». De février à juillet 1996, quatre plaintes avec constitution de partie civile des chefs de contestation de crimes contre l’humanité, de diffamation publique raciale et de provocation à la haine ou à la violence à raison de la race ou de la religion furent déposées contre le requérant par une série d’associations de résistants, de déportés et d’organisations de protection des droits de l’Homme, concernant différents passages des deux éditions de cet ouvrage. Ces quatre plaintes firent l’objet de l’ouverture de quatre informations judiciaires au cabinet du juge d’instruction. D’autres associations intervinrent par la suite dans chacune des procédures par voie de plaintes avec constitution de partie civile. Par ailleurs, une information judiciaire fut ouverte le 6 juin 1996 contre le requérant par le procureur de la République de Paris du chef de contestation de crimes contre l’humanité.
Par cinq ordonnances rendues le 7 mars 1997 par la juridiction d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, le requérant fut renvoyé devant ce tribunal pour y répondre de cinq délits. Les juridictions du fond furent donc saisies de cinq procédures distinctes. Ces procédures mettaient en cause deux éditions différentes et des passages différents de l’ouvrage du requérant. A chacun des stades de ces procédures, les juridictions se prononcèrent le même jour, au cours des mêmes audiences et chacune des parties présenta une seule plaidoirie pour les cinq dossiers. Les juridictions étaient composées des mêmes magistrats qui ont eu à connaître des cinq affaires à chacun des stades, tout en donnant lieu à cinq décisions différentes.
Le requérant engagea également une procédure en inscription de faux qui donna lieu à une ordonnance du premier président de la Cour de cassation.

1. La première procédure concernant les chapitres 2 et 3 respectivement intitulés « le mythe de la justice de Nuremberg » et « le mythe de l’holocauste » de l’édition de décembre 1995 (infraction poursuivie : complicité de contestation de crimes contre l’humanité)
Le 22 février 1996, une plainte avec constitution de partie civile fut déposée par l’Union nationale des associations des déportés et internés de la résistance et la Fédération nationale des déportés et internés de la résistance du chef de délit de contestation de crimes contre l’humanité. La plainte visait non seulement le requérant, mais également M. Pierre Guillaume, directeur de publication de « La vieille taupe », pour la publication en décembre 1995 de l’ouvrage du requérant, retenu au titre des chapitres 2 et 3 (pages 72 et 136).
S’appuyant sur les articles 23, 24 al.6, 24bis, 42, 43 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’un des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris renvoya, par ordonnance rendue le 7 mars 1997, le requérant et M. Pierre Guillaume devant ce tribunal pour y répondre respectivement comme auteur et complice du délit de contestation de crime contre l’humanité.
Le 27 février 1998, le tribunal relaxa les prévenus des fins de la poursuite et débouta les parties civiles. Notant que « l’article 24bis [de la loi du 29 juillet 1881] renvoie (…) expressément aux moyens de publicité énoncés à l’article 23 » et que « la publicité est donc l’un des éléments constitutifs du délit », le tribunal énonça que « la publicité doit être matériellement constatée et imputable au prévenu ». Or, le tribunal considéra que les parties poursuivantes n’avaient pas apporté une preuve suffisante de ce que l’édition de 1995 avait eu une publicité au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881. Faute de cet élément de publicité, le délit ne pouvait pas être caractérisé et le tribunal n’examina pas le fond des poursuites.
Devant le tribunal, le requérant avait demandé, par la voie d’exception préjudicielle, que la Cour européenne des Droits de l’Homme soit saisie et se prononce sur la compatibilité de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 avec la Convention européenne des Droits de l’Homme et notamment son article 10. Soulignant que la Convention est d’application directe en France, le tribunal déclara irrecevable l’exception préjudicielle proposée par le requérant.
Le ministère public ainsi que sept associations parties civiles interjetèrent appel du jugement du tribunal de grande instance de Paris.
Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour d’appel de Paris infirma le jugement précédent, condamna le requérant à six mois d’emprisonnement avec sursis et à 50 000 francs français (FRF) d’amende, et fixa à un franc la somme due pour dommages et intérêts aux parties civiles. M. Pierre Guillaume fut condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et à 30 000 FRF d’amende. La cour ordonna en outre la publication dans le Journal officiel de l’annonce de la condamnation de M. Pierre Guillaume pour avoir publié l’ouvrage du requérant.
Dans son arrêt, la cour, en se fondant sur l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que sur le texte de référence auquel il renvoie, à savoir l’article 6 du statut du tribunal militaire international qui définit le crime contre l’humanité, estima que les éléments constitutifs du délit de contestation de crimes contre l’humanité étaient réunis.
Elle estima d’abord que l’élément de publicité était réalisé par la diffusion de l’ouvrage par abonnements payants accessibles au public.
Elle examina ensuite la compatibilité de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 avec l’article 10 de la Convention, soulevée par le requérant. Elle confirma cette compatibilité en ces termes :
« L’article 10 de la Convention précitée doit être interprété au regard des dispositions de l’article 17 du même texte selon lequel il ne saurait servir de fondement pour des activités ou des actes visant à la destruction des droits ou libertés reconnus par ladite Convention.
Or, d’une part l’article 24bis rentre dans « les mesures nécessaires dans un Etat démocratique » à préserver les droits d’autrui, prévues par l’article 10, car il s’agit de la protection des droits des victimes du nazisme pour assurer et prévenir le respect dû à leur mémoire. Un témoin, M. Finkelkraut, a d’ailleurs parlé du caractère « offensant d’expulser les survivants de leur malheur et les morts de leur mort ».
D’autre part, l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 a pour but de prévenir ou de punir la remise en cause publique de la chose jugée par le tribunal militaire international de Nuremberg, sur des faits qui sont radicalement incompatibles avec les valeurs de la Convention au sens de l’article 17 de celle-ci.
Quant à l’argument tiré de l’arrêt Isorni/Lehideux, la Cour relève que la Cour européenne s’y est prononcée à deux reprises sur la question de l’application de l’article 10 aux crimes contre l’humanité :
§ 47 : « …[l’affaire] échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis – tels l’Holocauste – dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 ».
§ 53 : « Il ne fait pas de doute qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, la justification d’une politique pronazi ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 ».
Il n’y a donc pas lieu de retenir ce moyen. »
La cour releva ensuite en ces termes l’existence des éléments constitutifs du délit de contestation de crimes contre l’humanité :
« Au regard des éléments figurant au dossier et des débats qui ont eu lieu devant la cour, il apparaît que le propos tenu dans l’ouvrage de M. Garaudy a pour objet de nier qu’il y a eu l’organisation d’une « solution finale », au sens d’extermination des

personnes, concernant la question juive. La dénégation porte également sur le mode opératoire qui était, lorsque ces personnes n’étaient pas ou plus en état de travailler, de les tuer dans des chambres à gaz puis d’incinérer leurs corps.
La démonstration de M. Garaudy est ordonnée autour de deux thèmes : la contestation des conditions d’étude des faits, la contestation des faits eux-mêmes. »
Sur la contestation des conditions d’étude des faits, la cour releva les éléments suivants :
« – la banalisation des faits : face à un événement qui a été considéré comme exceptionnel, celui de la destruction de personnes à raison de leur appartenance à une race, M. Garaudy effectue un certain nombre de comparaisons qui ont pour objet de banaliser ce crime d’une part en le comparant à des actes qu’il reproche aux alliés, d’autre part en faisant des rapprochements avec d’autres situations historiques.
Après avoir rappelé quelques uns des propos d’Hitler sur le sort qui aurait dû être réservé aux juifs à l’occasion de la Première guerre mondiale (…) et en cas d’une Seconde guerre mondiale « le résultat … serait … l’anéantissement de la race juive en Europe … » (page 76), M. Garaudy écrit à la page 81 « Ni Churchill, ni Staline, ni Truman ne furent assis au banc des criminels de guerre. Pas plus que furent mis en cause les auteurs des plus ignobles appels au crime … l’appel à un « génocide », cette fois au vrai sens du mot, lancé en 1942, par le livre du juif américain, Théodor Kaufman … » puis en bas de page et page 82 « … ne figuraient pas parmi les accusés de Nuremberg … ni les responsables anglo-américains du bombardement de Dresde … ni le coupable Truman, de l’apocalypse atomique d’Hiroshima et de Nagasaki … ».
Puis au sujet du bilan quantitatif à la page 138 : « La domination hitlérienne fut donc autre chose qu’un vaste « pogrom » dont les Juifs auraient été, sinon les seules du moins les principales victimes, comme une certaine propagande tend à l’accréditer. Elle fut une catastrophe humaine qui, malheureusement n’est pas sans précédent, car Hitler appliqua à des blancs ce que les colonialistes européens, depuis cinq siècles, appliquaient aux « hommes de couleur ».
– la péjoration des faits : M. Garaudy indique dans son ouvrage la nécessité d’un débat : page 135 « Tant que n’aura pas lieu, entre spécialistes de compétence égale, un débat scientifique et public sur le rapport de l’ingénieur Fred Leuchter, et sur la contre-expertise de Cracovie (…) un doute existera et même le scepticisme ». Cette démarche qu’il présente comme de rigueur historique est en fait accompagnée d’une autre qui consiste, par les termes employés à frapper à l’avance d’imposture la question de l’extermination systématique et massive des Juifs. C’est ainsi que l’on relève entre guillemets « les chambres à gaz », les « génocides » et les « holocaustes », présentés comme un « alibi inespéré » (…), « le mythe déguisé en histoire et son utilisation politique », « le mythe de six millions de Juifs exterminés devenu un dogme justifiant, sacralisant (comme l’indique le mot même d’Holocauste) toutes les exactions » (page 85).
Si le mot de mythe peut recevoir le sens d’une représentation symbolique il apparaît, au regard du contexte, qu’il est ici employé dans un sens de contre-vérité.
L’ouvrage révèle la même démarche pour les chambres à gaz au sujet desquelles il est parlé de « spectre des chambres à gaz » (page 144), et les fours crématoires « il existe des fours crématoires dans toutes les grandes villes, à Paris (au Père-Lachaise), à Londres, et dans toutes les capitales importantes, et ces incinérations ne signifient pas évidemment une volonté d’exterminer les populations » (page 145), une telle comparaison enlevant tout sens à leur présence dans les camps nazis.
Cette approche est complétée par l’utilisation de la dérision à l’égard d’un certain nombre de termes qui désignent les faits de la cause. Il est fait usage de l’expression de « Shoah business » de « bandes romancées », pour les films consacrés à ce sujet. Un débat a eu lieu devant la cour sur l’origine de cette terminologie mais, quelle qu’elle soit, il en a bien été fait usage au cas d’espèce qui vise à assimiler lesdits faits à une fiction » ;
– la disqualification des institutions et des témoignages concernant le sujet : les termes employés par M. Garaudy au sujet du tribunal de Nuremberg sont systématiquement de contestation de sa légitimité et de dévalorisation de son action. Il écrit ainsi en titre à la page 72 « le mythe de la justice de Nuremberg », à la page 73 « Ce n’est pas un tribunal international puisqu’il n’est constitué que par les vainqueurs et que, par conséquent, ne seront retenus que les crimes commis par les vaincus », à la page 112 « les vainqueurs déguisés en toge de juge. Quant au procès d’Auschwitz qui a porté sur les mêmes sujets, il est mis en parallèle, page 110, avec les « procès des sorcières » (…).
Quant aux photos de l’Album d’Auschwitz, que M. Garaudy a produit à nouveau devant la cour, « elles excluent en outre qu’une telle extermination ait pu avoir lieu au même moment en quelque lieu « secret » du camp » (page 133).
Dans cet état le rapport de l’ingénieur Leuchter qui conteste l’existence des chambres à gaz est présenté comme l’un des seuls qui « permettraient, s’ils étaient discutés sérieusement et publiquement de mettre fin aux polémiques ».
– la contestation du sens des mots tels que solution d’ensemble, solution finale (…) Le sens que donne chaque fois le prévenu à ces termes est celui d’une solution qui ne pourra intervenir qu’après la guerre (pages 96 et 107). Pour le reste il considère que la seule interprétation recevable de ces mots est géographique : il s’agit d’une expulsion vers Madagascar ou vers l’Est du continent européen. »
Sur la contestation des crimes contre l’humanité, la cour releva :
« M. Garaudy conteste la nature de la solution finale, il conteste également le nombre de victimes juives et l’origine de leur décès.
– Sur la nature de la solution finale : pour M. Garaudy « … aucun texte n’a jamais pu être produit attestant que « la solution finale » du problème juif était, pour les nazis, l’extermination » (page 141).
Il déduit par contre d’un certain nombre de citations de textes que cette solution était en réalité leur exil :
• au sujet d’une lettre de Goering à Heydrich « La seule solution finale » consistait donc à vider l’Europe de ses Juifs en les éloignant toujours plus jusqu’à ce que la guerre (à supposer qu’on la gagne) permette de les mettre tous dans un ghetto extérieur à l’Europe (comme le projet de Madagascar en avait été une première suggestion) » (page 94).
• au sujet d’un document dit protocole de Wannsee et relatant une réunion de dignitaires nazis « Il s’agit là d’un texte où il n’est pas question de chambre à gaz ni d’extermination, mais seulement de transfert de Juifs dans l’Est européen » (page 100).
• au sujet d’un texte d’Hitler « … il définissait, dès 1919, … ce qu’il appelait déjà son « but ultime », « l’éloignement des Juifs ». Ce « but ultime » restera le sien jusqu’à sa mort, comme la lutte contre le « bolchévisme » sur lequel il se brisera » (page 227).
Le prévenu conteste la vraisemblance même de l’idée de destruction des Juifs et ce, pour des raisons d’efficacité : « Il [Hitler] est acculé à mobiliser des effectifs nouveaux en dégarnissant ses usines, et il n’aurait eu que cette obsession fatale pour son effort de guerre, d’exterminer des prisonniers et des Juifs, au lieu de les employer, fut-ce dans des conditions inhumaines, à travailler dans ses chantiers. » Et Hannah Arendt ayant souligné le caractère « fou et chimérique » M. Garaudy écrit « Ce qui est encore plus étrange, c’est que des esprits aussi subtils que ceux de Poliakov ou de Hannah Arendt, aient été à ce point obnubilés par leur a priori, qu’ils n’aient pas mis en cause leurs hypothèses surréalistes » (pages 107 et 108) (…).
– Sur le nombre des victimes et l’origine des décès : M. Garaudy, dans de nombreux passages, conteste tout ensemble le nombre des morts juifs, l’origine de leur décès et l’utilisation des chambres à gaz pour les tuer.
Sur le nombre de morts à la page 85 « …. nous nous attacherons à examiner l’une des contrevérités qui exercent encore, après près d’un demi-siècle, le plus de ravages dans le monde actuel et pas seulement au Proche-Orient : le mythe des 6 millions de Juifs devenu un dogme. »
Le titre d’un chapitre à la page 136 « Le mythe de l’Holocauste ».
Les causes de ces morts pour M. Garaudy sont dans les déportations : « C’est là qu’ils subirent les pires souffrances, non seulement celles de toutes les populations civiles en tant de guerre … mais aussi le travail forcé … pour servir l’effort de guerre allemand … Enfin les épidémies, notamment le typhus, firent d’épouvantables ravages dans une population concentrationnaire sous-alimentée et réduite à l’épuisement ». « Est-il donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes pour expliquer la terrible mortalité qui frappa les victimes de tels traitements … » (page 143).
Il a déjà été indiqué le mode de mise en cause de l’existence des chambres à gaz. Il convient d’y ajouter des dénégations plus précises :
A la page 145 : « Il a fallu donc adjoindre aux fours crématoires des « chambres à gaz » pour établir le dogme de l’extermination par le feu ».
A la page 236 (passage non poursuivi en tant que tel, mais retenu ici au titre du contexte) : « Il a fallu, avec le même arbitraire, lorsque fut prouvé que, malgré un nombre considérable de « témoins oculaires » sur l’existence des « chambres à gaz », celles-ci n’avaient jamais existé en territoire allemand, continuer à tenir pour incontestables les témoignages identiques sur leur existence dans les camps de l’Est. »

Enfin, la cour conclut :
« Au cours des audiences M. Garaudy a été invité à s’exprimer sur l’ensemble des questions qui viennent d’être examinées. Ceci a été fait au regard de ses déclarations antérieures tant devant le magistrat instructeur que devant les premiers juges, dont la lecture intégrale a été effectuée.
Il a maintenu le contenu et le sens de ces déclarations qui confirmaient elles-mêmes le texte poursuivi. Il a notamment indiqué que son objectif était de lutter contre les risques présentés par le sionisme.
Devant la cour, le prévenu a, entre autres, redit qu’il n’y avait pas de preuve que la solution finale envisagée était l’extermination des juifs, (…) contesté l’existence de chambres à gaz à Auschwitz, confirmé sa mise en cause du nombre de 6 millions de morts. (…)
L’ensemble des éléments qui ont été précisés établissent que M. Roger Garaudy a commis le délit de contestation de crimes contre l’humanité. »
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Selon lui, l’incrimination de son ouvrage au titre de la contestation de crimes contre l’humanité au sens de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 n’entrait pas dans les exceptions autorisées par l’article 10 § 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme puisqu’il s’agissait d’un ouvrage de polémique politique exclusive de toute perspective raciste et qui n’entendait pas nier l’existence des crimes nazis.
Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« Attendu qu’en déclarant, par les motifs reproduits au moyen, le prévenu coupable du délit de contestation de crimes contre l’humanité, à raison de plusieurs passages de son ouvrage « les mythes fondateurs de la politique israélienne », la cour d’appel, qui n’a pas excédé les limites de la saisine, a justifié sa décision ;
Que les juges, au vu des termes employés dans les passages incriminés, mais aussi des éléments extrinsèques contenus dans d’autres parties de l’ouvrage, ont exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux ;
Que, par ailleurs, l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui garantit le principe de la liberté d’expression, comporte dans son alinéa 2 certaines limitations ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la défense de l’ordre de la protection des droits d’autrui ; que tel est l’objet de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 ;
Qu’enfin, la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation ; qu’elle est également caractérisée lorsque, sous couvert de recherche d’une supposée vérité historique, elle tend à nier les crimes contre l’humanité commis par les nazis à l’encontre de la communauté juive ; que tel est le cas en l’espèce.
D’où il suit que le moyen doit être écarté. »
2. La deuxième procédure concernant douze passages de l’édition d’avril-mai 1996 (infraction poursuivie : contestation de crimes contre l’humanité)
Le 6 mai 1996, une plainte avec constitution de partie civile fut déposée par l’Association des fils et des filles des déportés juifs de France contre les éditions « Samiszdat Roger Garaudy » et le requérant du chef de délit de contestation de crimes contre l’humanité. Elle visait l’intégralité de la deuxième édition de l’ouvrage du requérant.
Renvoyé devant le tribunal de grande instance de Paris par ordonnance du 7 mars 1997, le requérant fut cette fois condamné par ce tribunal.
En effet, le 27 février 1998, le tribunal reconnu le requérant coupable du délit de contestation de crimes contre l’humanité, le condamna à 30 000 FRF d’amende, fixa à un franc la somme due pour dommages et intérêts aux parties civiles et leur alloua une indemnité de 10 000 FRF. Dans son jugement, après avoir examiné les passages poursuivis, le tribunal releva :
« Il apparaît ainsi que, loin de se borner à une critique de nature politique ou idéologique du sionisme et des agissements de l’Etat d’Israël – critique parfaitement licite au regard des textes qui régissent la liberté d’expression – ou même de procéder à un exposé objectif des thèses négationnistes et de réclamer seulement, comme il le prétend, un « débat public et scientifique » sur l’événement historique des chambres à gaz, Roger GARAUDY a fait siennes lesdites thèses, et s’est livré à une contestation virulente et systématique de l’existence des crimes contre l’humanité commis contre la communauté juive, tels qu’ils ont été jugés par le Tribunal militaire international de Nuremberg.
Le délit de l’article 24bis est donc caractérisé. »
Le requérant, le ministère public ainsi que quatre associations parties civiles interjetèrent appel du jugement du tribunal de grande instance de Paris.
Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour d’appel de Paris confirma le jugement précédent et y ajouta une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Dans son arrêt, la cour se fonda sur une motivation analogue à celle utilisée dans l’arrêt rendu à la même date dans le cadre de la première procédure.
Comme dans la première procédure, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt dont la motivation était identique à celle de l’arrêt rendu à la même date dans la première procédure.

3. La troisième procédure concernant vingt passages de l’édition d’avril-mai 1996 (infraction poursuivie : contestation de crimes contre l’humanité)
Faisant suite à une information ouverte à la demande du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, le requérant fut renvoyé devant ce tribunal par ordonnance du 7 mars 1997.
Le 27 février 1998, le tribunal, après avoir examiné les passages poursuivis, reconnut le requérant coupable du délit de contestation de crimes contre l’humanité, le condamna à 50 000 FRF d’amende, fixa à un franc la somme due pour dommages et intérêts aux parties civiles et leur alloua une indemnité de 10 000 FRF. Le tribunal ordonna également la publication du dispositif de son jugement dans le Journal officiel de la République française.
Le requérant, le ministère public ainsi que cinq associations parties civiles interjetèrent appel du jugement.
Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour d’appel de Paris confirma le jugement précédent et y ajouta une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Elle ordonna également la publication dans le Journal officiel de la République française d’un encart annonçant la condamnation du requérant. Dans son arrêt, la cour se fonda sur une motivation analogue à celles utilisées dans les arrêts rendus à la même date dans le cadre des première et deuxième procédures.
Comme dans les deux procédures précédentes, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt dont la motivation était identique à celles des arrêts rendus à la même date dans le cadre de la première et de la deuxième procédure.
4. La quatrième procédure concernant plusieurs passages de l’édition d’avril-mai 1996 (infraction poursuivie : diffamation publique raciale)
Le 23 mai 1996, une plainte avec constitution de partie civile fut déposée par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) contre le requérant du chef de délit de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, ou une race ou une religion. Par ordonnance du 7 mars 1997, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de grande instance de Paris.
Le 27 février 1998, ce tribunal, s’appuyant sur les articles 23, 29 al. 1, 32 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881, après avoir examiné les passages poursuivis, reconnut le requérant coupable du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes, en l’espèce la communauté juive, le condamna à 20 000 FRF d’amende, fixa à un franc la somme due pour dommages et intérêts aux parties civiles et leur alloua des indemnités de 10 000 FRF, 5 000 FRF et 1 FRF.
Le requérant, le ministère public ainsi que cinq associations parties civiles interjetèrent appel du jugement du tribunal de grande instance de Paris.
Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour d’appel de Paris confirma le jugement précédent et y ajouta une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’une somme de 20 000 FRF à verser à la LICRA pour les frais judiciaires engagés.
Dans son arrêt, la cour releva que :
« Contrairement à ce qu’il [le requérant] prétend, ce n’est pas la critique de la politique de l’Etat d’Israël – par ailleurs très peu évoquée en tant que telle dans l’ouvrage en cause – qui fonde la prévention de diffamation de la communauté juive, mais l’essentiel du livre constitué des passages poursuivis. L’objet explicite et revendiqué de l’ouvrage est la description de ce qu’il qualifie de « mythes fondateurs » de ladite politique, les dits mythes étant présentés comme autant de falsifications délibérées de l’histoire (« mythe des six millions ») ou de mystifications à des fins d’exploitation politique (…) opérées par les sionistes (« les lobbys israélo-sionistes en France et aux Etats-Unis ») qui en étaient « les plus grands bénéficiaires », et ce, pour légaliser toutes ses exactions extérieures et intérieures en se plaçant au-dessus des lois et mettre en péril l’unité du monde et de la paix. »
La cour estima que les passages visés, qu’ils soient pris isolément ou intégrés dans l’ensemble de l’œuvre « portent gravement atteinte à la communauté juive dans son ensemble, comme les premiers juges l’ont dit à juste titre ». En effet, selon la cour, l’emploi indifférencié des termes de « sioniste », « vote juif », « lobby juif », « israéliens » ou « Etat d’Israël » dans l’ouvrage du requérant et en particulier dans les passages visés, opère une confusion constante. Selon la cour, « de telles confusions, compte tenu du niveau intellectuel et de l’influence revendiquée en particulier au Proche-Orient par le prévenu qui fait état de 25 traductions de l’ouvrage en cause, ont un sens, qui est bien celui dénoncé par la prévention : porter atteinte à l’honneur et à la considération de cette communauté ».
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Selon lui, l’articulation relative au « lobbying », qui est une activité licite, échappait à la prévention de diffamation.
Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du délit, les juges se prononcent par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, les juges, sans méconnaître les limites de leur saisine, ont exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés ;

Que le fait d’imputer à une communauté visée à l’article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 de pratiquer une activité de « lobbying » pour justifier des exactions « mettant en péril l’unité du monde et de la paix » porte atteinte à l’honneur et à la considération de cette communauté et constitue l’infraction visée et réprimée par le texte précité ;
Que les intérêts protégés par cette incrimination et ceux qui sont protégés par celui de contestations de crime contre l’humanité sont d’une nature différente, qu’ils ne concernent pas nécessairement les mêmes personnes ou les mêmes groupes de personnes et qu’en conséquence ces deux infractions, lorsqu’elles sont en concours, ne sauraient constituer un cumul idéal d’infractions. »
5. La cinquième procédure concernant quatre passages de l’édition d’avril-mai 1996 (infractions poursuivies : diffamation publique raciale et provocation à la haine raciale)
Le 1er juillet 1996, une plainte avec constitution de partie civile fut déposée par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) contre le requérant des chefs des délits de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie ou une race déterminée et de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie ou une race déterminée. Par ordonnance du 7 mars 1997, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de grande instance de Paris.
Le 27 février 1998, ce tribunal, s’appuyant sur les articles 23, 24 al. 6 et 7, 29 al. 1, 32 al. 2, 42 et suivants, relaxa le requérant du chef du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales et le reconnut coupable du délit de diffamation publique envers un groupe de personnes, en l’espèce la communauté juive. Le requérant fut condamné à 20 000 FRF d’amende et le tribunal fixa à un franc la somme due pour dommages et intérêts aux parties civiles.
Le tribunal relaxa le requérant du chef du premier délit aux motifs que si « dans les deux passages visés par la poursuite, c’est (…) la communauté juive que l’auteur met en cause à raison de son influence réputée excessive sur les médias et de son pouvoir de « manipulation » de l’opinion publique », cependant « le délit de provocation prévu (…) par l’article 24 alinéa 6 de la loi sur la presse, exige que le texte incriminé tende, tant par son sens que par sa portée, à inciter le public à la discrimination, à la haine et à la violence ». Or, le tribunal conclut que les passages poursuivis « ne comprennent aucune exhortation, ni même aucun encouragement des lecteurs à l’un des comportements ou des sentiments décrits par la loi ».

En revanche, le tribunal condamna le requérant du chef du délit de diffamation publique pour avoir utilisé le terme de « Shoah business » dans son ouvrage aux motifs que :
« En accolant le terme « business » au mot « Shoah » (qui signifie « catastrophe ») par lequel les Juifs désignent le génocide dont ils ont été victimes pendant la seconde guerre mondiale, et dans le contexte d’une mise en doute avérée de l’existence même de celui-ci, le prévenu suggère, dans ces passages, que les Juifs ont fabriqué, de façon mensongère, des preuves tendant à démontrer la réalité et l’importance de ce génocide, pour en tirer un profit financier.
Cette imputation porte incontestablement atteinte à l’honneur et à la considération de la communauté juive dans son ensemble. »
Le requérant, le ministère public ainsi que quatre associations parties civiles interjetèrent appel du jugement du tribunal de grande instance de Paris.
Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour d’appel de Paris infirma le jugement précédent sur la relaxe pour le délit de provocation à la discrimination et à la haine raciales et le confirma sur la culpabilité pour le délit de diffamation publique. Le requérant fut condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 FRF d’amende.
En ce qui concerne le délit de provocation à la discrimination et à la haine raciales, dans son arrêt, la cour estima que :
« (…) c’est bien la communauté juive qui est mise en cause dans les passages critiqués, et non simplement les partisans de la politique de l’Etat d’Israël. Il lui est clairement imputé de constituer une minorité concentrée dans les domaines de la politique, de la presse, de la radio, de la télévision et de l’édition capable d’agir de manière concertée, d’exercer une influence sans mesure avec son importance numérique et de manipuler l’opinion publique en faveur des intérêts qu’elle soutient.
En donnant au lecteur le sentiment qu’il est le jouet d’une manipulation par une catégorie représentant 2 % de la population française qui agit tel un chef d’orchestre clandestin, l’auteur ne peut que faire naître un sentiment de rejet et de haine à l’égard de cette fraction, en l’espèce la communauté juive.
Il n’est pas nécessaire que les propos querellés contiennent une exhortation à la haine, à la violence ou à la discrimination et il suffit, pour que l’infraction soit constituée que les passages soient de nature à susciter ces sentiments. »
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« Attendu qu’en déclarant, par les motifs reproduits aux moyens, le prévenu coupable des délits de diffamation publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et de provocation à la haine ou à la violence envers ce même groupe de personnes, à raison de plusieurs passages de son

ouvrage « Les mythes fondateurs de la politique israélienne », la cour d’appel, qui n’a pas excédé les limites de sa saisine, a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux et a caractérisé en tous leurs éléments tant matériels qu’intentionnels les délits visés aux poursuites. »
6. Les faits communs aux cinq procédures
a) Les demandes de jonction des procédures
Devant la cour d’appel de Paris, le requérant demanda à cinq reprises que les procédures soient jointes, invoquant le fait qu’il s’agissait de cinq dossiers concernant la même œuvre et appelés à la même audience. Selon lui, le fractionnement opéré visait à entraver l’exercice des droits de la défense et à gonfler les prétextes de l’accusation.
A cinq reprises, la cour rejeta la demande du requérant. Elle estima que les procédures diligentées contre le requérant, « bien qu’elles concernent le même auteur, mettent en cause deux éditions différentes de la même œuvre et que les dossiers distincts sont la conséquence de la pluralité des poursuites émanant soit du ministère public, soit de parties civiles [différentes] qui chacune ont visé (…) des passages différents ou d’étendue différente ». En revanche, la cour adopta la mesure suivante : « par contre les parties ont été informées que l’ensemble des notes d’audience sera versé dans chaque dossier, ainsi qu’il a d’ailleurs été procédé pour tous les actes d’instruction antérieurs ».
Les cinq peines d’emprisonnement avec sursis furent confondues. Par contre, les montants que le requérant dut verser au titre d’amendes s’additionnèrent (pour un total de 170 000 FRF), de même que les montants qu’il dut verser aux associations parties civiles (pour un total de 220 021 FRF).
b) L’aggravation de la peine en appel
Dans ses cinq arrêts, la cour d’appel de Paris décida de prendre une sanction plus sévère contre le requérant que celle énoncée par les premiers juges, aux motifs que la peine devait être déterminée « en fonction de l’importance des faits commis et de la personnalité de leur auteur ». La cour releva que les faits reprochés au requérant étaient particulièrement graves, puisqu’il s’agissait « en réalité d’un travail de déconstruction des valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et notamment contre l’antisémitisme », et que « l’auteur détourne son propos pour jeter en fait le discrédit sur la communauté juive dans son ensemble, faire naître à son égard un sentiment d’hostilité en s’associant aux thèses négationnistes (…) et porter atteinte non seulement aux valeurs de la communauté visée mais à celles, universelles, de notre civilisation. »

En ce qui concerne la personnalité de l’auteur, la cour tint compte, pour l’appréciation de la sanction, de la qualité d’universitaire reconnu en France et à l’étranger du requérant, de sa responsabilité d’ancien enseignant et d’homme politique et de son souci revendiqué d’avoir une influence internationale en particulier au Moyen-Orient.
7. La procédure en inscription de faux
Le 14 juin 2000, le requérant déposa une requête auprès du premier président de la Cour de cassation tendant à se voir autoriser à s’inscrire en faux contre l’arrêt rendu le 16 décembre 1998 par la cour d’appel de Paris dans le cadre de la première procédure décrite ci-dessus. La requête concernait le passage suivant de l’arrêt de la cour d’appel :
« La Cour note par ailleurs que l’édition poursuivie en l’espèce comporte aux pages 163 et 164 une citation extraite d’un communiqué de Martin Broszat ainsi présentée : « Ni à Dachau, ni à Bergen-Belsen, ni à Buchenwald, des Juifs ou d’autres détenus n’ont été gazés … L’anéantissement massif des Juifs par le gaz commença en 1941-1942 … avant tout en territoire polonais occupé (mais nulle part dans l’Ancien Reich) à Auschwitz-Birkenau, à Sobibor, à Treblinka, Chelmno et Belzec.
La deuxième partie de la phrase, à partir de l’anéantissement … » ne figure plus dans l’édition à compte d’auteur objet des autres procédures. »
Selon le requérant, contrairement aux énonciations de la cour, la citation de Martin Broszat figurait intégralement dans les deux éditions de l’ouvrage. En effet, il rappelle que la traduction de ce texte, qui d’ailleurs ne figure pas aux pages 163 et 164 dans l’édition non publique mais pour une partie en page 145 et pour le reste en page 117, figure au contraire de manière complète, exactement comme le cite la cour, en pages 163 et 164, dans la seconde édition, publique celle-là, et parue à compte d’auteur. Le requérant renvoie aux textes mêmes des deux éditions qui en témoignent.
Le 11 juillet 2000, le premier président de la Cour de cassation rejeta la requête par une ordonnance ainsi motivée :
« Attendu qu’à supposer même qu’une erreur matérielle ait été commise par l’arrêt, le faux allégué n’est pas de nature à influer sur le fond du pourvoi ; qu’il convient dès lors de rejeter la requête de M. Garaudy. »

B. Le droit interne pertinent
1. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
a) Les articles 23, 24, 24bis, 29 et 32
Article 23
« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du code pénal. »
Article 24
« Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :
1o Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;
2o Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.
Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.
Seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi.
Seront punis des peines prévues par l’alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l’apologie.
Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 4o classe.
Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par l’alinéa précédent, le tribunal pourra en outre ordonner :
1o Sauf lorsque la responsabilité de l’auteur de l’infraction est retenue sur le fondement de l’article 42 et du premier alinéa de l’article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l’article 93-3 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2o et 3o de l’article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;
2o L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »
Article 24bis (créé par la Loi 90-615 du 13 juillet 1990)
« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Le tribunal pourra en outre ordonner :
1o L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »
Article 29
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

Article 32
« La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 80 000 F. La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un an d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par l’alinéa précédent, le tribunal pourra en outre ordonner :
1o L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »
b) Jurisprudence de la Cour de cassation
Par un arrêt rendu le 24 octobre 1989, la Cour de cassation a jugé ce qui suit :
« Le fait de publication étant l’élément par lequel les délits de presse sont consommés, toute reproduction dans un écrit périodique rendu public d’un texte déjà publié, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé, est constitutive d’une nouvelle infraction ; dès lors, sans qu’il y ait violation de la règle non bis in idem, les faits réitérés sont susceptibles de nouvelles poursuites, indépendamment de celles qui ont été exercées à la suite de la première publication. (Bull. crim. no428) »
2. Le code de procédure pénale
a) Sur la jonction des procédures
Article 387
« Lorsque le tribunal est saisi de plusieurs procédures visant des faits connexes, il peut en ordonner la jonction soit d’office, soit sur réquisition du ministère public, ou à la requête d’une des parties. »
Par un arrêt rendu le 24 octobre 1989, la Cour de cassation a jugé ce qui suit :
« La règle non bis in idem n’est pas applicable lorsque les faits qui ont motivé une première poursuite ne sont pas identiques dans leurs éléments, tant légaux que matériels, aux faits se rapportant à la seconde poursuite. (Bull.crim. no211) »

b) Sur la procédure en inscription de faux
La procédure en inscription de faux est régie par les articles 646, 647 et 647-1 du code de procédure pénale. Une demande en inscription de faux contre une pièce produite devant la Cour de cassation est adressée au premier président. Celui-ci statue dans le mois du dépôt de la requête au greffe, après avis du procureur général : il rend une ordonnance de rejet ou une ordonnance portant permission de s’inscrire en faux. En cas de rejet et sauf dispense, le demandeur est condamné au paiement d’une amende.
Selon la jurisprudence, « l’inscription de faux a le caractère d’un incident auquel il ne peut être donné suite qu’autant qu’il se rattache à une instance principale et qu’il est de nature à exercer une influence sur la solution de cette instance » (Crim. 15 juin 1976, Bull. crim. no215).
c) Sur les parties civiles
Article 422
« La personne qui s’est constituée partie civile ne peut plus être entendue comme témoin. »
Article 460
« L’instruction à l’audience terminée, la partie civile est entendue en sa demande, le ministère public prend ses réquisitions, le prévenu et, s’il y a lieu, la personne civilement responsable, présentent leur défense.
La partie civile et le ministère public peuvent répliquer. Le prévenu ou son « avocat » auront toujours la parole les derniers. »
Selon la jurisprudence, « la partie civile, poursuivante et appelante, doit être entendue en premier pour permettre un débat contradictoire », Crim. 19 déc. 1994.
3. Le code pénal
Article 5
« En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte est seule prononcée. »
Cette disposition a été abrogée depuis le 1er mars 1994 et remplacée par les dispositions suivantes :
Article 132-2
« Il y a concours d’infractions lorsqu’une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction. »
Article 132-4
« Lorsque, à l’occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s’exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé. Toutefois, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée soit par la dernière juridiction appelée à statuer, soit dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale. »
Article 132-5
« Pour l’application des articles 132-3 et 132-4, les peines privatives de liberté sont de même nature et toute peine privative de liberté est confondue avec une peine perpétuelle. »

GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1, le requérant considère que le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial n’a pas été respecté. Il explique que les juridictions ont systématiquement écarté ses moyens de défense car les procès se sont déroulés dans des conditions de nature à le placer injustement dans une situation désavantageuse pour défendre sa cause. Le requérant tient à souligner le climat médiatique tendu et hostile à son égard dans lequel se sont déroulées les procédures décrites ci-dessus : il considère avoir fait l’objet d’une campagne de dénigrement et de lynchage médiatiques visant à falsifier, dénaturer et discréditer le contenu de son livre et à le présenter comme un négationniste. Dans ce contexte, il se plaint en particulier de l’ordonnance du 11 juillet 2000 rejetant sa requête en inscription de faux, dont il conteste la motivation et la validité, la lecture du texte de son livre permettant de vérifier que la citation incluse dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris était erronée ; il prétend que la cour d’appel a falsifié les passages en cause de l’ouvrage pour en tirer une circonstance essentielle des motifs de condamnation, alors qu’elle a omis de citer d’autres passages stigmatisant les crimes hitlériens ; les procédés de falsification qui auraient été utilisés ainsi que le résultat de la procédure en inscription de faux auraient ainsi révélé la partialité des juridictions françaises.
2. Sur le fondement de l’article 6 § 1 et de l’article 4 du Protocole no 7, le requérant se plaint d’une violation de la règle non bis in idem due au fait que les juridictions françaises ont refusé la jonction des cinq procédures. Le requérant soutient que le maintien de cinq procédures séparées, alors qu’une seule personne était visée pour un seul livre, était artificiel et avait pour but de multiplier les condamnations. Selon le requérant, la simultanéité des poursuites et des condamnations, dont trois furent prononcées sur la base de la même qualification pénale, aggravent la violation. En abusant de leur pouvoir souverain d’appréciation en la matière, les juridictions françaises auraient donc porté atteinte au droit du requérant à un procès juste et équitable.
3. Le requérant invoque l’article 6 § 3 a) pour se plaindre de ce que, alors que l’acte d’accusation indiquait un nombre limité d’extraits de son ouvrage, la cour d’appel s’est évadée de sa saisine et a en fait apprécié ces extraits en se fondant sur l’ensemble de l’ouvrage. Il prétend donc que l’accusation aurait été modifiée en cours de procédure, ce qui a porté atteinte aux droits de la défense.
4. Invoquant l’article 6 § 3 d), le requérant se plaint de ce que la cour d’appel de Paris aurait écarté arbitrairement les témoignages produits au soutien de la défense. Selon lui, non seulement ces témoins ont été écartés, mais les arrêts de la cour d’appel ne font état ni de leur existence, ni de leurs témoignages écrits, alors que les témoins à charge amenés par l’accusation, en l’occurrence les associations parties civiles, ont été entendus et leurs témoignages repris dans les décisions. Il prétend donc que les témoins à charge et les témoins à décharge n’ont pas été entendus dans les mêmes conditions.
5. Invoquant la Déclaration des Droits de l’Homme, la Constitution française et la Convention européenne des Droits de l’Homme, le requérant se plaint de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 (inséré par la loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot »), qui a servi de base aux trois premières procédures. Selon le requérant, l’article 24bis porte atteinte à plusieurs articles de la Convention, à savoir :
– l’article 14 : en instituant un délit politique au profit des seules victimes de religion juive de la seconde guerre mondiale, l’article 24bis exclurait toutes les autres victimes et serait donc discriminatoire ;
– les articles 9, 10 et 17 : réfutant les motifs invoqués par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, le requérant prétend que l’article 24bis ne constitue pas une « mesure nécessaire dans une société démocratique » au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention. En effet, selon le requérant, l’article 24bis, en prévoyant de punir ceux qui auront contesté l’existence des crimes contre l’humanité, tend à rendre impossible tout débat historique sur ces crimes et à imposer une seule version de la vérité historique difficile à mettre en cause, sous peine de se voir condamner pour « délit de révisionnisme ». L’article 24bis créerait donc un délit susceptible d’interférer avec la libre recherche historique, mais aussi l’expression d’opinions partisanes méritant débat voire polémique. Ce texte créerait ainsi un mécanisme de censure restreignant de façon abusive les libertés d’opinion et d’expression. Selon le requérant, ceci constituerait un abus de droit au sens de l’article 17 de la Convention et rendrait l’article 24bis

incompatible avec les articles 9 et 10 de la Convention. Le requérant prétend donc avoir été poursuivi et condamné sur la base d’une loi incompatible avec la Convention.
6.a. Le requérant se plaint que les juridictions françaises ont méconnu le sens de ses écrits. Il considère qu’il n’a jamais contesté dans son ouvrage ni l’existence des crimes nazis à l’égard du peuple juif ni leur qualification de crimes contre l’humanité. Selon lui, l’ouvrage contesté s’inscrivait dans le cadre de l’étude des trois grandes religions monothéistes qu’il a voulu réaliser : après avoir examiné l’intégrisme catholique romain, puis l’intégrisme islamiste, le requérant avait pour objectif d’étendre sa réflexion au sionisme politique qu’il considère comme un intégrisme. Sans prétendre être historien, il soutient avoir voulu écrire une œuvre politique, destinée à combattre le sionisme et à dénoncer la politique colonialiste de l’Etat d’Israël, et non pas la foi juive ou le judaïsme. Son livre étant axé, selon lui, sur une critique politique du sionisme exclusive de toute pensée raciste ou antisémite, il ne peut pas être considéré comme négationniste et aurait dû bénéficier sans restriction des libertés d’opinion et d’expression. Il invoque les articles 9 et 10 de la Convention. Cette argumentation sous-tend toute la démonstration du requérant.
b. Le requérant se plaint de l’appréciation par la cour d’appel des références historiques que contient l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881, à savoir l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 définissant les crimes contre l’humanité. Selon le requérant, la cour d’appel aurait dû se limiter au contenu de l’article 6 alors qu’elle a étendu son contrôle au-delà en appréciant les passages poursuivis au vu d’autres textes, à savoir le code pénal ainsi qu’un extrait du jugement du tribunal de Nuremberg concernant la persécution des Juifs et détaillant les moyens mis en œuvre pour parvenir à la « solution finale ». Le requérant conteste l’interprétation de l’histoire ainsi développée que, selon lui, la cour d’appel a voulu imposer, en criminalisant toute autre opinion, y compris la sienne. Il estime donc ne pas avoir pu exprimer librement ses opinions et invoque les articles 9 et 10 de la Convention.
7. Toujours au titre des articles 9 et 10 de la Convention, le requérant estime que les éléments constitutifs du délit de contestation de crimes contre l’humanité ne sont pas réunis :
a. en ce qui concerne l’élément de banalisation des faits, le requérant soutient que, s’il a effectué des comparaisons entre les persécutions subies par les Juifs et celles endurées par d’autres peuples, il n’est pas le seul auteur à procéder de la sorte ; il prétend que, loin de la banalisation d’actes racistes ou antisémites, son objectif était d’affirmer le droit de tous les peuples, y compris les non-juifs, à ne pas être persécutés et à être traités sur un pied d’égalité, ainsi que de démystifier le sionisme, concept qui serait utilisé par Israël pour justifier les persécutions infligées aux populations palestiniennes ; il estime qu’il n’a jamais contesté les crimes d’Hitler à l’encontre des populations juives et cite plusieurs passages de son livre à titre d’exemple ;
b. en ce qui concerne l’utilisation de certaines expressions de langage, il considère que la cour d’appel a écarté arbitrairement le débat sur l’origine du terme « Shoah business », tout en le condamnant pour avoir employé cette terminologie, alors qu’il n’en était pas « l’inventeur » ni le seul utilisateur ; il soutient également que l’expression « bandes romancées » pour désigner les films consacrés à la Shoah a été citée hors contexte par la cour d’appel, alors que, selon lui, n’étaient visés que les films de propagande de l’idéologie sioniste, qui constituaient une catégorie spécifique ;
c. en ce qui concerne l’élément de disqualification des institutions, le requérant prétend qu’il s’est contenté d’analyser de façon critique l’accord de Londres, le statut du tribunal militaire international et le procès d’Auschwitz ; profitant du recul de l’histoire, qui lui aurait permis d’appréhender les faits avec une plus grande objectivité, le requérant soutient que, sans aucune visée négationniste, il a voulu combattre la propagande visant à limiter la mémoire historique à une seule catégorie de victimes, phénomène qu’il appelle « l’apartheid des morts » ; il estime que la cour d’appel aurait en fait exposé et voulu imposer ses propres opinions, en contradiction avec l’ouvrage et sans tenir compte de la finalité réelle de ce dernier ;
d. en ce qui concerne la contestation de la nature de la solution finale, le requérant soutient que, malgré le jugement du tribunal de Nuremberg, le sens exact du terme « solution finale » et l’existence d’une décision d’exécution feraient toujours l’objet de débats entre historiens ; il estime donc avoir le droit d’exprimer librement à son tour son opinion sur ce sujet et soutient que la cour d’appel, en utilisant pour seul critère de référence « ce qui fut une opinion des juges de Nuremberg » pour le condamner « heurte le principe de justice et dénote une partialité dans l’examen du problème soulevé » ; il soutient également que la cour d’appel a déformé de manière partiale les passages de l’ouvrage cités dans son arrêt ;
e. en ce qui concerne la contestation du nombre de victimes et l’origine des décès, le requérant maintient que le chiffre de six millions de morts juifs pendant la seconde guerre mondiale a été surévalué afin de donner aux crimes nazis le caractère de plus grand génocide de l’histoire de l’humanité au détriment d’autres victimes telles que les slaves, les homosexuels et les tziganes ; il soutient que le nombre officiel de morts à Auschwitz a été réduit des deux tiers, et que cet aspect a été évoqué dans son ouvrage dans le seul but de montrer que l’horreur du génocide nazi ne réside pas dans les chiffres, mais dans « les injustes souffrances » qui, elles, « ne sont pas contestables » ;
f. en ce qui concerne l’existence des chambres à gaz, le requérant soutient n’avoir fait que citer des documents qui lui sont apparus comme sérieux (le rapport de l’ingénieur Leuchter, la contre-expertise de Cracovie, une lettre de M. Pinter). Il estime que ces citations ne peuvent pas être considérées comme un acte négationniste.
8. Invoquant les articles 9 et 10 de la Convention, le requérant conteste l’existence des éléments constitutifs du délit de diffamation raciale. Reprenant les passages examinés dans le cadre de la cinquième procédure, le requérant estime que les termes « Shoah business », qu’il n’a pas été le premier à utiliser, n’ont pas été employés dans son ouvrage en vue de nier le génocide. Il estime que la cour d’appel a déformé les écrits poursuivis et en a donné une interprétation subjective, partiale et inéquitable.
9. Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant conteste l’existence des éléments constitutifs du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales. Il estime que le terme « lobby » a été utilisé dans les passages examinés dans le cadre de la cinquième procédure pour critiquer les méthodes employées par le lobby sioniste et non pas pour combattre le judaïsme en tant que tel. Il estime que la cour d’appel a extrait les passages examinés de leur contexte initial pour leur donner un sens contraire à celui qu’il leur avait donné et l’a condamné en se basant sur cette interprétation, en violant son droit à la liberté d’expression.
10. Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint de ce que les juridictions ont voulu réserver un traitement préférentiel au peuple juif, au détriment des autres groupes ayant été également persécutés (tels que les Tziganes, les homosexuels, les slaves, mais aussi les Arméniens et les Tutsis). En effet, en déniant tout droit de comparaison, et en allant jusqu’à condamner le requérant pour avoir banalisé la Shoah parce qu’il évoquait d’autres persécutions, les juridictions ont considéré le génocide juif comme un crime « exceptionnel » et auraient ainsi été à l’origine d’une différence discriminatoire de traitement entre les Juifs et les non-Juifs.
11. Le requérant estime en outre avoir été victime d’une discrimination dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression par rapport à d’autres auteurs israéliens qui auraient partagé ses idées et auraient publié des livres sur ces questions sans pour autant être poursuivis ni en France ni en Israël. Il se plaint également d’avoir été victime de discrimination pour avoir été condamné pour l’usage de l’expression « lobby », alors que ce terme est utilisé dans d’autres écrits publics. Il estime que les juridictions se sont livrées à un acharnement sélectif à son égard. Il invoque l’article 14 en combinaison avec les articles 9 et 10 de la Convention.

EN DROIT
1. Le requérant se plaint d’une violation de son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention, lequel prévoit notamment :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (…).
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, (…). »
Il soutient que les juridictions françaises ont méconnu le sens de ses écrits. Il considère que son ouvrage ne conteste ni l’existence des crimes nazis à l’égard du peuple juif ni leur qualification de crimes contre l’humanité, mais qu’il s’agit d’une œuvre politique destinée essentiellement à dénoncer la politique de l’Etat d’Israël. Il estime donc qu’il ne peut pas être considéré comme négationniste et que les délits dont il a été reconnu coupable ne sont pas constitués. Selon lui, il s’ensuit que les condamnations pénales dont il a fait l’objet constituent une ingérence non justifiée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression.
Il se plaint également de l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 qui a servi de base aux trois premières procédures. Il soutient que cette disposition créerait un mécanisme de censure restreignant de façon abusive la liberté d’expression et invoque l’article 17 de la Convention, qui dispose :
« Aucune des dispositions de la (…) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (…) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à [la] Convention. »
La Cour estime que ce dernier grief est étroitement lié au précédent concernant la violation alléguée du droit du requérant à la liberté d’expression, et doit donc être apprécié dans le cadre de son examen.
Le Gouvernement rejette la thèse du requérant. A titre principal, il invite la Cour à considérer la requête comme irrecevable en application de l’article 17 de la Convention. Au moins faudrait-il, selon lui, appliquer le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention à la lumière des obligations de l’article 17 de la Convention.
En ce qui concerne l’application de l’article 17, le Gouvernement se fonde sur la jurisprudence de la Commission (notamment Glimmerveen et a. c. Pays-Bas, décision de la Commission du 11 octobre 1979, Décision et rapports (DR) 18, p. 198 et Pierre Marais c. France, décision de la Commission du 24 juin 1996, DR 86, p. 184) ainsi que sur l’arrêt Lehideux et Isorni c. France (23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, fasc. 92, §§ 47 et 53). Il souligne que, dès lors que le droit à la liberté d’expression est invoqué par des requérants pour justifier la publication de textes portant atteinte à l’esprit même de la Convention et aux valeurs essentielles de la démocratie, la Commission a toujours eu recours à l’article 17 de la Convention, soit directement, soit indirectement, pour rejeter leurs arguments et déclarer irrecevables leurs requêtes. La Cour a ensuite confirmé cette approche.
En l’espèce, le Gouvernement estime que la Cour pourrait suivre le raisonnement suivi par la Commission dans l’affaire Glimmerveen précitée et confirmé par la Cour dans son arrêt Lehideux et Isorni précité. Il reviendrait donc à la Cour d’analyser le but poursuivi, la méthode utilisée et le contenu de l’ouvrage du requérant afin d’évaluer si cet ouvrage remet en cause des faits historiques ou non.
Selon le Gouvernement, cette analyse montre, au vu des décisions de l’ensemble des juridictions françaises amenées à connaître du dossier, que le but avéré des écrits du requérant était bien de remettre en cause la réalité de l’Holocauste, le requérant ayant fait siennes les thèses négationnistes. Le Gouvernement demande donc à la Cour de rejeter la requête comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention.
A titre subsidiaire, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les quatrième et cinquième procédures (ayant abouti à des condamnations du requérant pour diffamation raciale et provocation à la haine raciale). Selon le Gouvernement, dans le cadre de ces procédures, le requérant n’a pas soumis à la Cour de cassation, ni explicitement ni en substance, de moyen concernant l’article 10 de la Convention, contrairement à ce qu’il a fait dans les trois autres procédures.
A titre très subsidiaire, le Gouvernement estime que, dans l’hypothèse où la Cour rejetterait les arguments précédents, les dispositions de l’article 10 de la Convention n’ont pas été violées en l’espèce. A supposer que les condamnations pénales prononcées à l’encontre du requérant constituent des « ingérences » étatiques dans sa liberté d’expression, elles étaient justifiées conformément au paragraphe 2 de l’article 10. Le Gouvernement démontre que les conditions d’application de ce paragraphe étaient remplies, tout en continuant de se prévaloir des observations présentées sur le fondement de l’article 17 de la Convention.

En effet, l’ingérence était prévue par la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 13 juillet 1990. Elle visait un but légitime, qu’il s’agisse en général de lutter contre l’antisémitisme, ou de sanctionner des comportements attentatoires à l’ordre public ou à la réputation et à l’honneur des individus. Au regard de la Convention, ce sont « la défense de l’ordre et la prévention du crime » et « la protection de la réputation ou des droits d’autrui » qui sont en cause. Enfin, compte tenu de la marge d’appréciation dont devaient bénéficier en l’espèce les autorités nationales, le Gouvernement considère que les condamnations prononcées à l’encontre du requérant répondaient aux critères de nécessité et de proportionnalité dégagés par la jurisprudence de la Cour. Il conclut au caractère manifestement mal fondé du grief.
Le requérant qualifie d’abusive l’application de l’article 17 de la Convention à son égard. Il continue de soutenir que son livre ne constitue qu’une critique politique du sionisme et de la politique menée par Israël, et que ses écrits ont été mal compris, et même falsifiés par les juges nationaux qui n’ont fait, en le condamnant, qu’exprimer leur opinion personnelle. Il affirme que les juges nationaux, loin d’avoir examiné scrupuleusement ses écrits, ne les ont pas lus. Il soutient qu’en aucun cas il ne nie les crimes du nazisme, ni la persécution raciste exercée contre les Juifs, alors que le Gouvernement se livrerait en fait, notamment dans ses observations, à un plaidoyer militant pour la défense de l’Etat d’Israël. Il réitère que la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui institue une restriction à la liberté d’expression, ne constitue pas une « mesure nécessaire » et ne répond pas à un « besoin social impérieux » au regard de la Convention. Il réaffirme son droit à bénéficier pleinement de la liberté d’expression.
La Cour considère, en ce qui concerne l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement pour non-épuisement des voies de recours internes, qu’il apparaît en effet que les moyens de cassation présentés par le requérant dans le cadre des quatrième et cinquième procédures se fondent moins sur les articles de la Convention que dans les trois autres procédures. Toutefois, dans le cadre des cinq procédures pénales intentées à l’encontre du requérant, les articles 6 et 10 de la Convention sont systématiquement cités au début de chaque moyen de cassation soumis par le requérant. Ils ont d’ailleurs été repris dans le texte des cinq arrêts rendus par la Cour de cassation. Le seul fait que certains moyens de cassation comportent des développements se fondant moins sur les dispositions de la Convention que d’autres ne suffit pas pour conclure au non-épuisement des voies de recours internes.
Dans ces conditions, la Cour estime qu’au moins un moyen concernant l’article 10 de la Convention a bien été soumis à la Cour de cassation dans le cadre de chacune des cinq procédures pénales et, partant, rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
Quant au fond, la Cour note d’emblée qu’elle n’a pas à se prononcer sur les éléments constitutifs des délits de contestation de crimes contre l’humanité, de diffamation publique raciale ou de provocation à la haine raciale en droit français. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit national (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Lehideux et Isorni précité, § 50). La Cour a seulement pour tâche de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions rendues par les juridictions nationales compétentes en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Ce faisant, elle doit se convaincre que les autorités nationales se sont fondées sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 48).
Concernant la liberté d’expression, la Cour rappelle que si sa jurisprudence a consacré le caractère éminent et essentiel de celle-ci dans une société démocratique (voir, parmi d’autres, Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, § 49, et Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, § 41), elle en a également défini les limites. Elle a notamment affirmé qu’il « ne fait aucun doute qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 » et qu’il existe « une catégorie [de] faits historiques clairement établis – tels que l’Holocauste – dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 » (voir l’arrêt Lehideux et Isorni, §§ 53 et 47).
En l’espèce, la Cour note que, d’après le Gouvernement, la requête serait irrecevable en application de l’article 17 de la Convention.
i. En ce qui concerne tout d’abord les condamnations du requérant pour contestation de crimes contre l’humanité, la Cour se réfère en effet à l’article 17 de la Convention, lequel « pour autant qu’il vise (…) des individus, a pour but de les mettre dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention ; (…) ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés ; (…) » (Lawless c. Irlande, arrêt du 1er juillet 1961, série A no 3, § 7, p. 45 ).
L’ouvrage qui est à l’origine des condamnations du requérant analyse de façon détaillée plusieurs événements historiques relatifs à la deuxième guerre mondiale, tels que les persécutions des Juifs par le régime nazi, l’Holocauste, le procès de Nuremberg. S’appuyant sur de nombreuses citations et références, le requérant remet en cause la réalité, l’ampleur, et la gravité de ces faits historiques qui ne font pourtant pas l’objet de débats entre historiens mais sont au contraire clairement établis. Il apparaît, comme l’ont montré les juridictions nationales à l’issue d’une étude méthodique et de constats approfondis, que loin de se limiter à une critique politique ou idéologique du sionisme et des agissements de l’Etat d’Israël, ou même de procéder à un exposé objectif des thèses négationnistes et de réclamer seulement, comme il le prétend, « un débat public et scientifique » sur l’événement historique des chambres à gaz, le requérant a fait siennes ces thèses et procède en fait à une remise en cause systématique des crimes contre l’humanité commis par les nazis envers la communauté juive.
Or, il ne fait aucun doute que contester la réalité de faits historiques clairement établis, tels que l’Holocauste, comme le fait le requérant dans son ouvrage, ne relève en aucune manière d’un travail de recherche historique s’apparentant à une quête de la vérité. L’objectif et l’aboutissement d’une telle démarche sont totalement différents, car il s’agit en fait de réhabiliter le régime national-socialiste, et, par voie de conséquence, d’accuser de falsification de l’histoire les victimes elles-mêmes. Ainsi, la contestation de crimes contre l’humanité apparaît comme l’une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public. Portant atteinte aux droits d’autrui, de tels actes sont incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme et leurs auteurs visent incontestablement des objectifs du type de ceux prohibés par l’article 17 de la Convention.
La Cour considère que la plus grande partie du contenu et la tonalité générale de l’ouvrage du requérant, et donc son but, ont un caractère négationniste marqué et vont donc à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention, telle que les exprime son Préambule, à savoir la justice et la paix. Elle considère que le requérant tente de détourner l’article 10 de la Convention de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à
des fins contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention. De telles fins, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention.
En conséquence, la Cour estime qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Convention, le requérant ne peut pas se prévaloir des dispositions de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne les éléments relevant de la contestation de crimes contre l’humanité.
Partant, cette partie du grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
ii. Il revient ensuite à la Cour d’examiner les aspects du livre du requérant critiquant les agissements de l’Etat d’Israël et de la communauté juive et qui ont notamment été à l’origine des condamnations du requérant pour diffamation raciale et provocation à la haine raciale. La Cour relève que ces condamnations pénales, prononcées à l’encontre du requérant, peuvent être considérées, le Gouvernement ne le nie pas, comme des ingérences des autorités publiques dans l’exercice de la liberté d’expression reconnue par l’article 10 § 1 de la Convention. Les parties s’accordent à considérer que ces ingérences étaient « prévues par la loi », à savoir par les articles 24 alinéa 6 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, modifiée par la loi du 13 juillet 1990.
La Cour estime que ces ingérences poursuivaient au moins deux des buts légitimes prévus par la Convention : « la défense de l’ordre et la prévention du crime » et « la protection de la réputation ou des droits d’autrui ». En effet, contrairement au requérant qui prétend que les dispositions pertinentes de la loi de 1881 ont pour objectif d’instaurer une censure abusive et ne constituent pas des mesures nécessaires dans une société démocratique, la Cour affirme que ces dispositions visent à préserver la paix au sein de la population française (voir décision Pierre Marais précitée).
La Cour a éprouvé de sérieux doutes sur le point de savoir si, pour les mêmes raisons que celles mentionnées précédemment (voir le paragraphe i. ci-dessus), et compte tenu de la tonalité globalement négationniste de l’ouvrage, l’expression de telles opinions pouvait être protégée par les dispositions de l’article 10 de la Convention. En effet, si une critique de la politique de l’Etat d’Israël, ou de tout autre Etat, relèverait sans conteste de cet article, la Cour constate que les propos du requérant ne se limitent pas à une telle critique et ont en réalité un objectif raciste avéré.
Toutefois, la Cour n’estime pas nécessaire en l’occurrence de se prononcer sur ce point car, de toute manière, elle considère que cette partie du grief est irrecevable.
En effet, elle considère que, compte tenu de la teneur des écrits du requérant, les motifs invoqués par les juridictions nationales pour le condamner pour diffamation raciale et provocation à la haine raciale étaient pertinents et suffisants, et les ingérences « nécessaires dans une société démocratique » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant soulève plusieurs griefs tirés de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention invoqué seul ainsi que conjointement à l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
Article 6 § 1
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) »

Article 4 du Protocole no 7
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. »
a. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint en général d’un défaut d’équité des juridictions nationales. Il explique que les juridictions ont systématiquement écarté ses moyens de défense car les procès se sont déroulés dans des conditions de nature à le placer injustement dans une situation désavantageuse pour défendre sa cause. Il conteste en particulier le refus de jonction des cinq procédures qui lui a été opposé par les juridictions internes, pour lequel il allègue une violation de la règle ne bis in idem et invoque l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
Le Gouvernement rejette cette thèse et considère que le procès considéré dans son ensemble n’a pas porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. En ce qui concerne plus précisément le refus de joindre les procédures, il fait valoir que, s’agissant de cinq procédures différentes concernant des écrits (et donc des faits) distincts et des infractions distinctes, la jonction des procédures est une mesure d’administration judiciaire facultative, qui relève du seul pouvoir d’appréciation du tribunal. Il constate que, en l’espèce, les procédures avaient été engagées à des dates différentes par des parties civiles différentes, que les plaintes avaient été articulées de manière différente, que les deux éditions du livre étaient concernées, que des passages différents des deux ouvrages étaient incriminés, que des infractions différentes étaient visées et qu’il s’ensuit que la jonction des dossiers n’était pas justifiée en l’espèce au regard d’une bonne administration de la justice. Dans le même sens, le Gouvernement souligne la spécificité des infractions de presse, régies par la loi de 1881 qui fixe en matière procédurale des exigences particulières, prescrites à peine de nullité, sans possibilité de régularisation ultérieure. Dès lors, en cas de jonction de dossiers, une nullité constatée dans une affaire risquerait d’entraîner l’annulation de l’ensemble des procédures, ce qui rend les juges peu enclins à ordonner la jonction des dossiers en la matière.
Par ailleurs, le Gouvernement soutient que le refus de jonction n’était pas de nature à porter atteinte au droit du requérant à un procès équitable puisque, malgré ce refus, les affaires ont été jugées en même temps et par les mêmes juges. Il souligne que le requérant a eu l’occasion de présenter sa défense tant devant la cour d’appel que la Cour de cassation. Le requérant ne démontre pas en quoi le refus par les juges de la cour d’appel d’ordonner la jonction l’aurait empêché de faire entendre équitablement sa cause. Le requérant ajoute que les peines d’emprisonnement prononcées ont été confondues. En ce qui concerne le fait que le refus de jonction ait valu au requérant cinq condamnations au lieu d’une, le Gouvernement considère que ce grief ne relève plus du droit au procès équitable mais plutôt de l’exécution des peines, domaine qui ne relève pas de la Convention.
De plus, le Gouvernement souligne que la confusion des peines décidée d’office par les juges d’appel a eu pour effet que les peines confondues n’ont pas excédé le maximum légal de la peine d’emprisonnement la plus forte encourue en cas de jonction des cinq affaires. En ce qui concerne les peines d’amende, le Gouvernement note que le montant cumulé des amendes prononcées dans les cinq dossiers est de loin inférieur au maximum légal de la peine d’amende la plus forte. De plus, le requérant a toujours la possibilité de demander, sur requête, la confusion des peines d’amende prononcées.
Le requérant réplique qu’il n’est pas démontré que dans l’hypothèse où une seule procédure aurait été menée, ce qui était logique puisqu’il s’agissait d’un seul livre et d’un même auteur, la condamnation aurait été équivalente à cinq condamnations s’ajoutant les unes aux autres. Il ajoute que la multiplication des procédures l’a obligé à faire face à des frais accrus lors de la formation des pourvois en cassation. Par ailleurs, la multiplication des procédures avait selon lui pour objet de faire croire à un plus grand trouble de l’ordre public, de nature à justifier une plus forte répression aux yeux de l’opinion publique.
La Cour considère que le grief concernant le refus de joindre les procédures n’est qu’un aspect particulier du défaut général d’équité allégué, et décide par conséquent d’examiner les griefs mettant en cause l’équité de la procédure, que le requérant présente sur le fondement de l’article 6 § 1 de la Convention, avec celui présenté sur le fondement de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
Se pose avant tout la question de l’applicabilité de l’article 4 du Protocole no 7. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, « l’article 4 du Protocole no 7 a pour but de prohiber la répétition de poursuites pénales définitivement clôturées. Cette disposition ne trouve donc pas à s’appliquer avant l’ouverture d’une nouvelle procédure » (voir Gradinger c. Autriche, arrêt du 23 octobre 1995, série A no 328-C, § 53). Or, en l’espèce, les procédures étant concomitantes, l’on ne saurait prétendre que le requérant ait été poursuivi plusieurs fois « en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif », comme l’exige le texte même de la disposition. Au surplus, d’ailleurs, l’article 4 du Protocole no 7 ne joue que lorsqu’une même infraction est punie deux ou plusieurs fois. Tel n’est pas le cas ici : comme il a été dit ci-dessus, à propos de la non-jonction des procédures, il existait des infractions distinctes (voir, mutatis mutandis, Oliveira c. Suisse, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V). Il s’ensuit que l’article 4 du Protocole no 7 ne saurait trouver application en l’espèce.
La Cour se placera donc uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.
S’agissant, précisément, du refus de jonction des cinq procédures, la Cour rappelle que sa jurisprudence consacre le principe général « d’une bonne administration de la justice », et que les mesures prises par les juridictions nationales, telles que le refus de jonction des procédures, doivent être appréciées en fonction de leur opportunité et de leur caractère raisonnable (voir Boddaert c. Belgique, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 235-D, §§ 38 et 39).
La Cour relève qu’en l’espèce, l’affaire présentait des difficultés. Celles-ci résultaient tout d’abord du nombre important des parties civiles, qui entreprirent, tout comme le ministère public, des actions distinctes, à des dates différentes, concernant des passages différents contenus dans deux éditions de l’ouvrage du requérant. De plus, le requérant était poursuivi pour plusieurs infractions, distinctes entre elles (contestation de crimes contre l’humanité, diffamation, provocation à la discrimination). Enfin, s’agissant de délits de presse, force est de constater, comme l’indique le Gouvernement, la particularité de la matière, régie par des règles procédurales spécifiques.
La Cour note que les juridictions ont établi un rapport étroit entre les procédures. Usant de leur pouvoir d’appréciation, et compte tenu des difficultés évoquées ci-dessus, elles ont décidé de ne pas les joindre, mais les cinq dossiers ont été audiencés et évoqués les mêmes jours, tant devant le tribunal correctionnel que la cour d’appel et la Cour de cassation, ce qui a contribué à minimiser les effets de la disjonction. De plus, l’ensemble des notes d’audience, ainsi que tous les actes d’instruction antérieurs, ont été versés dans chaque dossier.
La seule absence de jonction des procédures n’a donc pas eu pour effet de limiter les possibilités du requérant de présenter sa défense au cours des cinq procédures.
Enfin, en ce qui concerne les peines, la Cour relève que la cour d’appel a décidé d’office d’ordonner la confusion des peines d’emprisonnement, et que le quantum des peines confondues n’a pas excédé le maximum légal de la peine d’emprisonnement la plus forte encourue en cas de jonction des cinq affaires. En ce qui concerne les peines d’amende, si la confusion n’a pas été prononcée, il faut noter que le montant cumulé des amendes prononcées dans les cinq dossiers est de 170 000 FRF, ce qui est de loin inférieur au maximum légal de la peine d’amende la plus forte (300 000 FRF).
Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la complexité et la nature particulière des infractions incriminées pouvaient raisonnablement paraître imposer pareille « évolution en parallèle » des dossiers. Elle estime que le refus de jonction opposé au requérant était motivé par des considérations liées au bon fonctionnement de la justice et que, dans les circonstances de la cause, le comportement des autorités se révèle compatible avec le juste équilibre à ménager entre les divers aspects de cette exigence fondamentale.
De plus, la Cour n’aperçoit aucun autre élément permettant d’établir que le droit du requérant à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été respecté. En effet, les juridictions nationales se sont prononcées à l’issue de procédures contradictoires au cours desquelles les différents moyens de preuve ont été débattus. Le requérant a pu contester les moyens développés par les parties poursuivantes et faire valoir toutes les observations et arguments qu’il a estimés nécessaires. Par ailleurs, il apparaît que les juridictions ont apprécié la crédibilité des différents moyens de preuve présentés eu égard à l’ensemble des circonstances des affaires et ont dûment motivé leurs décisions à cet égard. Le simple désaccord du requérant avec les décisions des juridictions ne saurait suffire à conclure que les procédures n’ont pas été équitables.
Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
b. Le requérant se plaint en général du défaut d’impartialité des juridictions nationales à son égard. Il critique en particulier l’ordonnance rendue le 11 juillet 2000 par le premier président de la Cour de cassation pour avoir rejeté sa requête en inscription de faux, ce qui, selon lui, traduirait la partialité des juridictions internes qui auraient falsifié ses écrits.
La Cour relève d’abord qu’en droit national, l’inscription de faux a le caractère d’un incident. Elle constate d’emblée que cette procédure en tant que telle ne concerne pas une contestation sur des droits et obligations de caractère civil. Elle ne concerne pas non plus directement le bien-fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, qui ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce. En tout état de cause, si cette procédure peut permettre, en droit interne, d’aboutir à ce qu’un document ou des énonciations soient réputés inexacts et ne puissent donc plus être invoqués devant les tribunaux, la Cour note qu’elle constitue en fait un élément accessoire de la procédure pénale principale dont le requérant se plaint.
Dans ce cadre, et en ce qui concerne le défaut général d’impartialité des juridictions nationales allégué par le requérant, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, l’impartialité doit s’apprécier « selon une démarche subjective, essayant de déterminer le comportement et la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion, et aussi une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » (voir notamment Ferrantelli et Santangelo c. Italie, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, § 56). Dans le cadre de la première démarche, il convient de noter que « l’impartialité personnelle d’un juge se présume jusqu’à preuve du contraire » (voir Incal c. Turquie précité, § 65). La seconde démarche « conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge un défaut d’impartialité, l’optique de l’accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif.» (voir les arrêts Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A no 255, p. 12, § 30, et Padovani c. Italie du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 27).
En l’espèce, le requérant met en cause de façon générale l’impartialité subjective des membres des différentes formations de jugement, et en particulier celle du premier président de la Cour de cassation, signataire de l’ordonnance rejetant la requête en inscription de faux.
En ce qui concerne les premiers, le requérant ne soumet à la Cour aucun élément permettant de douter de l’impartialité personnelle des magistrats ayant siégé dans les différentes formations de jugement.
Quant au grief concernant le premier président de la Cour de cassation, la Cour rappelle, comme cela a été établi ci-dessus, que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à la procédure d’inscription de faux en tant que telle. En tout état de cause, la Cour relève que le requérant se limite à contester le contenu et les termes de l’ordonnance rendue par le premier président de la Cour de cassation. Or, selon l’article 19 de la Convention, la Cour est seulement compétente pour assurer le respect de la Convention, et elle n’est donc pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne.
Quant à l’impartialité objective des membres des formations de jugement dans le cadre de la procédure pénale principale, le requérant allègue que ses écrits auraient été falsifiés par les magistrats de la cour d’appel de Paris. A l’appui de cette thèse, il mentionne uniquement le fait que, dans l’arrêt rendu dans le cadre de la première procédure, la cour d’appel de Paris note « que l’édition poursuivie en l’espèce comporte (…) une citation extraite d’un communiqué de Martin Broszat » en entier, alors qu’une partie de la citation « ne figure plus dans l’édition à compte d’auteur objet des autres procédures ». Le requérant affirme que, contrairement aux énonciations de la cour d’appel, cette citation figure intégralement dans les deux éditions de l’ouvrage. Il en déduit que les juridictions françaises auraient ainsi délibérément falsifié ses écrits, faisant preuve d’un manque d’impartialité flagrant.
Il revient donc à la Cour d’établir si certains faits vérifiables autorisent à mettre en doute l’impartialité des juridictions nationales, l’élément déterminant consistant à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, no 8, p. 574, § 46).
La Cour note d’emblée que, sur les cinq procédures qui se sont déroulées devant les juridictions françaises, le grief du requérant ne concerne que la première procédure relative aux chapitres 2 et 3 de l’édition de décembre 1995 de son ouvrage. La citation dont le requérant fait état n’apparaît en effet que dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans le cadre de cette première procédure.
La Cour relève que l’arrêt de la cour d’appel, comportant vingt-trois pages et de nombreux motifs, mentionne en effet que la citation de Martin Broszat ne figure plus que partiellement dans la deuxième édition de l’ouvrage du requérant, alors que cette dernière comporte effectivement, aux pages 163 et 164, une citation intégrale du texte.
Toutefois, la Cour estime que cette seule erreur matérielle ne saurait suffire à mettre en cause l’impartialité objective des membres de la cour d’appel, ni à établir que ceux-ci ont délibérément falsifié les écrits du requérant. Il ressort en effet clairement de l’arrêt rendu par la cour d’appel que celle-ci s’est fondée « sur l’ensemble des éléments [qu’elle a] précisés » pour établir que le requérant avait commis le délit de contestation de crimes contre l’humanité. Or, dans son arrêt, la cour d’appel cite précisément, en plus de l’extrait relatif à la citation de Martin Broszat, neuf autres passages de l’ouvrage ayant fait l’objet d’une analyse détaillée, sur lesquels elle a fondé sa décision.
A titre subsidiaire, il convient d’ailleurs de noter que l’erreur matérielle constatée ne modifie pas le sens du texte de Martin Broszat cité par la cour d’appel.
Par conséquent, dans la présente espèce, la Cour relève qu’il n’existe aucune raison suffisante de douter de l’impartialité subjective des membres de la cour d’appel, faute de preuve contraire et que, par ailleurs, les craintes du requérant, quant à leur impartialité objective, ne peuvent passer pour légitimement justifiées.
Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.
c. Le requérant souligne également le climat médiatique tendu et hostile à son égard dans lequel se sont déroulées les procédures nationales et considère avoir fait l’objet d’une campagne de dénigrement et de lynchage médiatiques visant essentiellement à le présenter comme un négationniste.
A supposer que le requérant ait épuisé les voies de recours internes sur ce point, la Cour rappelle qu’on s’accorde en général à penser que les tribunaux ne sauraient fonctionner dans le vide : bien qu’ils aient seuls compétence pour se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence quant à une accusation en matière pénale, il n’en résulte point qu’auparavant ou en même temps, les questions dont ils connaissent ne puissent donner lieu à discussion, que ce soit dans des revues spécialisées, dans la grande presse ou le public en général (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sunday Times (no 1) c. Royaume-Uni du 26 avril 1979, série A no 30, p. 40, § 65).
A condition de ne pas franchir les bornes fixées aux fins d’une bonne administration de la justice, les comptes rendus de procédures judiciaires, y compris les commentaires, contribuent à les faire connaître et sont donc compatibles avec l’exigence de publicité de l’audience énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention. A la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir (ibidem). Cela est d’autant plus vrai lorsque le procès est, comme en l’espèce, celui d’un personnage connu, tel un homme politique et écrivain. Ces personnes s’exposent inévitablement et consciemment à un contrôle attentif tant par les journalistes que par la masse des citoyens (voir notamment Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 42). Partant, les limites du commentaire admissible sont plus larges à l’égard d’une telle personne que d’un simple particulier (ibidem).
Cependant, comme tout un chacun, les personnalités connues sont en droit de bénéficier d’un procès équitable tel que garanti à l’article 6 § 1 de la Convention, ce qui comprend le droit à un tribunal impartial. Les journalistes doivent s’en souvenir lorsqu’ils rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale (voir Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V, p. 1552, § 50, Pullicino c. Malte (déc.), no 45441/99, 15 juin 2000 et surtout Papon c. France (no 1) (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII (extraits)).
La Cour observe que le procès du requérant trouvait sa source dans un ouvrage qui a fait l’objet d’une controverse dès sa parution et que l’on pouvait s’attendre à ce que le procès lui-même eût lieu dans un climat polémique. De l’avis de la Cour, cependant, le requérant n’a pas démontré qu’il y ait eu contre lui une campagne médiatique d’une virulence telle qu’elle aurait influencé ou aurait été susceptible d’influencer la formation de l’opinion des magistrats et l’issue des débats. Au contraire, la durée même de ces débats, qui nécessitèrent quatre jours d’audience en appel, tend à montrer que les magistrats ont permis à chacune des parties de s’exprimer et ont statué en toute objectivité après avoir analysé les arguments des parties ainsi que les passages de l’ouvrage mis en cause.
Au vu de ce qui précède, il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Le requérant allègue également la violation de l’article 6 § 3 a) et d), dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :
« 3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; (…)
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (…). »
a. Invoquant l’article 6 § 3 a), le requérant se plaint de ce que la cour d’appel s’est évadée de sa saisine et a en fait apprécié les extraits en se fondant sur l’ensemble de l’ouvrage. Il prétend donc que l’accusation aurait été modifiée en cours de procédure, ce qui a porté atteinte aux droits de la défense.
La Cour rappelle que « les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui » (voir Pélissier et Sassi [GC], arrêt du 25 mars 1999, no 25444/94, CEDH 1999-II). Or, en l’espèce, il ressort clairement des arrêts rendus par la cour d’appel de Paris que, au cours des audiences, et à plusieurs reprises, le requérant a été expressément invité « à s’exprimer sur l’ensemble des questions qui [venaient] d’être examinées. Ceci a été fait au regard de ses déclarations antérieures tant devant le magistrat instructeur que devant les premiers juges, dont la lecture intégrale a été effectuée ».
Par conséquent, la Cour estime que, si la cour d’appel, compte tenu du nombre et de la nature des passages cités dans l’acte d’accusation, a estimé nécessaire d’examiner ces passages en les replaçant dans leur contexte, le requérant et son avocat ont été informés, tout au long de la procédure, de cette démarche et ont d’ailleurs eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Le requérant a donc été dûment informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui et aucune atteinte aux droits de la défense ne se trouve établie.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
b. Invoquant l’article 6 § 3 d), le requérant se plaint de ce qu’il aurait été privé du droit de faire entendre ou de faire valoir les témoignages à son avantage, tels que ceux de l’Abbé Pierre, de Yehudi Menuhin et d’autres, qui attestaient de sa droiture d’intention et de son désintéressement, alors qu’ont été entendus, et leurs témoignages repris dans les décisions judiciaires, différents témoins à charge appelés par l’accusation, en l’occurrence les associations parties civiles. Il soutient que la cour d’appel aurait largement fondé ses condamnations sur les témoignages à charge.
La Cour rappelle que selon l’article 35 § 1 de la Convention, « la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (…) ». Or, en l’espèce, si le requérant a invoqué de façon globale l’article 6 de la Convention devant les juridictions nationales, il ne ressort ni des mémoires ampliatifs soumis à la Cour de cassation, ni des arrêts rendus par celle-ci qu’un grief spécifique concernant l’audition des témoins ait été soulevé.
Même en considérant que l’allégation générale de violation de l’article 6 de la Convention soumise aux juridictions nationales ait épuisé les voies de recours internes, la Cour considère que le grief dans sa totalité est irrecevable.
En effet, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, « il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production. Spécialement, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins » (voir notamment les arrêts Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne du 6 décembre 1988, série A no 146, p. 31, § 68 et Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A no 235-B, § 33). Cet article « n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière » (…) La notion d’« égalité des armes » n’épuise pourtant pas le contenu du paragraphe 3 d) de l’article 6, pas plus que du paragraphe 1 dont cet alinéa représente une application parmi beaucoup d’autres. (…) La tâche de la Cour européenne consiste à rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, revêtit le caractère équitable voulu par le paragraphe 1 (…) » (voir l’arrêt Vidal précité, § 33). « En effet, il ne suffit pas, au requérant qui allègue la violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention, de démontrer qu’il n’a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il qu’il rende vraisemblable que la convocation dudit témoin était nécessaire à la recherche de la vérité et que le refus de l’interroger a causé un préjudice aux droits de la défense. » (voir Erich Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001, non publiée).
Etant donné que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief sous l’angle de ces deux textes combinés (arrêt Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, CEDH 1999-I, § 27).
La Cour relève que, en l’espèce, si les décisions judiciaires internes mentionnent certaines dépositions, il s’agit essentiellement de celles des associations parties civiles, comme l’indique le requérant lui-même. Or, les parties civiles, qui ont initié les procédures par leurs plaintes, ne peuvent être considérées comme témoins à charge appelés par l’accusation, leur audition en tant que parties à l’instance faisant partie de la procédure (voir

partie « droit interne pertinent » ci-dessus). Par conséquent, le requérant ne saurait placer sur le même pied les parties civiles à la procédure et les témoins cités par lui.
En outre, la Cour considère que le requérant n’a pas démontré que l’audition de témoins supplémentaires aurait pu apporter des éléments nouveaux et pertinents pour l’examen de son affaire. En effet, la circonstance que le requérant ait eu un comportement de bonne moralité à l’égard de certaines personnes ne modifie pas la teneur de ses écrits, ni leur signification.
Enfin, il ressort clairement des arrêts rendus par la cour d’appel que celle-ci a essentiellement fondé ses condamnations sur une analyse scrupuleuse et détaillée des passages de l’ouvrage mis en cause, les quelques dépositions mentionnées dans ces arrêts ne contenant que des éléments complémentaires. Elle a donc pu estimer que les auditions en question s’avéraient peu utiles, tout en respectant les droits de la défense dans le cadre d’une procédure qui, considérée dans son ensemble, revêt le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 de la Convention, comme cela ressort de l’analyse du grief précédent.
Dans ces conditions, la Cour ne saurait déceler aucune apparence de violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
4. Le requérant allègue aussi la violation des articles 9 et 14 de la Convention.
Or, selon l’article 35 § 1 de la Convention, « la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (…) ». En l’espèce, il n’apparaît pas que le requérant ait, à cet égard, épuisé les voies de recours internes, puisqu’il n’a pas soulevé ces griefs, expressément ou en substance, devant les juridictions nationales.
Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour défaut d’épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.

Michael O’Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président