Sentenza 14 dicembre 2000, n.26308/95
Corte Europea Diritti dell’Uomo
26308/95
19/01/1998 Commissione Decisione Ricevibile
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 26308/95
présentée par Institut de Prêtres Français et autres contre la Turquie
La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en
chambre du conseil le 19 janvier 1998 en présence de
M. S. TRECHSEL, Président
MM. J.-C. GEUS
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
Mme G.H. THUNE
MM. H. DANELIUS
F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
J. MUCHA
D. SVÁBY
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
P. LORENZEN
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV
M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;
Vu l’article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 18 janvier 1995 par Institut de
Prêtres Français et autres contre la Turquie et enregistrée le 28
février 1996 sous le N° de dossier 26308/95 ;
Vu les rapports prévus à l’article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
2 septembre 1996 et les observations en réponse présentées par les
requérants le 14 novembre 1996 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requête est introduite par l’Institut de Prêtres Français
dénommés les Augustins de l’Assomption, branche turque de la
Congrégation des Augustins de l’Assomption, institution du droit canon,
représenté par son supérieur religieux et le secrétaire général de la
Congrégation, et un groupe de prêtres et de paroissiens dont les noms
figurent en annexe.
Dans la procédure devant la Commission, ils sont représentés par
Maître Tekin Akillioglu, avocat au barreau d’Ankara.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Circonstances particulières de l’affaire
L’acte de fondation (le firman) accordé par le Sultan ottoman
autorisa en 1859 l’Archevêque de la Communauté catholique de construire
une église et d’autres locaux du culte sur un terrain situé à Kadiköy
(Istanbul).
Une chapelle et un bâtiment de séminaire furent construits sur
le domaine. Le 20 septembre 1910, le domaine fut enregistré au nom des
Augustins de l’Assomption, comme lieu de culte, séminaire et monastère.
Par l’accord franco-turc du 18 décembre 1913, l’Institut fut
reconnu par le Gouvernement turc comme établissement religieux
français.
La lettre annexée au traité de Lausanne du 24 juillet 1923 assura
la reconnaissance et la protection des institutions religieuses
françaises, entre autres l’Institut de Prêtres Français. Elle précisa
que ces institutions devaient être “traitées sur un pied d’égalité avec
les institutions similaires turques”.
Le 30 mai 1982, en vue de trouver des moyens financiers pour
l’entretien des lieux de culte, l’Institut loua une partie du jardin
et des locaux à une société privée. Ladite société utilisa les
bâtiments et une partie du terrain pour des activités sportives
diverses.
Le 7 novembre 1988, le Trésor Public intenta une action devant
le tribunal de grande instance de Kadiköy et demanda l’annulation du
titre de propriété de l’Institut et la restitution du domaine. Le
Trésor soutenait que l’Institut n’avait pas le droit de procéder sur
les lieux à des activités lucratives. Il exposa qu’en louant certaines
parties du domaine, l’Institut ne poursuivait plus un but religieux.
Par jugement du 6 juin 1989, le tribunal de grande instance de
Kadiköy rejeta la demande du Trésor. Il considéra notamment que “les
Augustins de l’Assomption, Institut de Prêtres français, fait partie
des institutions françaises reconnues et protégées par le traité de
Lausanne, l’utilisation des lieux à but lucratif ne confère pas le
droit de restitution de ces lieux au Trésor”.
Sur pourvoi du Trésor, la Cour de cassation, par arrêt du
18 mai 1990, cassa le jugement du 6 juin 1989 et renvoya l’affaire de
nouveau devant la première instance. Elle considéra que “l’autorisation
d’acquisition des biens immobiliers accordée par l’Empire Ottoman en
vertu d’une loi promulguée en 1868, aux personnes morales étrangères
pour la construction d’édifices religieux, scolaires, de bienfaisance,
tels églises, couvents, écoles, hôpitaux, dispensaires, presbytères,
est donnée à condition d’utiliser lesdits lieux conformément au but
initial relatif à leur utilisation”. Selon la Cour de cassation, ces
institutions étrangères devaient avoir, avant le 30 octobre 1914 et
actuellement, la personnalité juridique reconnue par la législation
de l’Etat concerné. La Cour observa également que lesdites institutions
ne devaient pas procéder à des activités et utilisations lucratives.
La Cour considéra qu’en l’espèce, contrairement à l’article 3 de la loi
sur le registre foncier de 1934 (Tapu Kanunu), l’Institut n’avait pas
de personnalité juridique et n’était pas reconnu par l’Etat turc.
Par jugement du 5 avril 1993, le tribunal de grande instance de
Kadiköy, se conformant à l’arrêt de la Cour de cassation, donna gain
de cause au Trésor. Le tribunal statua sur l’inscription du domaine au
nom du Trésor. Il considéra en outre qu’une partie du domaine litigieux
devait être inscrite au nom de la Direction des Fondations (Vakiflar
Genel Müdürlügü) qui était intervenue dans le procès auprès du Trésor.
L’Institut forma un pourvoi en cassation contre ce jugement. Il
soutint notamment, se référant à l’attestation fournie par le St.
Siège, que depuis 1875 la Congrégation est reconnue comme personne
morale par le St. Siège. Il invoqua en outre les articles 9 de la
Convention et 1er du Protocole N° 1.
A l’issue d’une audience le 12 avril 1994, la Cour de cassation
confirma le jugement attaqué.
L’Institut forma un recours en rectification de l’arrêt du
12 avril 1994.
Le 19 septembre 1994, la Cour de cassation rejeta ce recours.
Elle considéra que les moyens soulevés par l’Institut à l’appui de son
recours n’étaient pas de nature à justifier une rectification de
l’arrêt du 12 avril 1994.
2. Eléments de droit interne
a. Article 3 de la loi sur le registre foncier :
“Les biens immobiliers appropriés par des institutions
religieuses, scientifiques et caritatives étrangères reconnues
par le Gouvernement de la République de Turquie suite à des
décrets royaux (firman) et décrets gouvernementaux peuvent être
enregistrés au nom de la personnalité morale de ces institutions
à condition de ne pas outrepasser lesdites sources et sous
condition d’obtenir l’autorisation du gouvernement.”
b. La lettre annexée au traité de Lausanne du 24 juillet 1923,
envoyée par le Président de la Délégation turque au délégué français,
dispose que :
“(…) Le Gouvernement reconnaîtra l’existence des oeuvres
religieuses, scolaires et hospitalières, ainsi que des institutions
d’assistance reconnues existant en Turquie avant le 30 octobre 1914 et
ressortissant à la France.
Il examinera avec bienveillance le cas des autres institutions
similaires françaises existant de fait en Turquie à la date du Traité
de Paix signé, en vue de régulariser leur situation.
Les oeuvres et institutions susmentionnées seront, au point de
vue des charges fiscales de toute nature, traitées sur un pied
d’égalité avec des oeuvres et institutions similaires turques et seront
soumises aux dispositions d’ordre public, ainsi qu’aux lois et
règlements régissant ces derniers. Il est entendu toutefois que le
Gouvernement turc tiendra compte des conditions du fonctionnement de
ces établissements, et, pour ce qui concerne les écoles, de
l’organisation pratique de leur enseignement (…)”
Par lettre du 19 août 1992, le Ministère des Affaires Etrangères
de France informa l’Ambassade de Turquie en France que :
“Après modification apportée au titre III de la loi du 1er
juillet 1901 par la loi du 8 avril 1942 qui a substitué à l’obligation
pour une congrégation d’être autorisée, la possibilité offerte d’être
légalement reconnue et a ainsi supprimé le délit de congrégation non
autorisée, cette congrégation n’a pas sollicité sa reconnaissance.
De ce fait, elle n’a pas, par elle-même, d’existence légale dans
notre pays ni de personnalité civile; en revanche, ses diverses
activités ont pour supports juridiques des associations et des
sociétés, ce qui n’est pas contraire à la loi française.
Enfin, la congrégation des Assomptionnistes reconnue par le St.
Siège est de droit pontifical depuis le 26 novembre 1864 ; sa maison
générale est à Rome, via San Pio V.”
GRIEFS
1. Invoquant l’article 1 du Protocole N° 1, l’Institut requérant se
plaint de ce que les juridictions internes, en statuant sur
l’inscription de son domaine au nom du Trésor et de la Direction des
Fondations, ont violé le droit au respect de ses biens. Il soutient que
la privation de propriété s’est opérée dans des conditions contraires
aux principes généraux de droit international.
2. Les requérants se plaignent en outre de ce que la décision de
l’inscription au régistre au nom du Trésor du domaine où se trouvent
les lieux de culte méconnaît la liberté de religion telle que garantie
par l’article 9 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 18 janvier 1995 et enregistrée le
26 janvier 1995.
Le 28 février 1996, la Commission a décidé de porter la requête
à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter
par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la
requête.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 2 septembre 1996
et les requérants y ont répondu le 14 novembre 1996.
EN DROIT
Les requérants allèguent la violation de l’article 1 du Protocole
N° 1 et de l’article 9 (P1-1, art. 19) de la Convention.
Le Gouvernement expose que la requête est irrecevable pour les
raisons suivantes :
– la qualité de victime des requérants n’aurait pas été
établie;
– non-épuisement des voies de recours internes s’agissant du grief
tiré de l’article 9 (art. 9) de la Convention ;
– non-respect du délai de six mois s’agissant du grief tiré de
l’article 1 du Protocole N° 1 (P1-1).
Sur la qualité de victime des requérants
Le Gouvernement soutient que la partie requérante, en utilisant
le terrain concédé d’une manière incompatible avec ses finalités
religieuses, a outrepassé sa raison d’être et ne devrait plus être
couverte par le mécanisme de contrôle de la Convention s’agissant de
ses allégations de propriété.
En soulignant l’absence de personnalité juridique de l’Institut,
le Gouvernement fait valoir en outre que la requête est introduite par
des personnes physiques et que le curé agit “en tant que curé
responsable de l’Eglise de l’Assomption et non pas en tant que
représentant légal d’une personnalité morale quelconque”.
Les requérants contestent ces arguments. Ils font valoir que
l’Institut, ne recevant aucune aide étatique, a dû procéder à la
location des lieux en vue de subvenir aux besoins de l’église. Selon
les requérants, coupé de ses ressources vitales l’Institut ne saurait
pas capable d’assurer le service religieux, ni la survie de l’église.
Les requérants soutiennent, se référant à l’attestation fournie
par le St. Siège, que depuis 1875 la Congrégation est reconnue comme
personne morale par le St. Siège et que les assomptionnistes font
partie de ladite Congrégation. Ils soulignent que l’Institut des
Prêtres Français dénommés les Augustins de l’Assomption est représenté
par son supérieur religieux et le secrétaire général de la
Congrégation.
La Commission relève que la requête est présentée par deux
requérants, à savoir l’Institut de Prêtres Français dénommés les
Augustins de l’Assomption, institution de droit canonique d’une part,
et un groupe de paroissiens nommément désignés de l’autre.
La Commission estime que l’Institut requérant peut être considéré
comme ayant qualité pour agir, en tant qu'”organisation non
gouvernementale” au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention
(voir, mutatis mutandis, N° 12242/86, déc. 6.9.89, D.R. 62 p. 151 ;
arrêt les Saints Monastères c/Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301-
A, p. 27, par. 48).
La Commission rappelle en outre qu’un organe ecclésial ou une
association à but philosophique ou religieux a la capacité de posséder
et d’exercer les droits énoncés à l’article 9 (art. 9) de la Convention
(voir, N° 12587/86, déc. 14.7.87, D.R. 53, p. 241).
La Commission note que les requérants individuels, à savoir un
groupe de prêtres et de paroissiens, qui n’étaient pas parties à la
procédure mise en cause, ne se plaignent que d’une violation l’article
9 (art. 9) de la Convention et soutiennent que coupé de ses ressources
vitales l’Institut ne saurait assurer le service religieux ni la survie
de l’église. Puisqu’à cet égard, ils seraient directement affectés par
la mesure litigieuse, la Commission estime qu’ils peuvent se prétendre
victimes au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention.
Sur l’épuisement des voies de recours internes et le non-respect
du délai de six mois
Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours
internes à l’égard du grief tiré de l’article 9 (art. 9) de la
Convention. Il soutient que la partie requérante a “incidemment”
soulevé ce grief dans le cadre de l’action concernant son titre de
propriété. Il indique que les articles 175 et 176 du Code pénal
répriment tout acte destiné à empêcher ou troubler l’accomplissement
et le service de cérémonies religieuses ainsi que la destruction et
dégradation des biens destinés au culte.
Le Gouvernement fait observer, par ailleurs, que la partie
requérante aurait pu intenter une action en dommages-intérêts contre
l’administration dans la mesure où elle allègue que l’ingérence des
autorités dans ses droits patrimoniaux comporte des incidences sur sa
liberté de religion.
Le Gouvernement soulève en outre une exception d’irrecevabilité
tirée de la tardiveté de la requête au sens de l’article 26
(art. de la Convention. Il fait observer qu’un délai de plus de six
mois s’est écoulé entre la date de la décision interne définitive, soit
celle de l’arrêt de la Cour de cassation statuant sur l’inscription du
domaine au nom du Trésor et de la Direction des Fondations rendue le
12 avril 1994, et la date de l’introduction de la requête devant la
Commission.
Les requérants contestent ces arguments. Ils soutiennent qu’ils
ont fait valoir devant les instances nationales les griefs qu’ils ont
soumis à la Commission.
Les requérants font valoir en outre qu’ils ont introduit un
recours en rectification d’arrêt. Ils considèrent que l’arrêt rendu par
la Cour de cassation le 19 septembre 1994 est la “décision définitive”
au sens de l’article 26 (art. 26) de la Convention.
L’article 26 (art. 26) de la Convention prévoit que la Commission
ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours
internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus et dans le délai de six mois à
partir de la décision interne définitive. La Commission rappelle sa
jurisprudence constante selon laquelle a épuisé les voies de recours
internes celui qui a fait valoir, en substance, devant les instances
nationales compétentes, le grief qu’il formule devant la Commission
(cf. N° 16839/90, déc. 12.4.94, D.R. 77 p. 22).
La Commission rappelle en outre que la “décision définitive” ne
renvoie qu’aux recours internes pouvant passer pour effectifs et
suffisants pour apaiser le grief formulé (cf. par exemple N° 9599/81,
déc. 11.3.85, D.R. 42 p. 33).
La Commission observe que l’Institut requérant a fait valoir
devant la Cour de cassation que la décision de l’inscription au
régistre au nom du Trésor du domaine où se trouvent les lieux de culte
avait méconnu la liberté de religion telle que garantie par l’article
9 (art. 9) de la Convention.
La Commission estime que la partie requérante a épuisé les voies
de recours internes au sens de l’article 26 (art. 26) de la Convention.
La Commission relève qu’en l’espèce, dans la mesure où les griefs
des requérants se rapportent à la procédure civile, le recours en
rectification d’arrêt constitue un recours interne efficace au sens des
principes du droit international généralement reconnus. Il s’ensuit que
la décision de la Cour de cassation du 12 avril 1994 ne peut être prise
en considération pour la détermination du point de départ du délai de
six mois. L’objection du Gouvernement tirée du non-respect du délai de
six mois ne saurait donc être retenue (cf. par exemple N° 23762/94,
déc. 7.9.95; non-publiée).
Il s’ensuit que la requête ne saurait être rejetée pour non-
épuisement des voies de recours internes et non-respect du délai de six
mois en application des articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la
Convention.
Sur la substance des griefs soulevés
a) Article 1 du Protocole N° 1 (P1-1)
Invoquant l’article 1 du Protocole N° 1 (P1-1), l’Institut
requérant se plaint de ce que les juridictions internes, en statuant
sur l’inscription de son domaine au nom du Trésor et de la Direction
des Fondations, ont violé le droit au respect de ses biens. Il soutient
que la privation de propriété s’est opérée dans des conditions
contraires aux principes généraux de droit international.
Le Gouvernement soutient que les titres de propriétés invoqués
par l’Institut requérant sont intimement liés à sa “situation”
juridique en Turquie. Se référant en premier lieu aux décrets royaux
(firmans), le Gouvernement fait valoir que selon le règlement du 1er
avril 1918, les institutions étrangères reconnues par des firmans ne
pouvaient pas obtenir des avantages et des revenus au titre de
propriétaires des biens ou acquérir des biens immobiliers à cet effet.
Il rappelle à cet égard que le statut des institutions religieuses et
caritatives ne peut pas être assimilé à un statut de propriétaire
“plein et entier”, mais plutôt à une concession à certaines fins
limitativement définies et excluant toute possibilité d’avantages
lucratifs.
Le Gouvernement rappelle en outre l’article 3 de la loi sur le
registre foncier ainsi que la lettre annexée au traité de Lausanne et
la lettre envoyée par le Ministère des Affaires Etrangères de France
et affirme que l’Institut requérant ne constitue ni selon le droit turc
ni selon le droit international une personnalité morale et que d’autre
part il n’est pas titulaire d’un droit patrimonial au sens de l’article
1 du Protocole N° 1 (P1-1). Il conclut que les mesures prises sur la
base de l’arrêt de la Cour de cassation ne constituent pas une
ingérence aux droits patrimoniaux de l’Institut requérant.
L’Institut requérant combat les thèses avancées par le
Gouvernement. Il soutient que la location des lieux a été décidée dans
un but de faire face aux besoins de l’église, de sa mission, de son
personnel. Mettant en exergue qu’aucun avertissement en due et bonne
forme n’avait été fait par le Trésor, il fait valoir que la mesure
litigieuse est entièrement disproportionnée par rapport à la faute
incriminée et contraire aux principes généraux du droit international.
La Commission a procédé à un examen préliminaire de l’ensemble
de ces griefs et des arguments des parties. Elle estime que la requête
pose à cet égard des questions de droit et de fait complexes qui ne
sauraient être resolues à ce stade de l’examen de la requête, mais
nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait,
dès lors, être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article
27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate par
ailleurs que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre
motif d’irrecevabilité.
b) Article 9 (art. 9) de la Convention
Les requérants se plaignent en outre de ce que la décision de
l’inscription au registre au nom du Trésor du domaine où se trouvent
les lieux de culte méconnaît la liberté de religion telle que garantie
par l’article 9 (art. 9) de la Convention.
Le Gouvernement soutient qu’aucune mesure susceptible de porter
atteinte aux convictions religieuses des membres de la congrégation n’a
été prise par les autorités turques. Il conclut que “les activités
touristiques et sportives entreprises sur les terrains en question sont
étrangères aussi bien à la vocation de la congrégation – ce qui avait
motivé leur concession initiale – qu’aux convictions religieuses de ses
membres”.
Les requérants contestent ces arguments. Ils soutiennent que
coupé de ses ressources vitales l’Institut ne saurait assurer le
service religieux ni la survie de l’église. Ils rappellent à cet égard
que différemment des mosquées dotées d’une importante aide financière
par l’Etat, l’Institut n’a d’autre ressources que ses propres moyens.
La Commission a procédé à un examen préliminaire de l’ensemble
de ces griefs et des arguments des parties. Elle estime que la requête
pose à cet égard des questions de droit et de fait complexes qui ne
sauraient être resolues à ce stade de l’examen de la requête, mais
nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait,
dès lors, être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article
27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate par
ailleurs que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre
motif d’irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à l’unanimité,
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
M. de SALVIA, S. TRECHSEL
Secrétaire Président
de la Commission de la Commission
14/12/2000 Corte Sentenza Cessata materia del 52
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE INSTITUT DE PRÊTRES FRANÇAIS ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête n° 26308/95)
ARRÊT
(Radiation)
STRASBOURG
14 décembre 2000
Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.
En l’affaire Institut de Prêtres français et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A. PASTOR RIDRUEJO, président,
V. BUTKEVYCH,
Mme N. VAJIC,
MM. J. HEDIGAN,
M. PELLONPÄÄ
Mme S. BOUTOUCHARVO, juges,
M. F. GÖLCÜKLÜ, juge ad hoc,
et de M. V. BERGER, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 et 21 novembre 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1079. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 26308/95) dirigée contre la Turquie et dont l’Institut de Prêtres français dénommés les Augustins de l’Assomption, branche turque de la Congrégation des Augustins de l’Assomption, institution de droit canon, représenté par son supérieur religieux et le secrétaire général de la Congrégation, ainsi qu’un groupe de prêtres et de paroissiens avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 18 janvier 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
1080. Les requérants sont représentés par Me Tekin Akıllıoğlu, avocat au barreau d’Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné un agent pour la procédure devant la Cour.
1081. Les requérants se plaignent de ce que les juridictions internes, en statuant sur l’inscription du domaine de l’Institut au nom du Trésor et de la Direction générale des fondations, ont violé le droit de l’Institut au respect de ses biens. Ils allèguent en outre que la décision d’inscription au registre du domaine où se trouvent des lieux de culte méconnaît la liberté de religion telle que garantie par l’article 9 de la Convention.
1082. Le 28 février 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 2 septembre 1996 et la partie requérante y a répondu le 14 novembre 1996.
1083. La Commission a déclaré la requête recevable le 19 janvier 1998, puis, faute d’avoir pu en terminer l’examen avant le 1er novembre 1999, l’a déférée à la Cour à cette date, conformément à l’article 5 § 3, seconde phrase, du Protocole n° 11 à la Convention.
1084. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (article 28), le Gouvernement a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
1085. Le 15 novembre 2000, le représentant des requérants et le Gouvernement ont présenté des déclarations formelles d’acceptation d’un règlement amiable de l’affaire.
1086. Au vu de ces déclarations, le président de la chambre a décidé, le 15 novembre 2000, d’annuler l’audience sur le fond qui devait se tenir le lendemain.
EN FAIT
1087. L’acte de fondation (le firman) accordé par le Sultan ottoman autorisa en 1859 l’archevêque de la communauté catholique à construire une église et d’autres locaux de culte sur un terrain situé à Kadıköy (Istanbul).
1088. Une chapelle et un bâtiment de séminaire furent érigés sur le domaine. Le 20 septembre 1910, le domaine fut enregistré au nom des Augustins de l’Assomption, comme lieu de culte, séminaire et monastère. Par l’accord franco-turc du 18 décembre 1913, l’Institut fut reconnu par le gouvernement turc comme établissement religieux français. Une lettre annexée au Traité de Lausanne du 24 juillet 1923 assura la reconnaissance et la protection des institutions religieuses françaises, entre autres l’Institut de Prêtres français. Elle précisa que ces institutions devaient être « traitées sur un pied d’égalité avec les institutions similaires turques ».
1089. Le 30 mai 1982, en vue de trouver des moyens financiers pour l’entretien des lieux de culte, l’Institut loua une partie du jardin et des locaux à une société privée.
1090. Le 7 novembre 1988, le Trésor public intenta une action devant le tribunal de grande instance de Kadıköy, tendant à l’annulation du titre de propriété de l’Institut et à la restitution du domaine. Il soutenait que l’Institut n’avait pas le droit de procéder sur les lieux à des activités lucratives. Il exposa qu’en louant certaines parties du domaine, l’Institut ne poursuivait plus de but religieux.
1091. Par un jugement du 6 juin 1989, le tribunal de grande instance de Kadıköy rejeta la demande du Trésor. Il considéra notamment que « les Augustins de l’Assomption, Institut de Prêtres français, font partie des institutions françaises reconnues et protégées par le Traité de Lausanne, et que l’utilisation des lieux à but lucratif ne confère pas le droit de restitution de ces lieux au Trésor ».
1092. Sur pourvoi du Trésor, la Cour de cassation, par un arrêt du 18 mai 1990, cassa le jugement du 6 juin 1989 et renvoya l’affaire devant la juridiction de première instance. Elle considéra que « l’autorisation d’acquisition des biens immobiliers accordée par l’Empire ottoman en vertu d’une loi promulguée en 1868, aux personnes morales étrangères pour la construction d’édifices religieux, scolaires, de bienfaisance, tels églises, couvents, écoles, hôpitaux, dispensaires, presbytères, est donnée à condition d’utiliser lesdits lieux conformément au but initial relatif à leur utilisation ». Elle estima aussi que ces institutions étrangères devaient avoir, avant le 30 octobre 1914 et actuellement, la personnalité juridique reconnue par la législation. Elle jugea également que les institutions en question ne devaient pas se livrer à des activités et utilisations lucratives. Elle constata qu’en l’espèce, contrairement à l’article 3 de la loi sur le registre foncier de 1934 (Tapu Kanunu), l’Institut n’avait pas de personnalité juridique et n’était pas reconnu par l’Etat turc.
1093. Par un jugement du 5 avril 1993, se conformant à l’arrêt de la Cour de cassation, le tribunal de grande instance de Kadıköy donna gain de cause au Trésor. Il ordonna l’inscription du domaine au nom du Trésor. Il considéra en outre qu’une partie du domaine litigieux devait être inscrite au nom de la Direction générale des fondations (Vakıflar Genel Müdürlüğü) qui était intervenue dans la procédure engagée par le Trésor.
1094. L’Institut forma un pourvoi en cassation contre ce jugement. A l’issue d’une audience le 12 avril 1994, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué.
1095. Le 19 septembre 1994, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l’Institut.
EN DROIT
1096. Le 15 novembre 2000, la Cour a reçu la déclaration suivante, signée par le représentant des requérants :
« J’ai l’honneur de vous informer qu’en date d’aujourd’hui (le 14 novembre 2000) le Gouvernement vient de me communiquer le texte d’un règlement amiable susceptible de mettre fin à l’affaire citée en marge.
J’en ai aussitôt informé mon client le Père Alain Fontaine afin d’avoir son acquiescement. Le Père Alain Fontaine m’a déclaré que le texte proposé donne satisfaction aux souhaits de l’Eglise auparavant formulés.
Le texte présenté en annexe contient notamment :
1. Les titulaires actuels du terrain, respectivement le Trésor et la Direction générale des fondations, reconnaissent le droit d’usufruit en faveur des prêtres en charge dans l’Institut requérant. Le droit d’usufruit comprend la pleine utilisation et la jouissance des lieux et des bâtiments qui s’y trouvent. Cela implique aussi que l’Institut pourra louer le terrain [à des] fins lucratives pour subvenir à ses besoins. L’Institut consent au prélèvement d’une somme raisonnable sur le revenu provenant des loyers au profit du Trésor et de la Direction générale des fondations. Les deux administrations consentent à [remplir] les formalités pour inscrire leurs déclarations respectives sur le registre immobilier en vue du renouvellement du droit d’usufruit en faveur des prêtres qui vont remplacer [les] actuels titulaires du droit d’usufruit.
2. Le Trésor accepte la première disposition pour ce qui le concerne.
3. La Direction générale des fondations renonce à son droit de créance de 41 670 USD en charge de l’Institut requérant pour la collecte des loyers survenue dans les cinq ans après l’annulation du titre de propriété.
Mon client, croyant que le Gouvernement va rester fidèle à son engagement, considère désormais l’affaire réglée par ces dispositions [dont] les parties sont convenues. »
1097. Toujours le 15 novembre 2000, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« J’ai le plaisir de vous informer par la présente que le Gouvernement turc est parvenu à un règlement amiable avec les requérants. Je joins en annexe la déclaration relative au règlement amiable.
En outre, le Gouvernement s’engage à ne pas demander le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre conformément à l’article 43 de la Convention. »
Annexe
« 1. Mettre en place un droit à l’usufruit au profit des Prêtres de l’Assomption sur la partie de l’immeuble utilisée à des fins commerciales qui comprend une église et un terrain, enregistrés au registre foncier au nom de la Direction générale des fondations suite à un arrêt judiciaire devenu définitif sous condition de céder en contrepartie, une partie des revenus qui seront perçus, à déterminer par accord entre les parties, à la direction générale des fondations, conformément à l’article 57/g de la loi sur les appels d’offre ; reconnaître le droit à l’usufruit de la partie du terrain qui comprend exclusivement l’église et ses dépendances aux prêtres qui les utilisent en vue du seul usage religieux, assurant leur entretien et les travaux de réparation et autres ; enregistrer l’ensemble des inscriptions nécessaires à cet effet au registre foncier et conférer la garantie jugée comme appropriée afin d’assurer la même facilité à ceux qui, en cas de décès, succéderont aux prêtres dans leurs fonctions.
2. Assurer la solution adéquate concernant le droit à l’usufruit pour la partie de l’église transférée au Trésor en vertu d’un arrêt judiciaire définitif conformément à la [réglementation émanant de] la Direction générale des domaines nationaux.
3. Renonciation de la part de la Direction générale des fondations, dans le cadre du règlement amiable, à sa créance de 41 670 USD y compris les intérêts moratoires légaux découlant des suites de l’action intentée concernant le terrain utilisé par les Prêtres (ce point a été admis par l’arrêt no. 2000/80 rendu par la première chambre du Conseil d’Etat le 19 avril 2000). »
1098. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
1099. Partant, il convient de rayer l’affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Décide de rayer l’affaire du rôle.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent BERGER Antonio PASTOR RIDRUEJO
Greffier Président
Autore:
Corte Europea dei Diritti dell'Uomo
Dossier:
C.E.D.U. - Strasburgo
Parole chiave:
Istituti religiosi, Proprietà privata
Natura:
Sentenza