Osservatorio delle libertà ed istituzioni religiose

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Osservatorio delle Libertà ed Istituzioni Religiose

Documenti • 14 Ottobre 2004

Sentenza 24 giugno 2004, n.65501/01

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section)
En l’affaire Vergos c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. P. LORENZEN, président,
C.L. ROZAKIS,
G. BONELLO,
Mmes F. TULKENS,
N. VAJIC,
S. BOTOUCHAROVA,
MM. V. ZAGREBELSKY, juges,
et de M. S. NIELSEN, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 novembre 2002 et 3 juin 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65501/01) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Nikolaos Vergos (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 décembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me S. Theodoropoulos, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’Etat et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil Juridique de l’Etat.
3. Le requérant se plaignait de la privation de son droit de manifester sa religion ainsi que de la durée de la procédure devant les juridictions administratives. Il invoquait les articles 9 et 6 § 1 de la Convention.
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. Le 13 décembre 2001, la chambre a décidé de communiquer la requête au gouvernement défendeur.
5. Par une décision du 21 novembre 2002, la chambre a déclaré la requête recevable.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. Le requérant est né en 1927 et résidant à Petres Amyndaiou Florinis.
8. Le requérant fait partie de la communauté religieuse des « Chrétiens Orthodoxes Véritables (« COV »), adeptes du calendrier julien pour les fêtes religieuses (« paleoimerologites »).
9. Le 28 juin 1991, il déposa auprès du service de l’aménagement du territoire de Florina une requête sollicitant l’autorisation de construire une maison de prière de 80 m² pour les COV sur un terrain de 400 m² lui appartenant. Selon le requérant, la requête était accompagnée de tous les documents pertinents qui prouvaient que le terrain était adapté pour une telle construction et que toutes les conditions légales étaient remplies. Toutefois, ce service refusa – et refuse encore -, sous divers prétextes selon le requérant, de lui délivrer l’autorisation.
10. Par un avis du 11 novembre 1991, le service pour la protection des monuments préhistoriques et classiques d’Edessa déclara ne pas s’opposer à la construction de la maison de prière. Toutefois, le 20 novembre 1991, le préfet de Florina prit une décision « suspendant les permis de construire intra – et extra – muros de la localité Petres Florines pour des raisons de protection des antiquités ». Le 24 janvier 1992, le service de l’aménagement du territoire de Florina rejeta la requête du requérant en se fondant sur ladite décision du préfet.
11. Le 10 septembre 1992, le service de l’aménagement du territoire de Florina écrivit au ministère compétent en soulignant que « pour les lieux de culte des paleoimerologites, comme pour ceux de l’Eglise Orthodoxe de Grèce, avant d’accorder un permis de construire, il faudrait suivre la procédure visant à la délimitation de l’espace car le plan d’aménagement du territoire ne le prévoyait pas ». Le 22 décembre 1992, le ministère confirma que pour la construction des lieux de culte des paleoimerologites, seules les dispositions de l’aménagement du territoire entraient en ligne de compte.
12. Le 2 novembre 1993, le même service informa le requérant que pour obtenir le permis de construire, il devait procéder à la « délimitation de l’espace », conformément aux dispositions des articles 29 du décret du 16 août 1923 et 2 § 21 de la loi no 1577/1985.
13. Le 10 décembre 1994, le requérant déposa auprès de la mairie de Petres une requête pour la « délimitation de l’espace ».
14. Par une décision no 25/1995, notifiée au requérant le 28 mai 1995, la mairie de Petres rejeta la requête susmentionnée. La décision relevait qu’aucun habitant de la commune, autre que le requérant, n’appartenait à la communauté des COV, que la construction d’une telle maison de prière pouvait exacerber le sentiment religieux des autres chrétiens et créer des troubles, qu’une telle maison de prière existait déjà dans une commune voisine et que le terrain proposé n’était pas approprié pour cette construction.
15. Le 30 mai 1995, le requérant exerça un recours contre cette décision devant la commission établie en vertu de l’article 18 de la loi 2218/1994, mais celle-ci rejeta le recours comme tardif, au motif que la décision attaquée avait été déjà publiée par voie d’affichage à la mairie le 5 mai 1995 et par conséquent que le délai de recours de dix jours, prévu par l’article 47 § 2 de la loi 2218/1994, n’était pas respecté.
16. Le 19 juillet 1995, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation des décisions susmentionnées. Il se fondait sur la Constitution grecque et l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et soutenait en outre que le quatrième motif de rejet de sa demande par la mairie n’était pas motivé car il ne précisait pas en quoi le terrain proposé n’était pas adapté à la construction d’une maison de prière. Le requérant précisait que lui-même et les membres de sa famille, mais aussi d’autres fidèles, souhaitaient la création de la maison de prière à Petres car le transport à la ville voisine de Amyndaion était problématique en hiver en raison du froid et des chutes de neige.
17. L’audience fut fixée au 8 janvier 1996, mais fut ajournée d’office aux 4 mars, 7 octobre, 4 novembre 1996, 3 février et 17 mars 1997.
18. Le 31 mars 1997, la sixième chambre du Conseil d’Etat se déclara incompétente et renvoya l’affaire devant la cinquième chambre, composée de cinq membres (arrêt no 1318/1997).
19. L’audience, initialement fixée au 24 septembre 1997 fut ajournée aux 4 février et 4 mars 1998. Par une décision du 5 octobre 1998, celle-ci renvoya l’affaire devant sa formation de sept juges, car il y avait contradiction quant au caractère exécutoire de la décision de la mairie.
20. L’audience eut lieu le 13 janvier 1999. Le 5 juillet 2000, le Conseil d’Etat rejeta le recours, au motif que le requérant était le seul adepte des COV à Petres et que, par conséquent, il n’existait pas de besoin social justifiant la modification du plan d’aménagement du territoire pour autoriser l’érection d’une maison de prière. En particulier, le Conseil d’Etat considéra que la maison de prière que le requérant souhaitait construire était un bâtiment d’utilité publique et, en vertu du décret du 16 août 1923, la construction de tels bâtiments était interdite sur des sites pour lesquels le plan d’aménagement du territoire ne prévoyait pas une telle destination. La construction de la maison de prière nécessitait alors la modification du plan d’aménagement du territoire et pour les communes de moins de 2000 habitants comme Petres, l’avis préalable de la mairie. Le Conseil d’Etat nota également que le requérant n’avait pas contesté la conclusion de la mairie selon laquelle aucun autre habitant de la commune n’appartenait à la communauté des COV (arrêt no 2308/2000).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Constitution
Les articles pertinents de la Constitution de 1975 se lisent ainsi:
Article 3
« 1. La religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la même foi (homodoxi), observant immuablement, comme les autres Eglises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le Saint-Synode, composé de tous les évêques en fonction, et par le Saint-Synode permanent qui, dérivant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l’Eglise et conformément aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du 4 septembre 1928.
2. Le régime ecclésiastique établi dans certaines régions de l’Etat n’est pas contraire aux dispositions du paragraphe précédent.
3. Le texte des Saintes Ecritures est inaltérable. Sa traduction officielle en une autre forme de langage, sans le consentement préalable de l’Eglise autocéphale de Grèce et de la Grande Eglise du Christ à Constantinople, est interdite. »
Article 13
« 1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun.
2. Toute religion connue est libre ; les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. L’exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Le prosélytisme est interdit.
3. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante.
4. Nul ne peut être dispensé de l’accomplissement de ses devoirs envers l’Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en raison de ses convictions religieuses.
5. Un serment ne peut être imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule. »
Article 24 § 2
« L’aménagement du territoire, la formation, le développement, l’urbanisme et l’extension des villes et des régions à urbaniser en général sont placés sous la réglementation et le contrôle de l’Etat, en vue d’assurer la fonctionnalité et le développement des agglomérations et les meilleures conditions de vie possibles. »
B. Les adeptes de l’ancien calendrier julien en Grèce
21. Selon le requérant, en 1924, la hiérarchie de l’Eglise imposa en Grèce le calendrier grégorien pour les fêtes religieuses, en dépit du fait qu’en vertu du décret-loi du 18 janvier 1923, ce calendrier s’appliquerait seulement à l’Etat, tandis que l’Eglise suivrait le calendrier julien. Depuis cette époque, certains suivent le calendrier grégorien et d’autres sont restés fidèles au calendrier julien. Ces derniers estimaient que l’introduction du calendrier grégorien était contraire aux canons et traditions de l’Eglise orthodoxe, d’autant plus qu’elle était déjà interdite par les Synodes Panorthodoxes réunis à Constantinople en 1583, 1587 et 1593 : ils se séparèrent alors des évêques, qui avaient adopté le nouveau calendrier et formèrent la personne morale de droit public que constitue l’Eglise de Grèce, et se nommèrent « Chrétiens Orthodoxes Véritables » constituant ainsi une communauté religieuse. Ceux qui avaient décidé de suivre le nouveau calendrier les appelèrent « adeptes de l’ancien calendrier » (« paleoimerologites »).
22. Après la chute du régime dictatorial en Grèce et la promulgation de la Constitution de 1975, afin d’empêcher à l’avenir toute obstruction à la liberté de culte de cette communauté, une déclaration solennelle fut adoptée et incluse au procès-verbal de la séance du Parlement du 23 avril 1975, selon laquelle « Les dénommés Chrétiens Orthodoxes Véritables- paleoimerologites peuvent exercer librement les devoirs imposés par leur culte ».
23. Toutefois, selon le requérant, cette communauté a continué à faire l’objet de discriminations de la part des autorités qui se fondaient sur des textes (loi no 1363/1938 et décret royal des 20 mai/2 juin 1939) adoptés sous le régime dictatorial du 4 août 1936. Ces textes exigeaient l’autorisation de l’évêque du lieu où les adeptes du calendrier julien souhaitaient ériger un temple.
24. Par un arrêt no 144/1991, le Conseil d’Etat jugea que l’autorisation de l’évêque, adepte du nouveau calendrier, n’était pas nécessaire pour l’érection d’un temple des adeptes du calendrier julien, car ceux-ci n’avaient pas de rapport ecclésiastique avec ces évêques dont ils ne dépendaient ni administrativement ni spirituellement ; il leur fallait seulement le permis d’une autorité d’aménagement du territoire comme pour tout bâtiment d’utilité publique.
C. Position de la Cour Suprême des Etats-Unis
25. La Cour Suprême des Etats-Unis distingue dans sa jurisprudence afférente à la liberté de religion une catégorie de lois qui sont « apparemment neutres » (facially neutral laws). Ces lois ne visent pas directement à la régulation d’une pratique religieuse mais peuvent, quand même, avoir éventuellement des conséquences restrictives à l’exercice de la liberté de culte. Selon la jurisprudence de l’instance américaine, de telles lois peuvent exiger un comportement incompatible avec une pratique religieuse ou proscrire un comportement exigé selon les rites spéciaux d’une religion. La position en la matière de la Cour Suprême est la suivante :
« On n’a jamais accepté que les convictions religieuses de quelqu’un puissent le soustraire à l’application de la législation pertinente en vigueur qui proscrit un certain type de comportement dont la régulation incombe à l’Etat. (…). La jurisprudence admet avec fermeté que le droit à un libre exercice de la religion ne soustrait jamais un individu à son obligation de se soumettre à une loi valide et neutre d’application générale au motif que cette loi proscrit (ou prescrit) un comportement que sa religion prescrit (ou proscrit) » (voir, Employment Division, Department of Human Resources v. Smith, 494 U.S. 872 (1990); United States v. Lee, 455 U.S. 252 (1982); Braunfeld v. Brown, 366 U.S. 599 (1961).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
26. Le requérant allègue que le refus de l’administration de modifier l’aménagement du territoire de sa ville afin de lui accorder un permis de construction d’une maison de prière destinée aux adeptes de l’ancien calendrier julien résidant dans sa commune sur un terrain lui appartenant constitue une atteinte à sa liberté de religion. Il invoque l’article 9 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Thèses défendues devant la Cour
1. Le requérant
27. Le requérant souligne que, selon la législation interne pertinente telle qu’interprétée par le Conseil d’Etat, l’administration doit prendre en compte deux critères pour la délimitation de l’espace nécessaire à l’érection des maisons de prière : en premier lieu, la nécessité de satisfaire à un besoin social, comme l’exercice du culte ; en deuxième lieu, le caractère propice de l’espace destiné à la construction d’un lieu de culte. Le requérant avance que le premier des critères élaborés par le Conseil d’Etat, à savoir le constat d’un besoin social est très restrictif car il autorise l’administration à procéder à un contrôle préventif quant à l’exercice d’un droit individuel : le constat de l’existence d’un certain nombre de membres d’une communauté religieuse comme condition du libre exercice du culte.
28. Le requérant soutient que chaque individu a le droit de ne pas révéler ses convictions religieuses et que l’Etat ne peut pas exiger de se tenir informé de ces convictions. Les convictions religieuses constituent une donnée personnelle sensible qui ne peut en aucun cas faire l’objet d’une utilisation systématique par l’administration. Par conséquent, une obligation faite à une partie de la population de déclarer ses convictions religieuses à l’administration afin que celle-ci constate le besoin social et qu’elle modifie le plan d’urbanisme, ne peut pas se concevoir car elle est contraire tant à la Constitution grecque qu’à la Convention. L’érection d’une maison de prière et l’exercice du culte ne sauraient dépendre d’un contrôle préalable par l’administration d’un nombre suffisant de fidèles. Une telle restriction serait contraire tant à l’article 13 de la Constitution qu’à l’article 9 de la Convention qui pose comme condition essentielle la « nécessité dans une société démocratique ».
29. Enfin, le requérant soutient que le contrôle préventif peut facilement donner lieu à des manœuvres dilatoires de l’administration afin d’éviter d’accorder des autorisations, ou même donner lieu à des refus abusifs. Le requérant souligne que dans son cas l’administration compétente n’a pas manqué de lui opposer des obstacles tout au long de la procédure. Ainsi, le service de l’aménagement du territoire de Florina prétexta que son dossier était incomplet alors qu’il s’agissait de détails techniques sans aucun intérêt. ; le préfet de Florina a suspendu toute construction dans la commune de Petres pour des raisons de protection des antiquités alors que le service archéologique n’était pas informé ; le ministère compétent et le service de l’aménagement du territoire de Florina ont tout fait pour entraver son projet en essayant de qualifier la maison de prière du requérant d’église, car une telle qualification entraînait la procédure de « délimitation de l’espace » ; enfin, le service de l’aménagement du territoire de Florina ne lui a jamais indiqué les démarches à suivre pour que la procédure de « délimitation de l’espace » soit mise en oeuvre ; il lui fallut s’adresser au ministre de la Ville et attendre un an avant que l’administration ne l’informât qu’il devait s’adresser au conseil municipal de Petres.
2. Le Gouvernement
30. De manière générale, le Gouvernement souligne que les autorités n’ont jamais mis des obstacles à l’exercice du culte des paleoimerologites et que pour l’érection des lieux de culte, ceux-ci n’avaient et n’ont besoin d’aucune autorisation d’une autorité publique ; la seule condition consiste à respecter la législation relative à l’aménagement du territoire. Le Gouvernement souligne aussi que le législateur doit faciliter l’exercice du culte en apportant seulement les limitations prévues par d’autres dispositions de la Constitution, tel l’article 24 § 2 de celle-ci.
31. Le Gouvernement rappelle que le Conseil d’Etat a considéré que les dispositions du décret du 16 août 1923, relatif aux plans d’aménagement du territoire de villes et villages et à la construction, étaient conformes aux articles 13 et 24 de la Constitution. Ces dispositions imposaient la délimitation de l’espace pour l’érection de maisons de prière, soit au moment de l’approbation initiale du plan de construction, soit ultérieurement. La délimitation devait prendre en compte tant la nécessité de satisfaire un besoin social, comme l’exercice du culte, que le caractère propice de l’espace sur lequel un lieu de culte serait érigé. Or, sur la base de ces considérations, le Conseil d’Etat jugea que le requérant était le seul adepte des COV à Petres et, par conséquent, qu’il n’existait pas de besoin social justifiant la modification du plan d’aménagement du territoire pour autoriser l’érection d’une maison de prière. Selon le Gouvernement, il est évident que le requérant ne peut pas se prévaloir d’un droit individuel à ériger lui-même une maison de prière destinée à satisfaire uniquement ses propres besoins.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
32. La Cour note que le refus de la mairie de Petres de « délimiter l’espace » pour l’érection de la maison de prière du requérant s’analyse en une ingérence dans l’exercice de son droit à la « liberté de manifester sa religion (…) par le culte (…) et l’accomplissement des rites ». Pareille immixtion méconnaît l’article 9 de la Convention sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des objectifs légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire dans une société démocratique », pour les atteindre. La Cour relève que le refus susmentionné était fondé sur les dispositions du décret du 16 août 1923 relatif aux plans d’aménagement du territoire de villes et villages et à la construction, telles qu’interprétées par le Conseil d’Etat lorsqu’il s’agit de les appliquer en matière d’érection de maisons de prière. Il était, donc, « prévu par la loi ». La Cour se déclare aussi prête à admettre que le refus poursuivait un but légitime : la protection de l’ordre publique et des droits et libertés d’autrui.
33. En ce qui concerne la « nécessité dans une société démocratique », la Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une société démocratique au sens de la Convention. Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 de la Convention énumère diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Néanmoins, il ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction (Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [GC], no 27417/95, § 73, CEDH 2000-VII ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 60, CEDH 2000-XI ; Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldavie, no 45701/99, § 117, CEDH 2001 XII).
34. La Cour rappelle aussi qu’en principe le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut l’appréciation de la part de l’Etat de la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci (Manoussakis et autres c. Grèce, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996 IV, p. 1365, § 47). Par conséquent, lorsque l’exercice du droit à la liberté de religion ou d’un de ses aspects est soumis, selon la loi interne, à un système d’autorisation préalable, l’intervention dans la procédure d’octroi de l’autorisation d’une autorité ecclésiastique reconnue ne saurait se concilier avec les impératifs du paragraphe 2 de l’article 9 (voir, mutatis mutandis, Pentidis et autres c. Grèce, arrêt du 9 juin 1997, Recueil 1997-III).
35. En outre, la Cour reconnaît aux Etats parties à la Convention une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité d’une ingérence, mais cette marge d’appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent. La tâche de la Cour consiste à rechercher si les mesures prises au niveau national se justifient dans leur principe et sont proportionnées (Manoussakis et autres c. Grèce, précité, § 44). Pour délimiter l’ampleur de cette marge d’appréciation en l’espèce, la Cour doit tenir compte de l’enjeu, à savoir la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion de société démocratique (Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260 A, p. 17, § 31). De même, il convient d’accorder un grand poids à cette nécessité lorsqu’il s’agit de déterminer, comme l’exige le paragraphe 2 de l’article 9, si l’ingérence répond à un « besoin social impérieux » et si elle est « proportionnée au but légitime visé » (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup d’autres, Wingrove c. Royaume Uni, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil 1996 V, p. 1956, § 53). Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence litigieuse sur la base de l’ensemble du dossier (Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldavie, précité, §119).
2. Application en l’espèce
36. En l’occurrence, la Cour note que la mairie de Petres rejeta la demande du requérant pour un certain nombre des motifs dont le fait qu’aucun habitant de la commune, sauf le requérant, n’appartenait à la communauté des COV. Le Conseil d’Etat estima, par la suite, que seul ce motif était pertinent pour fonder la légalité de la décision de la mairie. Le Conseil d’Etat affirma qu’il n’existait pas un « besoin social » de modifier le plan d’urbanisme afin de construire une église des COV, car une telle communauté n’existait pas en nombre suffisant dans la commune de Petres.
37. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné la compatibilité avec l’article 9 de la Convention des dispositions législatives du droit interne grec soumettant l’érection d’un lieu de culte à une autorisation préalable de l’administration. Ainsi, dans l’affaire Manoussakis c. Grèce, (arrêt précité), la Cour avait conclu à la violation de l’article 9 car elle avait constaté que les autorités grecques avaient tendance à se servir des potentialités de la loi pertinente de manière à imposer des conditions rigides, voire prohibitives, à l’exercice de certains cultes, non orthodoxes, notamment en posant des obstacles à l’érection des maisons de prière par les témoins de Jéhovah.
38. Cependant, la présente affaire se distingue nettement de l’affaire Manoussakis. En premier lieu, la haute juridiction administrative releva que la maison de prière que le requérant souhaitait construire était un bâtiment d’utilité publique et, en vertu du décret du 16 août 1923, la construction de tels bâtiments était interdite sur des sites pour lesquels le plan d’aménagement du territoire ne prévoyait pas une telle destination. La construction de la maison de prière nécessitait alors la modification du plan d’aménagement du territoire. Il résulte que, dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas sollicité la mise en œuvre par l’administration d’un droit lié à l’exercice de sa liberté de religion, préalablement reconnu de manière positive par la législation interne. Son terrain n’était pas susceptible d’avoir n’importe quelle destination. Le requérant demanda ainsi, au nom de l’exercice de sa liberté de culte, une dérogation aux règles pré-établies sur l’aménagement du territoire de sa bourgade.
39. En deuxième lieu, en l’occurrence, la requête d’ériger une église n’émanait pas des témoins de Jéhovah, mais d’un adepte des paleoimerologites considérés comme des orthodoxes, même s’ils ne dépendent pas de l’Eglise de Grèce. Depuis l’arrêt no 144/1991 du Conseil d’Etat, les dispositions législatives qui s’appliquent aux communautés non orthodoxes cessèrent de s’appliquer aux paleoimerologites, dont l’érection d’églises était désormais soumise aux seules dispositions du droit d’urbanisme, tel le décret du 16 août 1923. Par conséquent, dans la présente affaire la pratique administrative visant directement la limitation des activités des confessions non orthodoxes n’est pas en cause. Bien au contraire, il s’agit de la conformité de l’article 9 de la Convention avec les dispositions de droit commun portant sur les conditions de modification du plan d’aménagement du territoire aux fins de construction d’un bâtiment d’utilité publique, telles qu’elles ont été interprétées par la haute juridiction administrative grecque.
40. Il résulte que dans le cas d’espèce, et à la différence de l’affaire Manoussakis, la Cour est appelée à se prononcer sur la compatibilité avec la Convention de l’interprétation d’une loi prima facie neutre à l’égard de l’exercice de la liberté de culte (voir, ci-dessus le droit et la pratique internes et internationaux pertinents). La question particulière qui se pose alors est de savoir si l’application par le Conseil d’Etat des dispositions générales d’aménagement du territoire en la matière pouvait contrarier l’article 9 de la Convention. Il s’agit alors de mettre en parallèle la liberté du requérant de manifester sa religion avec l’intérêt public d’aménagement rationnel du territoire. C’est pourquoi il importe d’examiner si le critère quantitatif employé par le Conseil d’Etat pour constater l’existence ou non d’un « besoin social » se concilie avec les exigences de l’article 9 § 2 de la Convention.
41. La Cour constate que le critère retenu par le Conseil d’Etat ne saurait être taxé d’arbitraire. L’autorisation de modifier le plan d’aménagement du territoire ne pouvait être accordée que pour la construction d’un bâtiment ayant une utilité publique. Or, il est raisonnable de penser que, dans une telle hypothèse, les besoins de la communauté religieuse puissent jouer un rôle. Il est évident que l’intérêt public d’aménagement rationnel du territoire ne saurait être supplanté par les besoins de culte d’un seul fidèle des COV alors qu’il existait dans une ville voisine une maison de prière qui couvre les besoins de cette collectivité religieuse dans la région.
42. A la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la marge d’appréciation des États contractants en matière de planification et d’aménagement du territoire (voir, Buckley c. Royaume Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil 1996 IV, pp. 1291-1292, §§ 74-75 ; Johannische Kirche & Horst Peters c. Allemagne (déc.), no 41754/98, 10 juillet 2001) la Cour estime que la mesure litigieuse était justifiée dans son principe et proportionnée à l’objectif visé.
43. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
44. Le requérant allègue que la durée de la procédure devant le Conseil d’Etat a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
45. Le requérant souligne qu’il fallut cinq ajournements d’office et un délai d’un an avant que la sixième chambre du Conseil d’Etat ne s’estime incompétente et renvoie l’affaire devant la cinquième chambre par un arrêt extrêmement bref. Devant la cinquième chambre, l’audience fut encore ajournée d’office à deux reprises et cette chambre sollicita un document dont le contenu faisait déjà partie du dossier. L’audience eut lieu sept mois après sa fixation initiale et l’arrêt renvoyant l’affaire à la formation de sept juges fut rendu sept mois après l’audience. Enfin, devant cette formation, il fallut plus de dix-neuf mois à compter de l’audience pour rendre son arrêt.
46. Le Gouvernement admet que la procédure a traîné en longueur, mais le justifie par la complexité et l’importance de l’affaire, éléments qui ont rendu nécessaire le dessaisissement de la chambre saisie du Conseil d’Etat au profit d’une chambre élargie.
A. Période à prendre en considération
47. La Cour note que la période à prendre en considération débuta le 14 juillet 1995, avec la saisine du Conseil d’Etat, et prit fin le 5 juillet 2000, lorsque l’arrêt no 2308/2000 du Conseil d’Etat fut adopté. La procédure litigieuse a donc duré quatre ans, onze mois et vingt-deux jours.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
48. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 824, § 57 ; Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 857, p. 39). Par ailleurs, seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 (Varipati c. Grèce, no 38459/97, 26 octobre 1999, § 26).
49. La Cour considère qu’une durée de près de cinq ans pour un seul degré de juridiction est excessive dans cette affaire. En effet, le Gouvernement ne donne aucune explication pour les cinq ajournements d’audience entre la saisine du Conseil d’Etat et le 31 mars 1997, lorsque la sixième chambre estima qu’elle était incompétente. Il n’explique non plus les retards entre cette dernière date et le 4 mars 1998 (audience devant la cinquième chambre) et entre cette date et le 5 octobre 1998 (prononcé de l’arrêt). La Cour note en outre que dix-neuf mois se sont écoulés entre l’audience devant la formation de sept juges et la date du prononcé de l’arrêt et que le Gouvernement ne donne pas plus d’explication pour cette période.
50. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour conclut dès lors que la cause du requérant n’a pas été entendue dans un « délai raisonnable » et que, partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
52. Le requérant ne soumet pas de demande spécifique à l’égard du dommage éventuel subi en raison du prolongement de la procédure au-delà du « délai raisonnable ». Il réclame globalement 54 600 euros (EUR) au titre de dommage moral pour les violations alléguées de la Convention.
53. Le Gouvernement estime qu’une somme de 3 000 EUR constituerait une satisfaction équitable suffisante.
54. La Cour estime que le prolongement de la procédure au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un dommage moral justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue la somme de 5 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
55. Le requérant sollicite 14 600 EUR pour les frais et dépens exposés pour la procédure devant la juridiction interne et devant la Cour.
56. Le Gouvernement s’affirme prêt à verser au requérant 3 000 EUR à ce titre.
57. La Cour relève que le requérant ne produit aucune note d’honoraires afférente à la procédure devant le Conseil d’Etat et devant elle. Cependant, il n’en reste pas moins qu’aux fins de la préparation de la présente affaire, le requérant a dû exposer certains frais (Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 126, CEDH 2000–VIII). Dès lors, statuant en équité, la Cour alloue au requérant 3 000 EUR au titre des frais et dépens relatifs à la procédure suivie devant elle.
C. Intérêts moratoires
58. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;
ii. 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juin 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren NIELSEN Peer LORENZEN
Greffier Président